Le Professeur Issa N’Diaye nous livre son analyse sur la tenue d’un éventuel dialogue national, pour mettre à plat les problèmes que vit actuellement le Mali.
Quelles peuvent être les modalités du dialogue national ?
C’est toute la question. La crise est telle que la plupart des Maliens ont conscience qu’il y a nécessité de se parler entre eux. Comment organiser, c’est là où il y a divergence. Chacun a son schéma derrière la tête. Le format est celui de la conférence nationale comme on l’a connu. Faire appel aux « forces vives de la nation », ceux qui sont du pouvoir et ceux de l’opposition ainsi que la société civile. Je pense que ce schéma n’est pas bon. Tous ces segments sont partie prenante de la crise et ne sont pas à même de trouver la solution.
Si c’est le pouvoir qui organise ce sera peu crédible comme processus, parce que la confiance au niveau de l’Etat est telle que les gens verraient d’un mauvais œil que ce soit l’Etat qui organise un tel dialogue national. De l’autre côté, il y a ceux qui se prétendent de l’opposition qui parlent de refonder l’Etat. Je pense que l’on ne peut pas parler de refondation sans mettre en cause les schémas institutionnels et ceux qui se disputent le pouvoir. Parce qu’aussi bien l’Etat que ses contradicteurs ont une part de responsabilité dans la déliquescence de la situation actuelle. Donc les populations auront du mal à faire confiance aux forces politiques de manière générale. Et la société civile malheureusement pour la plupart a émergé sur un terrain politique. Si je prends les chefferies traditionnelles, elles sont discréditées aujourd’hui. Les religieux aussi dans leur prise de position pour ou contre le pouvoir politique y ont laissé beaucoup de plumes.
Cela veut dire que le schéma traditionnel qui consiste à coopter les représentants des différents secteurs de la société marchera difficilement. Je pense qu’il faut inverser la démarche. Que ce soit un dialogue national du bas vers le haut. Il faut arriver à instaurer un débat à la base au niveau des plus petites organisations du pays (village, hameau, …). Et un débat ouvert à tout le monde de façon personnelle. De ce dialogue, des représentants et des portes paroles vont émerger. La deuxième étape consistera à désigner des délégués pour représenter à l’étape supérieure (arrondissement, …) et ainsi de suite. Ces représentants vont parler au nom des communautés de base et jusqu’au niveau national. A ce niveau un nouveau leadership va s’imposer à l’Etat. Et la synthèse sera l’émanation de la volonté populaire. Quitte à l’Etat de travailler cette synthèse et sa mise en application. Au terme de cela, il y aura une nouvelle forme d’organisation de l’Etat, une nouvelle charte des partis, de nouveaux textes, une nouvelle constitution, …. Ce processus sera difficile à être accepté par les partis politiques et même l’Etat.
Quelles peuvent être les modalités du dialogue national ?
Le schéma traditionnel, qui consiste à coopter les représentants des différents secteurs de la société, marchera difficilement. Il faut inverser la démarche. Que ce soit un dialogue national du bas vers le haut. Il faut arriver à instaurer un débat à la base, au niveau des plus petites organisations du pays (village, hameau, …). Et un débat ouvert à tout le monde de façon personnelle. De ce dialogue, des représentants et des porte-paroles vont émerger. Ils parleront au nom des communautés de base jusqu’au niveau national.
Comment mettre en œuvre ce modèle ?
La tâche des experts, des juristes par exemple, sera de donner un habillage juridique à cette volonté populaire. Ce ne seront plus les experts qui vont inventer une Constitution, la plupart du temps importée. Les juristes auront pour tâche de traduire en actes juridiques la volonté populaire exprimée au cours des assises nationales. Il faut laisser les Maliens s’exprimer librement. Ce doit être un débat entre Maliens, il n’y aura pas d’étrangers.
Compte tenu des échéances à venir, aurons-nous le temps de tenir ce dialogue ?
Il faut mettre une croix sur le projet de révision constitutionnelle et sur la prolongation du mandat des députés, parce que de nouvelles instances doivent sortir de ce dialogue national. Ce sont des questions qui vont être réglées, parce qu’une nouvelle Constitution sera définie et qu’un nouveau processus électoral sera lancé. Ses bases seront définies et une nouvelle représentation verra le jour à l’issue des assises. C’est un nouveau Mali, dans tous ses aspects, qui va être défini.
Un nouveau Mali ?
Une nouvelle république. Maintenant pour aller à cette nouvelle république au sortir des assises nationales, nous pouvons mettre en place une transition qui va exclure tous les acteurs actuels. Un organe intérimaire qui va piloter tout cela pour aller vers un Mali nouveau, c’est possible. Ce schéma ne conviendra pas aux partis. S’ils parlent d’une transition , ils vont parler de gouvernement d’union nationale mais cela ne va pas résoudre les problèmes du pays. C’est un mauvais schéma.
Mais cela ne peut se faire qu’avec une véritable mobilisation populaire. Il faut que les gens se mobilisent pour réclamer quelque chose de radicalement nouveau. C’est cette pression qui peut mettre hors-jeu les forces politiques actuelles.
Journal du mali