Du 21 au 25 octobre dernier, notre reporter a été embarqué dans une opération des forces françaises de Barkhane, chargée de la sécurisation de la zone du Liptako, située sur l’axe Mali-Niger. Dénommée » Bellone 11 « , cette opération, conduite par le Groupement Tactique Désert n°2, relevant du 92e Régiment d’infanterie, visait à briser l’emprise des terroristes autour de la région de Gao. Elle a été menée conjointement par les forces françaises et les militaires maliens.
Parmi les activités au menu de cette opération militaire figurent, entre autres, des actions de reconnaissance, de contrôle de zone ainsi que des fouilles. L’occasion a également été mise à profit par ces deux forces partenaires pour effectuer des actions civilo-militaires au profit de la population de ces zones.
Démarrée au petit matin du lundi 21 octobre dernier, cette opération a concerné plusieurs localités, à savoir Ansongo, Tin Hama, Indeliman, Lellehoye, etc. En tout, ce sont plus de 500 kilomètres que cette opération a parcourus. Plus de 200 militaires français et 35 véhicules blindés ont été mobilisés pour assurer le succès de cette opération. Laquelle intervient moins d’un mois après l’attaque meurtrière qui a visé le camp militaire de Boulkessy, où au moins 40 soldats ont trouvé la mort.
Interrogé par nos soins à la veille de cette opération, le Colonel Rémi Pellabeuf, chef de corps du Groupement Tactique Désert n°2 de l’Opération Barkhane, a indiqué que cette opération cherchait à atteindre deux objectifs principaux. Il s’agit, en premier lieu, pour les militaires français de prodiguer des conseils à leurs homologues maliens en vue de mieux sécuriser les enceintes militaires.
Le second objectif de » Bellone 11 » était aussi de mener des patrouilles conjointes entre soldats français et militaires maliens, dans la zone du Liptako, afin de désorganiser les regroupements des terroristes et de briser leur emprise autour de certaines localités de la région de Gao jusque vers celle de Ménaka. Une zone où s’activent, notamment, plusieurs groupes armés terroristes (GAT), dont le plus dangereux est sans aucun doute l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS), qui opère au niveau des zones frontalières entre le Mali et le Niger.
Démarrage à partir de la base de Gao
Pour vivre l’opération au plus près, nous avons pris place à bord de l’un des Véhicules Blindés de Combat d’Infanterie (VBCI), déployés pour la circonstance. Conçu pour débarquer les troupes au plus près des combats et leur fournir un appui nécessaire avec son armement à bord, le VBCI est un véhicule de combat d’infanterie français tout-terrain, à huit roues, pouvant être engagé de nuit comme de jour, sous la menace des armes d’infanterie ou d’artillerie, tout en assurant la capacité à durer au personnel embarqué.
Ce véhicule est armé d’une mitrailleuse 12,7 mm montée sur une tourelle au télé-opéré et d’un canon de 25 mm pour le VBCI positionné sur une tourelle monoplace. L’équipage de cet engin est composé d’un pilote, d’un chef tactique, d’un tireur viseur et peut transporter jusqu’à 10 militaires. Aux côtés des VBCI, l’Opération a également mobilisé des Véhicules Avant-Blindés (VAB), des Véhicules Blindés Légers (VBL), notamment. A cela s’ajoutent des moyens aériens, dont des Mirages 2000 provenant de la base aérienne projetée de Niamey, qui intervenaient chaque fois que de besoin.
Au-delà des renseignements que ces moyens mettaient à la disposition des troupes au sol sur tout mouvement suspect, leur présence a aussi permis de dissuader toute attaque terroriste. Ces manœuvres militaires, menées conjointement par les militaires français et les FAMa, ont considérablement perturbé l’organisation des groupes armés terroristes, implantés dans la zone du Liptako. Cette opération a démontré la capacité et la détermination des deux forces à opérer loin de leurs bases habituelles.
A Ansongo, les militaires français ont effectué une descente au camp des FAMAs, où ils ont prodigué des conseils à ces derniers afin de renforcer la sécurité de l’enceinte militaire. Quelques kilomètres après le camp, le convoi de Barkhane a opéré une halte après avoir repéré un objet suspect ressemblant à un Engin Explosif Improvisé (EEI). Dans de pareilles circonstances et pour minimiser les dégâts, les militaires français appliquent une procédure dénommée » 5/25 « . Elle permet à l’équipe du génie militaire français de tourner autour de l’objet suspect jusqu’à 25 mètres afin de vérifier s’il ne comporte pas une charge explosive. C’était là une fausse alerte.
Non loin des lieux, il y avait un bus qui transportait plusieurs passagers, dont certains venaient du Niger voisin. Là encore, profitant d’une panne du véhicule, les militaires français ont échangé avec les passagers afin de les rassurer et aussi voir s’ils n’ont pas fait l’objet de tracasseries de la part des groupes armés terroristes durant leur trajet.
Toute la journée du lundi a été consacrée à des patrouilles et à des fouilles de grottes ainsi que des forêts. Lesquelles sont généralement utilisées par des terroristes comme zone de refuge. Le seul hic dans ce genre d’opération ce sont surtout l’environnement marqué par des dunes de sables à perte de vue et des terrains caillouteux. Sans oublier la température très élevée, pouvant atteindre les 60° à l’ombre. Des conditions qui éprouvent non seulement les militaires, mais aussi le matériel.
C’est la raison pour laquelle, des fois, le convoi était obligé de s’immobiliser quelque part dans le désert, à cause des pannes de véhicules. Il convient de signaler que les nuits, le convoi s’arrête pour permettre aux hommes de récupérer et à l’équipement d’être mis à niveau. Toutefois, il arrive que des véhicules, de manière individuelle, mènent des opérations au cas où une menace se profilerait.
A noter que, pour se reposer à la tombée de la nuit, les militaires installent ce qu’ils appellent une Base Opérationnelle Avancée Temporaire (BOAT). Il s’agit d’une base militaire sécurisée et fortifiée, située en avant-poste, et qui sert de support aux opérations tactiques.
Le lendemain, mardi 22 octobre, était marqué par les mêmes types d’opération. Le réveil se fait aux aurores et les manœuvres commençaient aussitôt. C’est ce jour là que les militaires français débarqueront à Indelimane, localité située dans la Commune de Talataye, cercle d’Ansongo, région de Gao.
Comme à Ansongo, les militaires français se sont rendus dans ce poste avancé des FAMa afin de leur prodiguer des conseils pour le renforcement de la sécurité de l’enceinte. Une démarche qui a été suivie par une patrouille pédestre, qui a permis aux militaires maliens et français de faire un tour au niveau des zones névralgiques comme la forêt, la marre, autour desquelles se regroupent généralement les terroristes.
Après cette patrouille, les militaires maliens et français ont tenu une rencontre avec les notabilités près de l’école publique d’Indelimane. Une occasion mise à profit par les militaires français pour échanger avec la population pour en savoir davantage sur les difficultés auxquelles elle est confrontée. Parmi les militaires qui échangeaient avec la population figurent notamment le Lieutenant Nouhoum Koné, Chef du poste avancé de Indeliman, l’adjudant Frantz de Barkhane, Officier chargé de coordonner la liaison avec les FAMa, l’Adjudant-chef Passi, chargé des actions civilo-militaires pour le compte de Barkhane.
Au cours de cette rencontre, il a été longuement expliqué à l’assistance que, sans leur implication, la lutte contre le terrorisme serait compromise. Par la même occasion, une action civilo-militaire a été initiée. Il s’agit de la distribution d’affiches comportant des numéros verts à travers lequels la population pouvait joindre les forces françaises en cas de menace.
L’occasion a aussi été mise à profit par le Chef de village d’Indelimane, Zeynedoun Ag Acheick Sidi pour faire part de quelques difficultés auxquelles la localité est confrontée. Lesquelles ont pour noms absence de réseau téléphonique, difficile accès à l’eau, entre autres. Il a également plaidé pour une réouverture de l’école publique, qui a fermé ses portes cette année scolaire après que les enseignants aient déserté la localité, craignant des attaques après le retrait des troupes françaises d’Indelimane passant le témoin aux FAMa.
Rappelons que c’est Barkhane qui a aussi permis de réhabiliter cette école en 2018. A en croire l’adjudant-chef Dembélé, que nous avons rencontré sur place, à Indelimane, il n’y a véritablement pas trop de problèmes entre l’armée et la population. Il nous a informés que celle-ci a souvent peur de parler aux militaires craignant des représailles de la part des terroristes. Il a également révélé qu’à Indelimane, les militaires se sentent des fois oubliés puisque n’ayant aucun moyen de joindre leurs proches et que leurs conditions de travail sont très précaires.
Le commandant du Camp loue la collaboration FAMa/Barkhane
Après cet échange avec la population, les forces partenaires sont retournées au camp des FAMa où nous nous sommes entretenus avec le commandant, le lieutenant Nouhoum Koné. Ce dernier a salué le partenariat entre Barkhane et FAMa. Un partenariat qui se manifeste à travers l’aménagement des différents postes militaires ainsi que l’instruction et le renforcement de la capacité des forces armées maliennes. Par ailleurs, il leur arrive aussi de mener des patrouilles conjointes et le partage d’informations sur le plan sécuritaire.
Le Lieutenant Nouhoum Koné a souhaité également que les autorités mettent tout en œuvre pour le maintien de ce partenariat. S’agissant des difficultés, le lieutenant nous a simplement dit « ça passe « . Sur place, nous avons rencontré des militaires maliens réellement déterminés et engagés, mais manquant souvent cruellement de moyens.
Pratiquement, c’est en début de soirée que le convoi a repris la route pour de nouvelles patrouilles à travers les blindés. Le convoi devait rejoindre un endroit situé à moins d’une centaine de kilomètres pour établir une BOAT. Le lendemain, mercredi 23 octobre a également été marqué par des patrouilles pour sécuriser les lieux. C’est ainsi que des fouilles ont été opérées dans des grottes, des forêts et des broussailles. Des vérifications sont aussi faites sur l’identité de personnes suspectes. Dans la même journée, un convoi de la force Barkhane est entré à Tin Hama, localité située à environ 60 km d’Ansongo.
Ici, l’armée malienne n’est pas encore installée, seuls quelques combattants du GATIA sont visibles par endroits. Outre les échanges pour rassurer la population, l’adjudant-chef Passi, chargé des actions civilo-militaires de Barkhane, a aussi discuté avec les travailleurs de la radio locale, à qui il a promis un soutien pour la diffusion des messages de paix et la sensibilisation sur le danger des engins explosifs.
Une visite a également eu lieu au Centre de Santé de la localité pour évaluer les besoins. La nuit tombée, c’est encore autour des BOAT que les soldats français de l’Opération Barkhane se regroupent pour récupérer et mettre à niveau la logistique déployée pour l’opération.
Le lendemain, jeudi 24 novembre, le convoi de Barkhane a débarqué à Tassiga, localité située à 30 km d’Ansongo. La veille, c’est dans cette localité que cinq combattants du mouvement armé CMFPR 2 (membre de la Plateforme), qui gardaient le site, ont été tués par des individus non identifiés, sur le site de Manganèse. Les soldats français ont même effectué une descente dans cette mine et procédé à des fouilles. Des suspects ont été interpellés avant d’être relâchés après avoir présenté un ordre de mission, attestant leur appartenance à un Groupe Armé Signataire (GAS).
Le convoi a ensuite effectué des patrouilles de dissuasion au niveau des deux ponts de Tassiga, ainsi que la forêt. Là aussi, comme dans les précédentes localités, où ils sont passés, les soldats de Barkhane ont échangé avec la population afin de les rassurer et évaluer leurs besoins dans le cadre des actions civilo-militaires. A signaler qu’une démarche similaire a également été entreprise au niveau de la localité de Lellehoy, située dans la commune de Bourra, Cercle d’Ansongo.
Les équipes cynophiles en première ligne dans les opérations
Au cours de cette opération, nous avons aussi constaté que les chiens étaient très sollicités. Ils font partie de l’équipe cynophile. Selon le caporal-chef Julien, qui dresse ces chiens, leur mission est d’œuvrer pour la sécurité de la zone.
Cette mission consiste en des fouilles de zone, la reconnaissance, la détection des engins explosifs improvisés. Ils ont aussi la capacité de sentir les poudres d’explosifs et d’armement. Ainsi, leur tâche principale, c’est donc l’appui à la recherche et à la détection d’explosifs (ARDE).
Une équipe médicale toujours déployée aux côtés des forces
Comme il arrive très souvent, à chaque fois que Barkhane mène des opérations, une équipe médicale est toujours disponible. Selon les explications du Capitaine Claire, médecin de son Etat, cette équipe est composée d’un médecin généraliste, deux auxiliaires sanitaires et un infirmier. Cette équipe prend place dans un VBCI disposant de toutes les commodités sanitaires. Sa mission consiste à soutenir les unités en opération. Parmi les ennuis de santé, très fréquents chez les soldats en opération au Mali, ce sont surtout les blessures par balle ou par engin explosif improvisé (EEI). Quelques rares fois, il peut y avoir aussi des cas d’indigestion.
Il est important de signaler que cette équipe ne soigne pas que les soldats français. Des militaires maliens sont également traités et même des suspects capturés. En tout cas, le personnel déployé peut mettre à la disposition du blessé les soins nécessaires avant son évacuation à la base de Gao, ou même en France pour les cas les plus sérieux. Les membres de cette équipe peuvent aussi être exposés au danger, comme cela est survenu avec le cas du médecin militaire Marc Laycuras, tué au Mali, le 2 avril dernier, après le passage du véhicule blindé à bord duquel il était sur un engin explosif improvisé.
Le travail du journaliste embarqué facilité par l’Officier Presse de Barkhane à Gao
Signalons que c’est la première opération du genre avec Barkhane à laquelle participe un journaliste d’un organe malien. Généralement, les missions, qui avaient lieu, comme à Ménaka, en février et Gossi, en avril, se limitaient à des actions ponctuelles. Cette mission vise carrément à partager le quotidien des militaires français déployés sur le terrain. Un travail impossible à mener sans l’équipe de communication de Barkhane.
Durant l’opération » Bellone 11 « , notre reporter a été assisté par l’Officier Presse de Barkhane à Gao, le lieutenant Florence. Une passionnée de lecture qui passait son temps à lire l’œuvre d’Aimé Césaire, » Cahier d’un retour au pays natal « . Son travail consistait non seulement à assurer la sécurité du journaliste, mais aussi à faire en sorte qu’aucun détail ne lui échappe au cours de l’opération.
Le bilan très positif du Colonel Pellabeuf
Commentant l’opération « Bellone 11 », le Colonel Rémi Pellabeuf, Chef de corps du Groupement Tactique Désert n°2 de l’Opération Barkhane, s’est réjoui de son déroulement. Pour lui, l’objectif principal était d’assister les FAMa dans leur mission de sécurisation du pays. Cela, même dans les zones les plus reculées. Il a indiqué que c’est la première opération menée par son unité sur un terrain pas très évident comme le Mali, où la chaleur et l’environnement éprouvent beaucoup les militaires.
Il a néanmoins exprimé sa satisfaction des contacts menés avec les FAMa, qu’il promet de maintenir. A l’en croire, l’objectif final de toutes ces manœuvres militaires c’est la montée en puissance de l’armée malienne, afin qu’elle puisse remplir convenablement ses missions régaliennes de sécurisation de tout le territoire national. Tout en louant les qualités des militaires maliens, il a promis que l’accent sera mis sur le développement de la collaboration. Selon lui, Serval a été une action fulgurante qu’il faut maintenant conjuguer avec l’action persévérante de Barkhane. Il a soutenu que le terrorisme sera vaincu au Mali et dans tout le Sahel, mais que le combat sera long.
Signalons que cette opération » Bellone 11″ vise à renforcer le partenariat militaire opérationnel avec les FAMa. Son objectif principal était l’organisation de patrouilles conjointes entre les FAMa et Barkhane dans les rues et autour de la ville, afin de rassurer la population.
Cette opération a eu lieu bien avant l’attaque du camp d’Indelimane, le vendredi 1er novembre dernier. L’entretien que nous a accordé le Chef du poste avancé des FAMa de cette localité, le lieutenant Nouhoum Koné, a été sa dernière sortie, puisque faisant partie des 54 victimes militaires. Cette mission nous a permis de comprendre les difficultés rencontrées par les militaires en opération, en partageant leur quotidien au jour le jour.
Massiré DIOP
Source: l’Indépendant