La traditionnelle rentrée solennelle des Cours et Tribunaux 2018-2019 a eu lieu, hier jeudi, dans la grande salle de 1 000 places de la Cour suprême de Bamako, maison de la justice et incarnation du pouvoir judiciaire en matière judiciaire, administrative et de comptes, sous le patronage du Président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature, Ibrahim Boubacar KEITA. Le thème de cette année est : « La Justice, facteur de croissance et de progrès ».
C’était en présence du Premier ministre, du président de la Cour suprême, Nouhoum TAPILY ; du Procureur général près la Cour suprême, Wafi Ougadeye CISSE ; du rapporteur du thème, Adama COULUBALY, Substitut du procureur de la République près du Tribunal de grande instance de la Commune VI du District de Bamako ; et du Bâtonnier de l’ordre des Avocats du Mali, Me Alassane SANGARE.
On y notait également la présence des Présidents des Institutions de la République, des ministres, des autorités administratives et politiques du District de Bamako et de la Commune VI du District de Bamako, de la famille judiciaire, notamment les magistrats, les greffiers, les officiers de police judiciaire, des avocats, des représentants des organisations de défense des droits de l’homme, des associations de la société civile, des leaders religieux, etc.
La cérémonie d’ouverture a été marquée par les interventions du président de la Cour suprême, du Juge rapporteur du thème de la présente rentrée, le Procureur général et le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats, et enfin celle du Président IBK qui, à la fin de l’audience, a procédé à la signature du Plumitif.
Le choix du thème :
Selon le président de la Cour suprême, le choix du thème de la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux de cette année : « La Justice, facteur de croissance et du progrès » n’est pas le fruit du hasard. Il procède de leur souci de lever un coin du voile sur un aspect de la justice, très souvent méconnu du grand public.
« La Justice, qu’elle soit considérée comme un principe moral, qui fonde le droit de chacun, ou comme le pouvoir judiciaire, chargé de faire régner le droit, de punir et de récompenser, selon le cas, ou encore comme l’ensemble des organes chargés d’administrer la justice, est nécessaire au bon fonctionnement de tout État de droit », a-t-il noté.
Avant d’ajouter : « Facteur de croissance et de progrès, oui, la justice l’est. Parce qu’elle est facteur de paix, de stabilité sociale, de sécurité, sans lesquels aucun développement n’est possible ».
Pour M. TAPILY, le développement d’un pays pourrait même être mesuré à l’aune de la façon dont sa justice est rendue.
Ainsi, a-t-il fait savoir, la croissance ou le progrès qui n’est pas soutenue par une justice forte, indépendante et impartiale est précaire ; et inversement, la justice qui n’est pas soutenue par une croissance économique forte, susceptible de lui fournir les moyens de son indépendance, est fragile.
Par ailleurs, a-t-il expliqué, mieux la justice est rendue, plus elle attire les investisseurs, et plus il y a des investissements dans un pays et celui-ci peut aspirer à la croissance et au progrès.
Pour ce faire, a-t-il souligné, il serait judicieux de renforcer le système judiciaire lui-même par le biais du renforcement de l’indépendance de la justice en dotant l’administration judiciaire de moyens adéquats lui permettant d’exécuter convenablement sa mission. Aussi, suggère-t-il, de mettre surtout le juge à l’abri de la précarité et de la tentation en adoptant des mesures incitatives telles les facilités d’accès au crédit logements, équipements, et l’amélioration de leurs rémunérations pour lesquelles, reconnaît-il, le gouvernement a déjà consenti d’énormes efforts, ces dernières années.
Le réquisitoire du Procureur
Le Procureur général près la Cour suprême, dans son réquisitoire, s’est appesanti sur l’apport de la justice dans le flux financier du budget national.
« Ainsi en matière civile, les divers frais de procédure et d’enregistrements sont versés au Trésor. En matière pénale, les états financiers de janvier 2012 à septembre 2017 de la Brigade économique et financière du Pôle économique et financier du Tribunal de grande instance de la Commune III du District de Bamako, font ressortir un montant global de 3 417 404 419 FCFA, au titre de paiement effectué en cours d’enquêtes. De même, au cours de la période 2015-2016, le Pôle économique de Bamako a recouvré la somme de 4 698 393 763 de FCFA ».
Le Procureur général a profité de l’occasion pour dénoncer les difficultés d’accès à la justice dans certaines zones ; la non-opérationnalité de certaines juridictions créées en 2011, donnant ainsi l’impression de frustration avec « deux poids et deux mesures ».
« Commet la justice peut être efficace, lorsque la loi qui régit son instance suprême, entrée en vigueur depuis 2016, ne connaît pas encore son application intégrale », s’est-il interrogé ?
Par ailleurs, il a déploré le renouvellement sans cesse de l’état d’urgence. Ce qui compromet l’indépendance de la justice, la preuve : « l’état d’urgence est une situation exceptionnelle qui porte atteinte aux droits et libertés individuels des citoyens puisqu’excluant du contrôle du pouvoir judiciaire, constitutionnellement gardien de ces droits et libertés », s’est-il défendu.
Le plaidoyer
Quant au bâtonnier de l’ordre des avocats, il a dépeint le tableau peu reluisant de notre justice qui, sans moyens, ne pourra jouer toute sa partition dans l’œuvre de construction et la stabilité nationale.
« Là où les droits et les libertés sont bafoués, la justice n’a point joué son rôle protecteur, comme ce fut le cas récemment dans notre pays », a-t-il rappelé.
Face à cette situation, Me SANGARE s’est interrogé si la justice constitue réellement un pouvoir ? Une institution doit-elle user du droit de grève comme moyen de revendication ? Le juge en se prévalant de son droit de grève, du reste reconnu par la Constitution, ne se soumet-il pas volontairement aux lois qui régissent cette matière ? (Art 21 de la Constitution). Le juge, chargé d’appliquer la loi, n’est-il pas lui-même un sujet de droit ? Citoyen avant d’être juge, pourquoi refuse-t-il de se soumettre aux lois et règlements de la République ? Les revendications corporatistes peuvent-elles justifier les violations de la loi auxquelles nous avons assisté récemment ? Assurément non, a rétorqué le bâtonnier.
Selon lui, l’insécurité judiciaire qui caractérise un pays a pour corolaire la fuite des investisseurs. À cet égard, dira-t-il, le sursaut devient une exigence du moment, à savoir : réconcilier les populations avec leur justice ; moraliser la vie publique ; et d’ancrer dans les mentalités la mission de service public de l’État, à travers la justice.
Le Bâtonnier a invité le Président IBK, comme il sait le faire, pour l’avoir déjà fait en d’autres circonstances, « à tendre la main à ceux d’entre vos collègues magistrats ou autres simples citoyens pour qui l’intérêt du Mali est au-dessus des avantages matériels, de la fortune et convenances personnelles et partisanes ».
Enfin, il a rappelé que la justice est indispensable et les magistrats, sans être la justice, l’incarnent cependant, car ils en constituent l’un des acteurs indispensables, chargés de l’animer.
Le cri de cœur d’IBK
Laissant parler son cœur, le Président IBK dira que les thèmes de rentrée solennelle des Cours et tribunaux, comme chaque année, sont d’une pertinence réelle et singulière.
Le Président IBK dira que la croissance reposant sur l’effort collectif, conjugué et aboutissant à un cumul de biens et de revenus permettant une bonne redistribution sur l’ensemble national, cela sera impossible si ce mode de règlement des relations entre ceux qui sont les mêmes membres d’une société donnée ne fonctionne pas. D’où, son intérêt pour « la justice et ce que font les personnes qui l’animent. Nous avons de réelles ambitions à être à un autre niveau. Dès lors, comment ne pas penser aux conditions de travail des magistrats et administrateurs et autres agents, dont la mission et la vocation sont de servir cette patrie malienne ». Et de souligner : « l’État ne peut pas être une loque. L’État ne peut pas inspirer la pitié, la commisération, non ! L’État doit être digne, avenant, attractif, ceux qui le servent doivent inspirer le respect, la dignité et l’envie », a expliqué Ibrahim Boubacar KEITAT.
De l’avis du président IBK, si le Mali peut être parmi les pays qui prennent les décisions dans le monde, en toute dignité, sans raser le mur, c’est en raison de la grande résilience du peuple malien et des décisions qui ont été prises, en son nom et place, qui ont fait qu’aujourd’hui, le Mali s’est redressé sur ses deux pieds parmi les nations fières, dignes et libres. Cela doit être connu des Maliens.
Le Président IBK s’est félicité de la tenue à date de la présidentielle de 2018, au moment où certains doutent.
« Cela s’appelle le respect du droit. Nous ne sommes pas un État voyou, nous ne sommes pas un État irresponsable. Nous avons tellement souci de dignité et d’honneur pour ce pays que nous faisons tout pour nous mettre à l’abri de ce qui peut être hors-la-loi ou semblant de l’être. Les manques, nous les connaissons, nous tâcherons autant que nous puissions le faire dans la mesure des moyens que nous tâcherons toujours de rehausser pour que vous soyez dans les conditions de grande dignité », a-t-il déclaré.
Le Président de la République a profité de l’occasion pour révéler que le Premier ministre a soumis un avant-projet de loi de programmation pour s’assurer à ce niveau que ce qui sera décidé en faveur des magistrats sera effectué avec rigueur.
Le Président IBK dit souhaiter que « notre justice respire à la même hauteur que les autres justices du monde ; qu’elle soit à l’aise dans son monde ; qu’elle soit contemporaine de son siècle ; cela nous coûtera, ce qu’il nous coûtera, mais nous le ferons, pas pour la peur ou la crainte, mais parce que c’est notre devoir de le faire », a-t-il conclu.
Enfin, le Premier Magistrat du Mali a vivement remercié et félicité les différents intervenants pour le professionnalisme avec lequel ils ont abordé et traité le sujet du jour combien délicat et complexe !
Le Président IBK les a rassuré que le gouvernement œuvre à l’approfondissement et à la résolution des problématiques par eux, fort opportunément, soulevées.
À la fin de l’audience, le Président de la république a signé le plumitif d’audience. Sa signature a été suivie par celle du greffier en chef.
En effet, c’est sur cette action que le Président IBK déclare solennellement ouverte l’année judiciaire 2018-2019.
La cérémonie a pris fin par la remise des exemplaires des Arrêts compilés de la Cour suprême sous forme de Recueil au chef de l’État par le président de la Cour suprême.
Par Sékou CAMARA
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