Les rolezinhos, rassemblements organisés sur Facebook qui réunissent des jeunes pauvres dans les centres commerciaux réservés à l’élite brésilienne mettent en évidence le malaise de la population face à une fracture sociale évidente.
Tout a commencé en décembre 2013, et comme d’habitude à l’heure du numérique, sur les réseaux sociaux. Des centaines de jeunes de la périphérie de São Paulo, la plus grande ville brésilienne, se sont donnés rendez-vous via Facebook dans un shopping center (des centres commerciaux qui ressemblent au mall américain) pour discuter, faire du rap, draguer. Lerolezinho, terme dont la traduction s’avère un exercice sémantique compliqué, peut être décrit comme un rassemblement bruyant d’amis. Littéralement, une petite balade.
Sauf que ces endroits, véritables temples de la consommation de la classe supérieure, sont devenus le symbole d’un apartheid social qui divise le pays depuis l’abolition de l’esclavage, au XIXe siècle. L’élite brésilienne, en somme, ne se mélange pas. Derrière cette fierté affichée d’une nation qui se vante d’avoir une population métissée et tolérante, se cache un certain racisme sous-jacent.
Ce premier rassemblement au mois de décembre a donc été traité comme une menace par la sécurité des magasins et de leurs clients, et réprimé par la police, relançant un débat sur les divisions sociales au Brésil, rappelle la ministre de l’égalité raciale, Luiza Barros. Selon elle, les problèmes autour du rolezinho viennent du fait que les clients blancs sont effrayés par cette foule de jeunes de la périphérie, la plupart métis ou noirs.
« Il existe une partie de la société qui ne tolère pas leur présence dans certains endroits. Il s’agit d’une discrimination sociale explicite », a-t-elle déclaré au quotidien Folha de Sao Paulo.
Les rolezinhos ressemblent aux sit-ins des noirs américains dans les années 50 et 60
Pour la ministre, les rolezinhos, qui se propagent et prennent l’allure d’un mouvement social, ressemblent en partie aux sit-ins des noirs américains dans les années 50 et 60, organisés pour protester contre la ségrégation dans les espaces publics, principalement ceux dédiés aux loisir.
Au Brésil des années 2000, ces jeunes pauvres osent donc franchir une frontière et envahir un territoire qui ne leur appartient pas et où ils ne sont pas les bienvenus. Les commerçants appellent systématiquement la police, craignant des débordements. Des enquêtes ont même été lancées pour vérifier des dénonciations de vol lors du premier rassemblement, qui a réuni presque 3 000 jeunes. Plusieurs interpellations ont d’ailleurs eu lieu.
Dans un pays où le délit de faciès est courant, la répression peut s’avérer violente, ce qui a amené la ministre a demander aux préfets de police des villes concernées de respecter l’intention pacifique des rassemblements. Le gouverneur de l’état de São Paulo, Geraldo Alckmin, a réagi et a dit que la police fera son travail en cas d’émeutes ou de délits.
La présidente Dilma Rousseff, quant à elle, s’inquiète. A quelques mois de la Coupe du monde, les rolezinhos sont le présage d’une nouvelle vague de manifestations comme celles qui ont gagné le pays au mois de juin. Sa crainte est que les black blocs, casseurs qui s’infiltrent lors des manifestations pour semer la violence, s’approprient le mouvement.
Sur les réseaux sociaux, la polémique enfle
Les rolezinhos se multiplient partout dans le pays et les participants ont déjà prévu au moins une dizaine de manifestations dans les prochains jours, dans plusieurs établissements à São Paulo et à Rio. La page Facebook « Partiu, rolezinho no shopping », compte déjà plus de 6 000 fans, et d’autres ont surgi dans la foulée du succès du mouvement.
Sur les réseaux sociaux, c’est le sujet aussi le plus commenté. La hashtag #rolezinho rassemble les avis des internautes, souvent partagés, sur Twitter et Facebook, ce dernier étant la place virtuelle qui rassemble ces jeunes. L’adhésion est impressionnante : le premier rassemblement, par exemple, a réuni presque 3 000 personnes.
A l’origine, les rolezinhos ont fait leur apparition en 2012, sans aucune connotation politique. Le but était de promouvoir des rencontres entre les célébrités virtuelles de la périphérie. Lors de ces rencontres, des adolescents commeVinicius Andrade, 17 ans, par exemple, qui possède plus de 80 000 abonnés sur Facebook, passait du temps avec ses fans – la plupart des jeunes filles de son quartier.
Avec la politisation des rolezinhos, ce ne serait pas étonnant que ces jeunes deviennent maintenant des célébrités de la vie réelle, en tant que fers de lance d’un mouvement qui devient social et qui n’a pas l’air de s’affaiblir.