Le Mali s’engage résolument dans une stratégie de renforcement de son contrôle sur les leviers économiques majeurs et de modernisation de son administration. Les décisions du Conseil des Ministres du vendredi 27 juin 2025 à Koulouba, sous la présidence du Général d’Armée Assimi Goïta, Président de la Transition, s’inscrivent pleinement dans cette démarche. Ces mesures, allant de l’autonomisation législative à la reprise en main d’actifs miniers stratégiques, dessinent un État plus souverain, agile et déterminé à optimiser la gestion de ses ressources.
Cette dynamique nouvelle éclaire également la fermeté de Bamako dans le litige qui l’oppose à Barrick Gold concernant le complexe aurifère de Loulo-Gounkoto. C’est dans ce sens que le gouvernement malien a consolidé sa capacité d’action et ses outils de gouvernance à travers plusieurs initiatives clés qui concernent les réformes Institutionnelles liées au secteur aurifère, douanier et des transports et la modernisation administrative des structures de gestion dédiées.
La décision la plus emblématique de ce Conseil des Ministres concerne le secteur minier, avec la cession des parts de l’État dans les sociétés des Mines d’Or de Yatéla S.A. et de Morila S.A. à la Société de Recherche et d’Exploitation des Ressources Minérales du Mali (SO.RE.MI.MA) S.A. Cette initiative marque une volonté politique claire de reprendre le contrôle direct sur des actifs aurifères stratégiques. Créée en 2000, la mine de Yatéla a vu ses activités suspendues en 2016 suite à une baisse des cours, malgré des réserves non épuisées. Face au désengagement de Sadiola Exploration Limited, l’État malien a acquis 80% des actions le 16 octobre 2024, prenant ainsi le contrôle total pour éviter la fermeture et sauvegarder les emplois. Quant à la mine de Morila, également établie en 2000, avec un capital initialement détenu à 20% par l’État, elle a connu des difficultés similaires. Après le désintérêt des opérateurs Anglogold Ashanti et Randgold Resources, puis l’abandon par Firefinch Limited en 2022, laissant d’importants passifs environnementaux et financiers, l’État malien a signé un protocole d’accord avec Firefinch le 6 mai 2024 pour en assurer la reprise.
Ces cessions gratuites à la SO.RE.MI.MA S.A. visent à combler le vide de gouvernance laissé par le départ des opérateurs privés. Elles s’inscrivent dans une logique de protectionniste et de patriotisme économique sur des ressources stratégiques et souveraines, affirmant la détermination de l’État malien à gérer directement l’exploitation de ses richesses aurifères, garantir la continuité des opérations et préserver les emplois locaux. Tout en renforçant la souveraineté du pays au plan intérieur.
Le conflit persistant avec Barrick Gold sera un test grandeur nature de notre puissance sur la gestion des ressources minérales du Mali, du nord au sud et d’est en ouest.
La reprise des mines de Yatéla et Morila renforce la stratégie du Mali de consolider son emprise sur le secteur minier et contextualise la position ferme de l’État face à Barrick Gold concernant le complexe aurifère de Loulo-Gounkoto. Ce différend majeur met en lumière une confrontation aux enjeux financiers, souverains et réputationnels considérables. Pour rappel, à l’origine de ce litige, après des mois de tensions et la suspension de la production par Barrick Gold en janvier 2025, l’État malien a pris le contrôle provisoire de la mine de Loulo-Gounkoto. Cette décision prise le16 juin 2025 fait suite à des revendications financières gouvernementales, estimées entre 300 et 600 milliards de FCFA (environ 529 millions à 1,05 milliard de dollars US), que Barrick conteste fermement. Loulo-Gounkoto est un actif stratégique, ayant produit plus de 800 000 onces d’or en 2024, soit un tiers de la production industrielle du pays. L’impasse a persisté malgré une tentative de règlement à l’amiable en février 2025, marquée par le blocage des exportations d’or en novembre 2024 et la saisie de trois tonnes d’or par les autorités début 2025. La désignation d’un ancien ministre de la Santé, Soumana Makadji, comme administrateur provisoire, bien que non expert minier, souligne la forte volonté politique de l’État d’affirmer son contrôle et de restaurer les revenus vitaux.
Voies juridiques et risques
La décision du Tribunal de Commerce de Bamako de placer la mine sous administration provisoire pour six mois a été immédiatement contestée par Barrick, qui a interjeté appel au niveau national et déposé une requête auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette double approche teste la complexité du différend. Pour le Mali, l’administration provisoire offre un contrôle immédiat et une perspective de revenus, mais elle expose le pays à un risque juridique international et à des dommages réputationnels. Pour Barrick, l’appel et le CIRDI visent à retrouver le contrôle de son investissement. La coexistence de voies juridiques nationales et internationales est un test crucial pour la protection des investisseurs et l’applicabilité des traités d’investissement, susceptible de créer un précédent en Afrique de l’Ouest.
Cependant, un impact sur l’investissement et la production est espéré pour contrecarrer ce conflit qui envoie un signal ambivalent aux investisseurs étrangers. Bien que le Mali ait été retiré de la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) le 13 juin 2025, reconnaissant ses progrès en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, par cette dispute, Barrick cherche à saper la confiance et la prévisibilité du cadre d’investissement. L’expiration du permis de Loulo en février 2026 représente un enjeu capital pour Barrick (perte potentielle de l’investissement) et un levier stratégique puissant pour le Mali (possibilité de nationalisation sans compensation), poussant inévitablement vers une crispation des positions entraînant de gré une résolution par les voies juridiques ou un règlement à l’amiable avec versement des sommes réclamées.
Cette perspective de Résolution semble même s’éloigner en dehors des trois scénarios principaux qui restaient les dernières cartes.
Le règlement à l’amiable : les parties parviennent à un accord mutuellement acceptable, permettant la reprise de la production. Cela nécessitera un apprentissage des échecs précédents et un véritable compromis ; la résolution par le CIRDI : le différend est tranché par l’arbitrage international, avec des implications financières et réputationnelles significatives pour la partie jugée en tort ; l’impasse prolongée et expiration du permis : le conflit perdure au-delà de février 2026. Le Mali pourrait obtenir le contrôle juridique total, mais au prix d’une perte de revenus immédiats et de graves dommages réputationnels à long terme pour l’attractivité minière.
Conclusion, la vérité à entendre pour que le Mali soit souverain sur son or et parvienne à structurer le marché de l’or, ce sont les dernières décisions du Conseil des Ministres du 27 juin 2025. Elles marquent une étape décisive dans l’affirmation de la souveraineté malienne par la reprise en main des mines d’or de Yatéla et Morila avec la création de la SO.RE.MI.MA, combinée à l’ambition de moderniser l’administration et les infrastructures logistiques. Ce qui démontre une volonté politique claire de l’État de reprendre le contrôle de ses richesses et de rationaliser ses opérations.
Face à des géants miniers comme Barrick Gold, le Mali envoie ainsi un message fort : les partenariats devront désormais s’inscrire dans des cadres équilibrés et transparents, sous peine d’une intervention directe de l’État pour protéger ses intérêts nationaux. Le défi pour le Mali est désormais de maintenir cet équilibre délicat entre l’affirmation de sa souveraineté et la préservation d’un climat d’investissement international propice à son développement durable.
Khaly-Moustapha LEYE