Les militaires au pouvoir au Mali, au Niger et au Burkina Faso reprochent à la Cédéao de leur avoir imposé des sanctions “illégales et illégitimes”.
Pourtant, la Cédéao, qui regroupe 15 pays, s’est toujours opposée aux coups d’Etat. Fidèle à ses statuts qui ne reconnaissent pas les putschs, elle a donc logiquement imposé des sanctions économiques à ces trois pays. Elle n’a fait qu’appliquer les textes que ces trois pays ont signés en adhérant à l’organisation.
Le reproche du deux poids, deux mesures
Parmi la liste de reproches que ces Etats adressent à la Cédéao, il y a aussi la question sécuritaire. Les juntes au pouvoir reprochent à l’organisation régionale de ne pas les avoir aidés dans la lutte contre les groupes djihadistes.
Patrick Mboyo, chercheur en droit public et en sciences politiques, estime en effet que la Cédéao n’a pas vraiment assisté ces pays. En particulier le Mali, bien avant le putsch de 2020, quand les djihadistes menaçaient Bamako en 2012 et 2013, ce qui a conduit à l’intervention militaire française.
“On n’a jamais vu un sommet convoqué avec fracas, avec une activité médiatique et diplomatique intense, de la même manière qu’il y a eu après les coups d’Etat au Niger et au Burkina Faso, rappelle Patrick Mboyo à DW Afrique.
Donc, lorsque les populations meurent et sont confrontées à des situations difficiles, on n’entend pas la parole de la Cédéao, on ne voit pas l’action des dirigeants de la Cédéao. Mais quand il s’agit de presser les autorités militaires à rendre le pouvoir au civil, ce qui est tout à fait normal, on voit une action qui est pressante. C’est cette dichotomie qui pose problème pour que la voix de la Cédéao soit comprise.“
La cohésion africaine
Les militaires reprochent aussi à la Cédéao d’avoir oublié les idéaux des pères fondateurs et du panafricanisme.
Mais au contraire, selon l’analyste politique Bara Ndiaye, c’est la multiplication des coups d’Etat militaires, ainsi que le morcellement de l’Afrique de l’Ouest, qui est contraire à l’esprit qui prévalait après les indépendances.
“Ce n’est pas bon pour la cohésion et l’unité africaine, déclare Bara Ndiaye. Effectivement, on pourrait se dire que les pères de l’unité africaine, comme Nkwame Nkurumah (ancien président du Ghana, ndlr), doivent se retourner dans leur tombe. Je pense que la Guinée, le Mali, le Niger, le Burkina et la Cédéao doivent faire des compromis, “ conseille l’analyste.
Quid de l’UEMOA ?
Les juntes reprochent aussi à la Cédéao d’être inféodée aux puissances étrangères. Mais de ce point de vue, elles font preuve de pragmatisme, comme l’explique l’analyste politique et fondateur du Think Thank Wathi, Gilles Yabi.
Celui-ci souligne ainsi qu’il y a certes une annonce de retrait de la Cédéao, mais ces Etats n’annoncent pas leur sortie de l’Union économique et monétaire ouest africaine, dont la monnaie commune est le franc CFCA, une monnaie souvent désignée comme étant “néocoloniale“ et contrôlée par la France :
“L’intégration au sein de l’UEMOA est beaucoup plus importante que l’intégration au sein de la Cédéao qui est un bloc plus large. Ces pays savent bien qu’un retrait de l’UEMOA aurait des conséquences économiques beaucoup plus importantes et vous ne pouvez pas renoncer à une monnaie lorsque vous n’en avez pas une autre qui est prête. Et cela ne se décrète pas en publiant simplement des communiqués”, analyse le chercheur dans une interview à la Deutsche Welle.
Retour du pouvoir aux civils
Cette sortie annoncée de la Cédéao pourrait permettre aux militaires de s’affranchir des règles démocratiques de l’institution. En effet, des élections étaient prévues au Mali et au Burkina Faso en 2024.
Elles étaient censées assurer le retour à un gouvernement civil, préalable exigé par la Cédéao pour lever ses sanctions et rétablir ces pays dans ses instances décisionnelles.
Mais les juntes en place semblent avoir choisi de prolonger leur présence au pouvoir, en invoquant une lutte anti-djihadiste, dont les résultats sont encore très incertains.
DW