Selon l’ancien ministre en charge des Relations avec les institutions, Abdoulaye Sall (2011-2012), la transition est la période appropriée pour mener des reformes refondatrices.
Les réformes politiques et institutionnelles à mener pour refonder le pays sont au cœur du débat au Mali. Ancien ministre chargé des Relations avec institutions et président du Cercle de réflexion et d’information (Cri), Abdoulaye Sall a été aussi enseignant, inspecteur des sociétés et entreprises d’État avant de diriger l’Office des produits agricoles du Mali (Opam). Il décrypte, pour Benbere, les enjeux des reformes.
Benbere : Quelle analyse faites-vous des crises que connait le Mali depuis 2012 ?
Abdoulaye Sall : En réalité, dans la construction démocratique, il faut s’attendre à des crises et des conflits. Il faut savoir transformer ces crises et ces conflits en opportunités nouvelles pour pouvoir progresser. Il y a eu cette crise qui a pris une dimension multidimensionnelle : d’une crise politique, sanctionnée par un coup d’État, nous avons vu l’occupation des 2/3 du pays. Nous avons lancé un appel à la communauté internationale pour venir nous aider rapidement à arrêter l’occupation du territoire et rebâtir notre système démocratique.
Pendant la transition en cours, il est surtout question de réformes. Que pensez-vous du nouveau projet de réforme territoriale ?
Il s’agit d’une réforme territoriale et non administrative. Si vous prenez la loi portant organisation territoriale, il est dit que l’organisation territoriale du Mali est bâtie sur les circonscriptions administratives et les collectivités territoriales. Les circonscriptions administratives consacrent une mission régalienne de l’État. C’est pourquoi, au niveau des circonscriptions administratives, vous aurez les gouverneurs, les préfets et les sous-préfets. Au niveau des collectivités territoriales, les maires, les présidents des conseils régionaux, les présidents du conseil de cercle élus par les populations elles-mêmes. Les collectivités incarnent la décentralisation. La réforme territoriale doit prendre en compte à la fois la sauvegarde des missions régaliennes de l’État à travers les circonscriptions administratives et également garantir pour les populations de pouvoir s’administrer librement à travers leurs organes élus et les collectivités territoriales.
La transition est-elle la période appropriée pour mener des réformes politiques et institutionnelles ?
C’est en période de transition qu’on réalise les plus grandes réformes. Les pays sahéliens, qui ont connu des coups d’État, ont réalisé les plus grandes réformes pendant la transition, à commencer par la réforme constitutionnelle. Parce que la Constitution est le fondement de l’État.
Il est dit certainement que les autorités de transition ne sont pas partisanes. Or, en démocratie normale, le président de la République essaie de privilégier son parti au détriment des autres. Les réformes importantes, comme la réforme constitutionnelle, exigent qu’il y ait des hommes et des femmes qui mettent l’intérêt du Mali au-dessus. Nous devons tirer les leçons et les enseignements du passé.
La Constitution malienne du 2 juin 1974, sous la 2e République, a été promulguée par Moussa Traoré [Comité militaire de libération nationale, CMLN). La Constitution actuelle, qui date du 25 février 1992, l’a été par Amadou Toumani Touré [Comité de transition pour le salut du peuple, CTSP]. C’est dire que ces deux constitutions ont été adoptées et promulguées sous des régimes d’exception.
Vous avez toujours prôné la responsabilisation des légitimés traditionnelles dans la gestion des conflits locaux. Pourquoi ?
En 2012, les 2/3 ont été occupés, l’administration a fui tout comme les maires, les conseillers municipaux dans le Nord du pays (Gao, Tombouctou, Kidal jusqu’aux environs de Hombori et Douentza). Ce sont les autorités traditionnelles et coutumières qui sont restées. Il s’agit principalement des chefs de quartiers, de villages et de fractions, reconnus par la loi qui crée et administre les villages. Et cette loi leur confère trois attributions essentielles : missions de service public, mission de contribuer à la mobilisation des ressources internes au niveau des collectivités territoriales et mission de règlement des conflits. C’est pourquoi, nous avons retenu comme partenaires stratégiques opérationnels les autorités coutumières et traditionnelles dans la gestion des conflits.
Quel peut être le rôle des légitimités traditionnelles pour le retour de la paix et de la réconciliation nationale ?
Il faudrait qu’elles arrivent, au niveau des villages, fractions ou quartiers à s’occuper de la gouvernance avec les familles, les personnalités influentes pour pouvoir prôner le vouloir-vivre entre les communautés. Elles peuvent également travailler avec les collectivités territoriales, à travers les organes délibératifs, pour pouvoir mobiliser les ressources internes pour que les populations dans les villages, fractions ou quartiers trouvent satisfaction à leurs besoins essentiels immatériels : information, sensibilisation sur la démocratie et la décentralisation. Et les besoins matériels aussi : sécurité alimentaire, emplois ruraux, etc. La troisième attribution, la plus importante, est le règlement des conflits. Les autorités traditionnelles peuvent travailler sur les trois dimensions du règlement des conflits : la prévention, la gestion et la non-répétition de ces crises et de ces conflits.
D’aucuns pensent que la répétition de ces crises est le résultat de l’effritement de la société, caractérisé par l’abandon des valeurs fondamentales. Que répondez-vous ?
Si vous vous référez à la Politique nationale de la citoyenneté et du civisme [2017], il est dit qu’il y a deux maux qui minent la gouvernance dans notre pays : l’effritement de l’autorité parentale et celui de l’autorité de l’État. Mais tout le monde s’acharne sur l’effritement de l’autorité de l’État. Comment les familles sont aujourd’hui gérées ? Comment les frères et sœurs vivent entre eux ? Comment les voisins et les communautés vivent entre eux ?
C’est pourquoi, il y a trois axes majeurs qui sont retenus dans le cadre de la refondation de l’État. Il faudrait revoir la problématique de la gouvernance au niveau des villages, fractions et quartiers pour mettre au cœur de celle-ci les chefferies traditionnelles, les autorités traditionnelles, les familles et les personnalités influentes. Ensuite, il y a la refondation de la citoyenneté et du civisme. Enfin, le plus important, est la refondation des savoirs.
Source : Benbere