Yaya Ouattara vend des moutons achetés au Burkina, qu’il a fait venir par camions. Une viande convoitée et dégustée chaque année par les musulmans à l’Aïd. Mais à chaque trajet, il tente d’éviter les jihadistes qui frappent régulièrement ce pays voisin.
“Ils nous volent, ils nous tuent”, dit-il à l’AFP, “on prend d’autres chemins à cause d’eux et cela peut prendre quatre jours au lieu de deux” avant la crise sécuritaire. Les coûts de transport et d’entretien des bêtes augmentent, faisant monter les prix.
Quelques mètres plus loin, Moussa Dicko a lui rapportés ses bêtes du Mali, qui coûteront aux acheteurs 200.000 francs CFA (304 euros) par tête, au lieu de 120.000 (182 euros) avant la crise.
Les clients “nous parlent mal” et ne comprennent pas qu”‘on prend des risques”, dit-il.
En Côte d’Ivoire, “plus de 90% du bétail consommé pendant la fête de Tabaski” – nom donné en Afrique de l’Ouest à l’Aïd al-Adha – provient des pays du Sahel, expliquait Jean-Pierre Konan-Banny, conseiller au ministère des Ressources animales et halieutiques, lors d’une conférence de presse début juin.
“Notre production nationale ne couvre que 44% des besoins en viande et abats” annuels, abonde le ministre Sidi Tiémoko Touré, une situation qui “oblige la Côte d’Ivoire à recourir à des importations”, principalement du Burkina Faso et Mali voisins, ainsi que du Niger.
– “Sérieux défis” –
Et ce alors que “depuis plusieurs années, à l’orée de cette fête religieuse, nous constatons une hausse significative de la demande en moutons, bovins et caprins. En 2023, elle était de 350.000 têtes pour tout le pays”, poursuit-il dans un pays qui compte plus de 40% de musulmans.
Le long de la frontière nord de la Côte d’Ivoire, partagée par le Mali et le Burkina Faso, mal délimitée et poreuse, l’élevage de bétail est “l’une des principales activités”, selon un rapport de l’Institut d’études et de sécurité (ISS).
Mais “le contexte socio-politique actuel” des pays du Sahel “pose de sérieux défis à notre approvisionnement”, estime le conseiller Konan-Banny.
Le Mali, le Burkina et le Niger sont en proie à des violences jihadistes depuis une dizaine d’années. Au Burkina seul, elles ont fait plus de 20.000 morts, civils et militaires.
Les trois pays sont en outre dirigés par des régimes militaires, regroupés au sein de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), dont les relations sont tendues avec certains voisins, comme la Côte d’Ivoire.
A Niamey, le pouvoir issu d’un coup d’Etat en juillet 2023 a été lourdement sanctionné économiquement et financièrement jusqu’en février, par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
“Les activités terroristes et les sanctions économiques de la Cedeao ont fortement perturbé les flux commerciaux habituels”, affirme Jean-Pierre Konan-Banny.
Au Sénégal, pays majoritairement musulman (94%) qui importe des moutons du Mali et de la Mauritanie, la question de la dépendance se pose aussi.
Il faut “travailler à être totalement autosuffisant” et “même excédentaire pour approvisionner d’autres pays”, a déclaré le président, Bassirou Diomaye Faye, lundi sur un marché de Dakar.
Pour changer progressivement sa stratégie, le gouvernement ivoirien a pris plusieurs mesures, assure M. Konan-Banny, dont la création de “comités de veille” sur “l’approvisionnement des marchés” et le “renforcement du contrôle des prix du bétail”.
Il a également lancé “23 projets” d’élevage dans deux régions du nord pour augmenter la production nationale de “16% d’ici 2030”, affirme Nicolas Bosson Aboly, un des responsables de leur développement, enseignant-chercheur en agronomie à l’université de Korhogo.
Mais plusieurs contraintes demeurent: l’urbanisation du sud du pays, le nombre croissant de terres occupées par les cultures fourragères et vivrières et les conflits communautaires entre agriculteurs et éleveurs.