Signé en 2000 entre l’Union européenne (UE) et les pays d’Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP), l’accord de Cotonou a expiré en fin février 2020. Et le processus de renégociation est enclenché. L’Afrique a ainsi l’opportunité de remettre sur la table ses griefs et ses frustrations pour exiger un partenariat équilibré. Et elle ne manque pas d’atouts pour se faire enfin respecter.
Tirer les leçons du passé pour établir un meilleur partenariat entre les pays africains et l’Union européenne ! C’est le conseil que donne aux négociateurs africains Dr. Cheikh Tidiane Dieye, directeur exécutif du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (CACID) basé à Dakar (Sénégal), qui était «L’Invité» de RFI dans les éditions matinales du 16 février 2020.
L’expert faisait ainsi allusion aux négociations en cours à Bruxelles (Belgique) pour renouveler l’accord dit de Cotonou (Benin) qui expire à la fin de ce mois de février 2020. Signé en 2000, cet accord est le cadre général dans lequel s’inscrivent les relations entre l’Union européenne et les pays Afrique-Caraïbe-Pacifique (ACP).
Très critiqués par des intellectuels et surtout par le mouvement altermondialiste, les accords de partenariat économique (APE) en constituent le volet commercial. A une semaine de la fin de cet accord déséquilibré pour les économies africaines (29 février 2020), la dernière ligne droite des négociations est désormais amorcée à Bruxelles. Mais, comme le conseille Dr. Cheikh Tidiane Dieye, les Africains ne doivent plus céder à aucun diktat, surtout ceux du temps et de la pression (économique et diplomatique) de l’Europe.
Elle a aujourd’hui les cartes en main pour négocier en position de force. D’ailleurs l’Afrique n’a jamais été en position de faiblesse que par la frilosité et le complexe politico-culturel de ses dirigeants. Il est temps que la donne change car, comme le souligne si pertinemment Dr Dieye, «tout comme l’UE, les pays africains ont changé». Et dans le bon sens ! Ne serait-ce que par l’éveil progressif de la conscience citoyenne et panafricaniste qui fait que les Africains sont de moins en moins complexés et ont compris qu’il leur revient de prendre leur destin en main.
Le Brexit est un atout capital pour le continent dans la renégociation de l’Accord de Cotonou, dont les APE ont été d’ailleurs difficiles à mettre en œuvre dans la plupart des cas. La sortie de la Grande Bretagne fragilise l’UE qui se retrouve à 27 maintenant au lieu de 28. L’Europe se voit ainsi amputer d’un gros morceau car le Royaume Uni représente 15 % de l’aide européenne au développement. L’incidence n’est donc pas négligeable sur la capacité d’intervention financière de l’UE.
Les paradigmes doivent changer au bénéfice des changements en Afrique
L’autre atout, c’est que l’éveil des consciences évoqué plus haut a poussé les dirigeants du continent à enfin oser donner une nouvelle impulsion à l’intégration économique du continent à travers la zone de libre échange continental. «C’est un accord extrêmement important pour le continent», analyse Dr. Cheikh Tidiane Dieye. Pour le directeur exécutif du CACID, «des progrès économique importants ont été enregistrés au niveau des régions africaines… Des atouts que l’Afrique doit mettre sur la balance pendant ces négociations afin que l’accord soit mutuellement bénéfique».
Et d’ajouter, «si la coopération entre l’UE et les ACP doit se poursuivre, les paradigmes doivent changer». Et cela est d’autant nécessaire que, précise l’Expert interrogé par RFI, «l’Union européenne est restée dans le même paradigme depuis plusieurs années avec toujours la même perception de l’Afrique oubliant qu’elle avait considérablement changé. La présence de nouveaux pays comme l’Inde, le Brésil et la Chine a donné au continent de nouvelles possibilités économiques et une capacité de diversifier ses partenaires économiques et commerciaux».
De nos jours, dans les négociations, l’UE met l’accent sur les questions liées à la migration, à la gouvernance, aux défis climatiques et aux problèmes sécuritaires. Mais, les Africains ont d’autres priorités dont d’ailleurs la prise en charge efficiente peut contribuer à considérablement réduire la pression de la migration clandestine et des menaces sécuritaires sur leurs «partenaires européens». Et cela dans la mesure où elles doivent aboutir à l’émergence économique, donc à la réduction de la pauvreté et des inégalités sur le continent.
«Ce qui est prioritaire pour l’Afrique aujourd’hui, ce sont les questions économiques et de développement. Comment faire que la question de la transformation structurelle soit une réalité au niveau du continent. Comment faire que l’industrialisation puisse aller de l’avant en Afrique», définit Dr Dieye.
Dans une négociation, chacune des parties met en avant ses priorités, ses intérêts. Nos négociateurs doivent le comprendre et renégocier l’Accord de partenariat économique en ayant à l’esprit que le Brexit, la Zone de libre échange continentale qui démarrera le 1er juillet prochain, l’intérêt des pays émergents (Chine, Brésil, Turquie, Inde, Russie…) pour le continent…. sont autant d’atouts qui font que l’Afrique a les cartes nécessaires en main pour avoir enfin un accord qui ne lui est pas défavorable !
Moussa Bolly
Le Matin