Figure de proue des protestations qui ont commencé en juin 2020 pour exiger la démission du président Ibrahim Boubacar Kéita, l’Imam Mahmoud Dicko a eu du mal à cacher son bonheur d’être enfin parvenu à ses fins lors du grand rassemblement du M5-RFP du vendredi 21 août 2020. Même s’il a eu la sagesse de vouloir se retirer du devant de la scène politique pour se consacrer désormais à ses fonctions d’Imam. En tout cas le leader religieux pourra toujours garder son influence et acquérir plus de crédibilité s’il a utilisé son aura pour des causes plus que de toujours servir de bouclier ou de glaive à des politicards grincheux qui n’ont rien apporté à ce pays que désillusion et misère depuis l’avènement de la démocratie.
Ce vendredi 21 août 2020, l’Imam Mahmoud Dicko a été accueilli en messie à la Place de l’Indépendance de Bamako lors du grand meeting du Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RFP). Galvanisé par la liesse populaire, le sourire au coin de la bouche en disait long sur la satisfaction de l’homme. Satisfaction d’avoir précipité la chute de celui pour qui il a violé la sacralité des mosquées transformées en QG (Quartier Général) de campagne pour son plébiscite en 2013 : Ibrahim Boubacar Kéita !
Et visiblement, ce bonheur a été une source d’inspiration pour ce qu’il annonce comme son dernier show politique maintenant qu’il a eu gain de cause. «Le Mali n’est pas un pays de vengeance, mais plutôt de pardon. C’est cela notre pays. Nous devons avoir des limites, car ceux qui ont dépassé les limites ont vu. Mettons de côté le bâton de la vengeance, prenons celui de la cohésion», a attaqué le leader sunnite en condamnant les actes de vandalisme, notamment contre les édifices appartenant aux proches d’IBK, et en se positionnant en rassembleur.
Hisser au sommet de la gloire par une foule qui l’applaudissait à tout rompre, il ne s’est pas retenu de menacer. «Je suis persuadé et j’en suis convaincu que ceux qui veulent apporter la misère à ce peuple mature du Mali seront châtiés par le Mali. Ceux qui le feront, seront châtiés par le bon Dieu… J’aimerai que ce message leur parvienne, s’ils n’y croient pas, qu’ils essayent», a déclaré l’influent Imam en défiant la CEDEAO et la communauté internationale qui ont décidé des sanctions contre son pays en lui imposant notamment un embargo.
Et en fin stratège, l’Imam Dicko a annoncé sa retraite pour couper l’herbe sous les pieds de ceux qui lui prêtent une ambition politique. «Ce n’est pas vraiment par malice que je le dis : je suis un imam, c’est ce que je sais faire de mieux. Inch Allah ! Je resterai imam. Je ne serai candidat de rien», a-t-il clamé haut et fort quelques jours avant dans un entretien accordé à la presse internationale. Et il l’a une nouvelle fois martelé devant une foule en délire vendredi dernier.
Prophétie d’un Messie ?
«J’ai entendu beaucoup de choses, mais je le répète, je suis et je resterai un imam. Maintenant je retourne dans la mosquée. Je n’étais pas dans cette lutte pour me positionner», a déclaré l’influent leader religieux qui ne renonce pas pour autant à peser désormais sur l’avenir de ce pays. C’est en tout cas une sage décision de la part de celui qui a été et espère sans doute rester «la force d’équilibre pour la stabilité du pays».
En tout cas il a profité de son dernier show pour se positionner en apôtre de la paix. «Je demande à Chérif Ousmane Madani Haïdara, à Mgr Jean Zerbo, avec les bénédictions de Bouyé Haïdara, que nous puissions sillonner le pays afin d’apporter la paix, la sérénité, l’entente entre les gens», a souhaité l’Imam Dicko qui n’a pas manqué d’appeler peul et dogon à revenir aux valeurs ancestrales qui ont été le socle de leur cohabitation pacifique.
L’annonce de son retour à ses responsabilités religieuses a fait souffler un vent de nostalgie sur ses partisans pour qui il est un messie, un prédicateur à vénérer. «Nous allons rendre au Mali son honneur et sa dignité. Si Dieu le veut, Inch Allah, quelqu’un s’en ira en courant de ce pays. Notre appel, Dieu va l’entendre cher peuple», a-t-il par exemple annoncé lors du grand rassemblement du 11 août. Et, une semaine après, IBK était contraint de remettre sa démission à l’armée après avoir dissout l’Assemblée nationale dont l’élection a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de la contestation populaire contre son régime.
Prophétie ? Sans doute pour ceux qui ignorent ses accointances avec les renseignements généraux français (malgré ses critiques contre la France de Macron) et ses liens avec le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) dont certains responsables pensent lui devoir la vie parce qu’il a pu les extraire des griffes du MNLA en 2012. Selon nos investigations, l’Imam de Badalabougou était l’une des rares personnalités du pays qui était au parfum de ce que ces jeunes officiers préparaient.
En tout cas, le temps lui a donné raison sur IBK qui réfléchi aujourd’hui sur son sort et celui de ses proches, notamment de son fils Karim Kéita qui a aussi contribué à précipiter sa chute par sa mégalomanie et son insatiable soif d’amasser toujours plus de fortune aux dépens du pays.
Quant au vénérable Imam, au sommet de la gloire, il doit savoir que sa crédibilité dépend de ses futurs choix. A notre avis, il doit s’imposer aujourd’hui comme une autorité morale au-dessus de la mêlée, en évitant surtout de se mouiller politiquement pour un autre politicien, en lui servant d’ascenseur pour se hisser à Koulouba.
Pousser les dinosaures à la touche
Son influence, il doit le mettre surtout au service de la jeunesse et non des vieux crocodiles insatiables dont la seule ambition se limite à leur panse et à leurs comptes en banque. Si Dicko veut réellement aider le Mali à se relever, il doit convaincre ses alliés du M5-RFP de se mettre volontairement à touche pour l’émergence d’une nouvelle classe politique. Sans doute que cela lui permettra aussi de voir leurs vrais visages parce que cela est un discours qu’ils n’attendent pas de lui.
«Nous voudrons une classe dirigeante qui organise le cadre d’un Mali sain et épanouissant, car nous en avons les moyens. Une classe dirigeante qui donne le bon exemple en replaçant en son sein le sens de l’engagement, du travail et de l’honnêteté. Notre grand espoir est que cesse l’apologie du vol, du mensonge, de l’irresponsabilité», a-t-il souhaité dans un récent entretien. Il peut être sûr qu’il ne parviendra pas à cette fin avec ces politiciens à la mémoire rouillée et à l’appétit vorace qui ont aussi contribué à «enlever l’eau et le pain de la bouche» de leurs concitoyens.
Dans l’entretien ci-dessus évoqué, le Guide du M5-RFP déclarait, «…je travaille à accompagner cette jeunesse qui, aujourd’hui, est devenue une proie facile pour des vendeurs d’illusions. Qu’est-ce qu’on fait ? On n’a pas de politique dans ce sens, on fait semblant… L’essentiel, ce sont les actes que l’on pose ! Mais ce n’est pas l’imam Dicko qui doit poser ces actes».
Mais, il peut et il doit aider cette jeunesse à poser des actes dans le sens de son plein épanouissement et de l’émergence socioéconomique du pays ; à prendre son destin et celui de leur patrie en main ; à voler de leur ses propres ailes… S’il veut être cohérent avec son discours, il ne peut plus continuer à servir de bouclier ou de glaive à cette classe politique qui ne cesse d’hypothéquer l’avenir des jeunes et à compromettre l’avenir du pays condamné à un éternel retour à la case-départ par la faute de putschs militaires.
Pour continuer à mériter de la confiance de cette jeunesse perdue, il doit désormais se positionner comme un catalyseur de l’émergence d’une nouvelle classe politique et le conciliateur qui peut lui fixer la limite à ne pas franchir !
Moussa Bolly
LE MATIN