Auditionné ce lundi 19 novembre 2018 par la commission de l’Assemblée nationale du Mali sur la prorogation du mandat des députés, l’ancien Premier ministre Moussa Mara rejette catégoriquement l’avis ‘’inconstitutionnel’’ de la Cour constitutionnelle au risque de ne s’engouffrer dans une voie sans issue avec des cycles de renouvellements du mandat des députés à n’en pas finir après le 31 décembre 2018. Mara avance trois hypothèses pour faire face la question : la reconduite des députés actuels, mais sans paiement d’indemnité ou de quel que avantage financier qui soit, pour que cet intérim soit le plus court possible ; le remplacement de l’Assemblée actuelle par une « délégation législative » restreinte composée par les principales forces politiques telles qu’issues de la dernière élection présidentielle, avec la suppression des avantages financiers pour limiter la période d’intérim.
Enfin, un ‘’remplacement équitable entre les acteurs politiques et convenus, à travers un dialogue politique inclusif avec à chaque fois la suspension des avantages financiers pour raccourcir la période d’intérim’’. Dans ce cas, il a proposé à la commission le vote d’une loi organique (sur les modalités pratiques de remplacement) avant 31 décembre pour entrer en vigueur rapidement et être mise en œuvre dans les meilleurs délais, avec dans l’intervalle de la possibilité donnée au Gouvernement de prendre des ordonnances pour assurer la continuité de l’État.
Nous vous proposons l’intégralité des réponses du président du parti Yelema aux cinq questions de l’Assemblée nationale.
Moussa Mara face aux députés.
Ce lundi 19 novembre 2018, j’ai été auditionné par l’Assemblée nationale du Mali sur la prorogation du mandat des députés.
Des échanges francs souvent contradictoires, mais dans la cordialité.
Ci-dessous mes réponses aux questions posées par la commission Loi de l’Assemblée nationale…
Question 1 : Quelle appréciation faites-vous du projet de loi organique portant prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale ?
Le principe de la prorogation par les députés de leur mandat n’est pas moralement acceptable et n’est pas conforme à la démocratie. Il viole évidemment la Constitution qui stipule que la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce à travers ses représentants élus (art 26). Nul ne saurait s’accaparer de cette souveraineté en s’octroyant un mandat du peuple. La Constitution (art 61) stipule clairement que le mandat des députés est de 5 ans, ce qui fait que le mandat de la législature actuelle doit finir le 31 décembre 2018. Tout exercice de mandat de député par les membres de cette législature, au-delà du 31 décembre 2018, n’aura aucun fondement légal et s’effectuerait en violation de notre Constitution. L’Assemblée nationale a toujours été une institution décriée par les Maliens du fait de la faiblesse de son impact sur la vie publique, d’aucuns pensent qu’elle n’est pas utile. En engageant des actions de ce type, les députés vont contribuer à accroitre le discrédit de l’Institution.
Question 2 : Que pensez-vous du délai de six (6) mois de prorogation du mandat des députés ?
Le principe de la prorogation est illégal, le délai étant un élément de celle-ci, quel qu’il soit, il ne peut qu’être également illégal.
Cela étant dit, les motifs invoqués par le Gouvernement pour justifier la période du report (conduite des réformes territoriales et électorales, mais aussi d’autres réformes comme celle de la Constitution sans parler de celles liées à la mise en œuvre de l’accord de paix) sont suffisamment lourds pour laisser présager que ce délai ne sera pas suffisant pour conduire ces actions. Cela sous-entend qu’une seconde prorogation soit probable. Ce qui constituerait un dangereux précédent et risque d’amener notre pays dans une spirale de prorogations, finissant par décrédibiliser totalement la démocratie malienne.
Question 3 : Quelle analyse faites-vous quant à la conformité des dispositions prévues dans ce projet de loi organique portant prorogation du mandat des députés aux dispositions constitutionnelles de notre pays ?
La Cour Constitutionnelle en se déjugeant en un mois d’intervalle et en indiquant que les députés peuvent proroger eux-mêmes leur mandat, a ouvert la voie à cette procédure regrettable. Elle portera devant l’histoire cette lourde responsabilité. D’abord, elle a donné une interprétation de l’article 85, second alinéa, qui semble clairement erronée en ce qui concerne son rôle régulateur du fonctionnement des Institutions. Le renouvellement d’une Institution ne peut être un acte de fonctionnement de cette même Institution. Le fonctionnement est relatif à l’exercice des activités de l’Institution. Il apparait donc clairement que la Cour constitutionnelle ne peut pas s’impliquer dans le renouvellement des Institutions, prévu très clairement par la Constitution et par des lois que celle-ci demande de voter (Loi organique ou loi simple).
La Cour a ensuite demandé à ce qu’une loi organique soit votée pour proroger le mandat des députés, alors que la Constitution énumère précisément tous les cas de figure de la Loi organique (art 63, art 82, art 83, art 94, art 101) et indique, en son article 70, que c’est elle qui détermine le caractère organique d’une Loi. Nulle part dans la Constitution, il n’est prévu de cas de prise de Loi organique pour d’autres initiatives. Nulle part dans la Constitution, il n’est prévu de cas où la Cour constitutionnelle peut demander la prise d’une Loi organique pour quel que motif que ce soit.
En conséquence, la soumission de ce projet de Loi est illégale et viole la Constitution. En examinant ce texte et en le votant, les députés engageront leur responsabilité devant l’histoire.
Question 4 : Quelle alternative vous proposez à la place de cette prorogation de mandat ?
Plusieurs cas de figure s’offrent aux députés pour agir dans le cadre de la Constitution :
Retourner le texte au Gouvernement, lui demander de convoquer le collège électoral le plus tôt possible pour élire les députés, la nouvelle législature accompagnera le Gouvernement dans la conduite des réformes. Pendant le temps qui s’écoulera entre la fin de la législature et l’entrée en fonction de la nouvelle législature, il sera autorisé au Gouvernement de légiférer par ordonnance (art 74 de la Constitution). Quand le Gouvernement finira ses réformes, il aura le choix, soit de faire de nouvelles élections après que le chef de l’État ait dissout l’Assemblée, soit de faire en sorte que ces réformes entrent en vigueur lors de la législature suivante. Cette dernière hypothèse est la meilleure pour le pays, elle donne du temps pour préparer ces échéances et faire en sorte que les réformes territoriales et électorales soient bien comprises par les Maliens avant de les acter par les élections.
Abandonner la piste de la prorogation non constitutionnelle pour examiner celle de l’utilisation de l’article 63 de la Constitution qui stipule qu’une Loi organique soit votée pour préciser, entre autres, l’occupation de siège laissé vacant par le député avant le renouvellement de l’Assemblée ; cette disposition a été utilisée essentiellement pour préciser les remplacements des députés décédés ou ne pouvant plus exercer leur mandat ; la disposition peut être appliquée à l’ensemble des sièges de l’Assemblée, à considérer comme vacants après le 31 décembre et donc indiquer comment les remplacer avant le renouvellement de l’institution. Dans cette hypothèse, il convient de rédiger une autre Loi organique qui intègrera cette hypothèse et fixera les modalités pratiques du remplacement de l’ensemble des députés actuels, en attendant le renouvellement intégral de l’Assemblée nationale ; plusieurs hypothèses peuvent être avancées :
La reconduite des députés actuels, mais sans paiement d’indemnité ou de quel que avantage financier qui soit, pour que cet intérim soit le plus court possible ;
Le remplacement de l’Assemblée actuelle par une « délégation législative » restreinte composée par les principales forces politiques telles qu’issues de la dernière élection présidentielle, avec la suppression des avantages financiers pour limiter la période d’intérim.
D’autres possibilités de remplacement équitables entre les acteurs politiques et convenus, à travers un dialogue politique inclusif avec à chaque fois la suspension des avantages financiers pour raccourcir la période d’intérim ;
Dans chacun de ces cas de figure, il faut que la Loi soit votée avant le 31 décembre pour entrer en vigueur rapidement et être mise en œuvre dans les meilleurs délais, avec dans l’intervalle de la possibilité donnée au Gouvernement de prendre des ordonnances pour assurer la continuité de l’État.
Question 5 : Avez-vous des observations à adresser à la commission ?
La Constitution est le socle de notre démocratie et la source principale des actes juridiques de notre vie publique. Elle doit être sacralisée et scrupuleusement respectée. Il ne doit être permis aucune entorse à cela au risque d’entrainer le pays dans des directions dangereuses. Aucun cas de force majeure ne doit conduire à la violation de la Constitution. L’impossibilité d’organiser les élections du fait de la grève des magistrats n’est plus de mise. L’insécurité non plus ne peut être prétextée, là où les élections ne pourront être organisées, il peut être procédé ultérieurement à leur organisation comme c’est le cas des élections communales. La conduite des réformes ne peut en aucun cas justifier le report des élections législatives, car les réformes font partie de la vie de l’État et sont régulièrement engagées. Au contraire, les réformes auront plus de crédibilité quand elles sont entreprises avec un parlement légitime.
La seule ouverture qui peut être faite vers un report des élections législatives est l’accord de la classe politique ainsi que le consensus des acteurs politique sur la gestion de l’intérim éventuel de l’Assemblée nationale. Cet accord et ce consensus n’existent pas actuellement.
Moussa MARA
Ancien Premier ministre
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