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Pratiques coloniales: Les indigènes de la République

L’instruction était un élément clé de la colonisation. Pendant très longtemps, les colonisateurs n’ont voulu former que des cadres supplétifs pour des besoins basiques : soldats, auxiliaires administratifs, instituteurs, agents de santé…. Ce n’est que dans les années 1950 que les Africains ont pu préparer et se présenter au baccalauréat. Dans cette publication, nous tentons de donner les grands moments de l’école à la française, de 1903 à 1957, date d’ouverture de l’Université de Dakar, la seule pour toute l’Afrique occidentale française. Retour sur quelques grandes étapes de l’histoire de l’instruction coloniale dont la mission était de former des vulgarisateurs de la langue et de la culture française.

Léopold Sédar Senghor, alors député du Sénégal, dans une verve d’une rare pugnacité contre la colonisation, a mis en cause cette instruction au rabais offerte aux Africains. Lors d’une prise de parole, le 21 mars 1946, à l’Assemblée nationale constituante, il a mis en cause l’offre scolaire bancale qui n’a pu assurer que la fréquentation de seulement 108 911 élèves dans les établissements du premier et du second degré, enseignement privé compris. Un seul enfant sur 24 a pu trouver une place à l’école. L’effectif des trois lycées, pour toute l’Afrique occidentale française, les lycées de Saint Louis, Dakar et Bamako, ne comptait que 172 Africains sur 723 des élèves des classes secondaires, soit un peu plus de 4%.

Senghor tire la conclusion suivante : « Le principe qui dirige cette politique est d’une lumineuse clarté, même pour les primitifs que nous sommes. On fait de l’inégalité un principe de gouvernement en s’opposant par tous les moyens possibles à ce que les autochtones aient des diplômes d’État et puissent, en conséquence, occuper d’autres fonctions que subalternes. C’est le cas de répéter la phrase fameuse : «Votre ignorance faisait leur grandeur ». Senghor ne se trompe pas : il s’agit d’une « volonté délibérée de maintenir les autochtones à l’écart ».

Les textes fondateurs
La Charte de l’enseignement en Afrique occidentale française date de 1903. L’arrêté n° 806 du gouverneur général de l’Afrique occidentale française en date du 24 novembre 1903 a consacré l’ouverture de l’École normale d’instituteurs de Saint-Louis, la seule dédiée à la formation des instituteurs locaux. Dans le titre IV de cet arrêté (paru dans le journal officiel du Sénégal et Dépendances, 48è année, n° 152 du 28 novembre 1903) nous indique que cette école avait deux sections : une qui préparait aux fonctions d’instituteur dans les écoles indigènes de l’AOF et une qui assurait la formation des interprètes et autres auxiliaires. La durée du cycle était de trois ans. Les fils des chefs, des rois et empereurs vaincus ne passaient pas de concours pour y être admis. Le concours était pour les autres sujets.

Le programme à l’École normale comprenait l’instruction morale et civique, la lecture, l’écriture, la langue française et les éléments de la littérature, les grands faits de l’histoire de France et les relations de la France avec les divers pays de l’Afrique occidentale, la géographie de la France et de ses colonies, particulièrement de l’Afrique occidentale, l’arithmétique et le système métrique, la géométrie élémentaire, les éléments des sciences physiques et naturelles étudiés au point de vue de leurs applications à l’hygiène et à l’industrie, l’agriculture pratique, le dessin et la gymnastique (article 43).
L’école dispensait des notions élémentaires de pédagogie et préparait les futurs enseignants à être pratiques. M. Mairot, l’inspecteur de l’enseignement en AOF en 1906 a rappelé ses objectifs dans une lettre : « L’Enseignement doit être pratique, utilitaire… On obligera les élèves à parler… ».

Mais déjà, dans l’intention du colonisateur, les produits de cette école n’avaient pas la même valeur que ceux de la métropole. Les instituteurs africains étaient appelés à évoluer administrativement dans un « cadre indigène ». C’était aussi déjà un motif de revendication syndicale pour les indigènes. Cette agitation a eu une grande manifestation dans « les villes françaises » du Sénégal, les fameuses « quatre communes » (Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque) dont les ressortissants étaient effectivement des citoyens français avec le droit de vote reconnu.

Ces citoyens français ont revendiqué l’équivalence entre les diplômes obtenus localement et les diplômes en France. Il faut juste voir que les écoles des quatre cités du Sénégal délivraient depuis 1884 le Brevet élémentaire pour lequel il fallait trouver une équivalence en France. Si ce Brevet était reconnu, les titulaires pouvaient légitimement demander les bénéfices consécutifs dont celui d’être un agent administratif de plein effet.

Pour couper court à ces velléités subversives, l’administration coloniale va procéder à une réforme qui supprime tout simplement le Brevet élémentaire. Pas de Brevet, pas de problème. Nous sommes en 1907. L’année suivante, la même administration va procéder à la création de diplômes locaux pour les instituteurs : le Certificat d’aptitude à l’enseignement (CAE) et le Diplôme supérieur d’études primaires (DSEP).

C’est dans cette turbulence qu’intervient la nomination de Georges Hardy en qualité d’inspecteur de l’enseignement en Afrique occidentale française en 1912. En 1913, l’école normale est transférée de Saint-Louis à Gorée. C’est le premier mouvement d’une série. L’école est réorganisée avec des matières et des coefficients. À titre d’exemple, la « composition française » avec un coefficient de 3, la « lecture appliquée » avait un coefficient de 3, « l’orthographe » avait un coefficient de 2, la « pédagogie pratique » avait un coefficient de 4.

Le premier lycée en AOF sera celui de Saint-Louis en 1919, le premier établissement du genre créé en dehors du territoire français. Il est baptisé du nom de Faidherbe avec des programmes identiques à ceux de la métropole.

Le soudanais Tiémoko Garan Kouyaté à Aix
En 1920, la France va expérimenter l’envoi de certains élèves africains dans les instituts de formation des enseignants en France. C’est l’École normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence qui accueille une première vague dont fait partie le Soudanais Tiémoko Garan Kouyaté. Pour lui, l’expérience s’arrêtera net, puisqu’il sera exclu de l’établissement. Depuis, il va mener une carrière politique communiste. Il sera fusillé par les Nazis, le 4 juillet 1944. Bien après, au Mali, dans les années 1989, une organisation clandestine porta son nom : « Union des Luttes Tiémoko Garan Kouyaté » dont quelques branches vivent aujourd’hui à travers le Parena de Tiébilé Dramé. Cette histoire est à documenter.

L’École normale prend définitivement le nom de William Ponty en 1921. Elle se diversifie avec une filière pour l’enseignement, une autre pour l’administration et une autre pour la médecine. Les enseignants qui ont conduit l’Afrique à l’indépendance sont issus de cette école : Mamadou Konaté, Diori Hamani, Ouezzin Coulibaly, Modibo Kéïta. La partie « médecine » compte quatre sections : médecine pour un cycle de quatre ans, pharmacie pour un cycle de trois ans, sages-femmes pour un cycle de trois ans, et vétérinaires pour également un cycle de trois ans. Félix Houphouët Boigny et Derlin Zinsou sont des médecins diplômés de cette école fédérale.

à partir de 1935, le colonisateur voit tout le parti qu’il peut tirer de la multiplication des écoles normales. Ainsi, va voir le jour en cette année au Soudan, en 1938, l’école normale rurale de Katibougou, « l’École normale Frédéric Assomption ». Celle de Dabou en Côte d’Ivoire verra le jour en 1939. Un an avant, il y a eu la création de l’École normale pour les institutrices à Rufisque.

En septembre 1938, un arrêté stipule que « à titre provisoire, et jusqu’à la création des cadres spéciaux correspondants, les candidats titulaires du diplôme de l’École normale rurale de Katibougou seront assimilés aux candidats diplômés de l’École normale William Ponty (section enseignement). Les Écoles normales dispensaient un enseignement secondaire conduisant au baccalauréat (sciences expérimentales) suivi d’une année de formation professionnelle.

Les programmes français
En 1945, va avoir lieu une grande réorganisation de l’enseignement en AOF. Désormais, les programmes sont alignés sur le système de la métropole. L’arrêté du 22 juin 1945 consacre cette révolution. Deux ans après, l’encadrement pédagogique est structuré et renforcé avec la création d’une Académie pour toute l’AOF, à Dakar. Il y a les degrés suivants : l’enseignement primaire d’une durée de six ans qui conduit au Certificat d’études primaires. Le nombre de classes varie de deux à six : le cours préparatoire, le cours élémentaire, le cours moyen.

L’enseignement secondaire a relativement vite évolué avec la création des Collèges ; les collèges classiques, et les collèges modernes et les collèges de jeunes filles. En 1949, on comptait 19 établissements de ce genre pour l’ensemble de l’AOF. Dans cette dynamique, les Écoles normales vont accéder au statut d’établissement secondaire en ce qui concerne les programmes. Pratiquement, elles continuaient à former des instituteurs.

À côté, on trouvait les Cours normaux qui aussi avaient vocation à former des instituteurs à partir du Brevet élémentaire ou du Brevet élémentaire du premier cycle. En 1949, on comptait seulement 9 Cours normaux. Ils dispensaient un enseignement général secondaire conduisant au Brevet élémentaire et une année de formation professionnelle ; ce sont surtout eux qui ont fourni le plus grand nombre d’instituteurs (adjoints) à l’enseignement primaire en Afrique noire.

En 1958, l’AOF comptait quatre lycées à Dakar, Saint-Louis, Bamako et Abidjan. C’était véritablement l’enseignement secondaire. L’enseignement technique et professionnel était modelé à partir des collèges techniques et des centres d’apprentissage. On retrouvait les Collèges techniques d’industrie conduisant au Certificat d’aptitude professionnelle.

L’École technique supérieure formait des cadres techniques : surveillants des T.P., dessinateurs de T.P., géologues topographes pour les services des T.P. et des mines. Elle est devenue plus tard l’école des travaux publics.

L’enseignement supérieur
C’est seulement en 1950 que les jalons de cet enseignement ont été posés avec la création à Dakar de l’Institut des hautes études. Pour beaucoup, il s’agissait d’une improvisation qui avait pour but de rattraper et de contrôler les esprits de la jeunesse. Les professeurs n’étaient pas des universitaires mais venaient des différents lycées de Dakar. C’est en 1958 que cet institut a évolué pour devenir l’Université de Dakar en 1958. Le Centre d’enseignement supérieur d’Abidjan a ouvert la même année et ne tardera pas à devenir un pôle universitaire.

Ce survol nous a permis de voir le rôle central qu’a joué l’école dans la colonisation. Pour sommaire que fut cette instruction, on retient qu’elle a atteint son but qui était de former des cadres qui pouvaient accompagner et asseoir l’entreprise coloniale. Aujourd’hui, c’est de la réforme de cette institution qu’il s’agit, cinquante après les indépendances. L’école actuelle n’est pas celle de nos besoins.

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