En dernière analyse, les cadres libéraux dénoncent «l’instrumentalisation de la justice pour régler des comptes politiques par la liquidation judiciaire d’adversaires politiques» dans l’affaire Karim Wade. Le procès de Karim Wade et celui en gestation de Hissène Habré sont les deux moments forts de la deuxième alternance, révélateurs de dysfonctionnements graves de la justice et des restrictions de plus en plus importantes que connaît l’Etat de droit au Sénégal. La justice sénégalaise, exemplaire sur le continent africain pendant une longue période, montre, à l’instar de toutes les autres institutions, des signes d’une pathologie plus grave que le laissent apercevoir les ratés quotidiens et répétés de son fonctionnement. La conjonction d’une volonté politique de maîtrise totale de son fonctionnement dans tous ses aspects et l’extrême faiblesse du niveau de formation d’une très grande partie des personnels judiciaires (toutes catégories et toutes professions confondues) sont un cocktail détonant si l’on n’y prend garde. A cela s’ajoute la sensibilité notoire à la corruption et à la politique d’une part et l’état préoccupant de l’enseignement du droit d’autre part.
Les procès en gestation de Karim Wade et de Hissène Habré sont les deux moments forts de la deuxième alternance, révélateurs de dysfonctionnements graves de la justice et des restrictions de plus en plus importantes que connaît l’Etat de droit. Deux raisons semblent expliquer ces phénomènes : une culture politique des dirigeants qui se révèle, depuis l’année 2000, peu ouverte à l’importance, dans une société, du rôle des Institutions non-politiques et du droit en général d’une part et une prévalence d’une conception purement instrumentaliste et/ou finaliste de la règle de droit.
Mais la question qu’on ne peut pas éluder est que ces chambres qu’il est possible de créer au Sénégal au sein de deux juridictions sénégalaises, fonctionnent en dérogation de toutes règles du droit sénégalais, et sans qu’il soit besoin ni de loi, ni de décrets et ni d’arrêtés. Les juristes les plus téméraires vous diront qu’il s’agit de juridictions internationales ou internationalisées. Mais la qualification d’«internationales» n’a pas la même portée qu’«internationalisées» et ne comporte pas les mêmes exigences dans la création desdites chambres. Tout porte à croire que l’interprétation qui a prévalu en fait des juridictions internationales. Ce qui autoriserait de se passer de Loi Nationale qui aurait supposé une modification constitutionnelle.
Donc on est en droit de demander où sont ces mesures législatives, réglementaires et administratives qui peuvent seules conférer à ces chambres une légalité incontestable, qui seules peuvent donner une base légale aux poursuites exercées contre Monsieur Habré ? Il appartient aux autorités de poursuite de les produire. La Cour Suprême du Sénégal qui dit le droit en dernier ressort, est fondée à se prononcer sur les bases légales de fonctionnement de ces juridictions sénégalaises. Il s’agit là d’une question fondamentale qui a certes beaucoup à voir avec Monsieur Habré. La défense des droits de l’homme passe par celle de l’Etat de droit.
Abdoulaye A. Traoré