En l’espace d’un voyage, la Chine est (ré) devenue le seul et incontournable ami du Mali. La propagande du régime d’IBK, lancée à plein régime, tente de distraire les Maliens au sujet de la mission chinoise du chef de l’Etat. Au-delà, des questions se posent sur l’orientation actuelle de la politique étrangère du Mali. Une politique écartelée entre le Maroc et l’Algérie, la Cedeao et la même Algérie, et entre la France (libératrice) et la Chine (généreuse). Faute de fil conducteur, les observateurs ont du mal à situer, avec exactitude, la diplomatie malienne.
Janvier 2013 : Ibrahim Boubacar Keïta, alors président du Rassemblement pour le Mali (Rpm), invite la presse à sa résidence à Sébénicoro. Prétexte ? Présenter ses vœux pour le nouvel an. Après avoir abordé certaines questions d’actualité, il consacre une large place à la coopération entre le Mali et l’Algérie. Ce pays est magnifié pour ce qu’il fait au nord du Mali.
Sept mois plus tard (juillet 2013), à la faveur de l’intervention française et des pays de la Cedeao, le Mali pouvait organiser l’élection présidentielle.
Coincé entre le Maroc et l’Algérie
IBK lance sa campagne, en grande pompe au Stade du 26 mars. Aussitôt après, il quitte Bamako pour un séjour à Rabat, alors que les autres candidats étaient entrain de sillonner villages, hameaux et campagnes du Mali. Mais le voyage d’IBK au Maroc, à l’époque, n’était pas passé inaperçu. Comment, en cette période de campagne, il s’est retrouvé dans le royaume chérifien, un pays qu’il avait ignoré jusqu’ici, tant dans ses discours que dans ses actions d’homme politique ? Ce déplacement avait suscité beaucoup de commentaires. Il justifie moult gestes et actes posés entre Rabat et Bamako, après l’arrivée d’IBK aux affaires, en septembre 2013.
En réalité, les Marocains, qui ne sont pas indifférents à ce qui se passe au Mali, ont vite compris que la France avait déjà « son » candidat, lors de la présidentielle malienne.
D’ailleurs, d’autres dirigeants de la sous-région étaient au parfum du choix de l’Elysée. En fonction de ce choix français, beaucoup de pays ont révisé leur position par rapport aux autres candidats.
Dès lors, IBK était invité à Rabat. Il a été mis aux petits soins et avec tous les honneurs dus à un chef d’Etat. Toutes choses qu’il affectionne du reste. Ensuite, le roi Mohamed VI est invité, en septembre 2013, à l’investiture. Le souverain et d’autres dirigeants africains et « l’ami François » sont tous présents au chevet d’un Mali qu’ils espéraient désormais en de bonnes mains, après la crise politique et sécuritaire consécutive au coup d’Etat de mars 2012.
En décembre 2013, le Roi remet ça. Il effectue une visite officielle à Bamako. Au terme de son séjour, il signe plusieurs accords de coopération et s’engage à offrir au Mali un hôpital, situé à Sébénicoro, le quartier résidentiel du président. Dans la foulée, le Roi offre 500 bourses de formation d’Imams. Ce n’est pas tout. Le Maroc décide de s’impliquer dans la résolution de la crise du nord du Mali et invite une délégation du Mnla à Rabat. C’était une première, de voir le Royaume chérifien s’impliquer officiellement et aussi fortement dans le dossier brûlant du septentrion malien.
En retour de toute cette largesse et de ces efforts à l’adresse du Mali, le Maroc ne comptait obtenir des autorités de Bamako qu’une chose : le gèle de la reconnaissance de la République arabe sahraouie et démocratique (Rasd), parrainée et soutenue par l’Algérie. Le Royaume du Maroc, depuis des années, espérait obtenir ce geste du Mali. En vain.
Au vu de la percée diplomatique marocaine, l’Algérie décide d’agir. Et de quelle manière ? IBK est invité à effectuer une visite à Alger au mois de janvier 2014. Un véritable travail au corps est entrepris par les Algériens afin de reprendre le dossier du nord, qui, jusqu’ici, était entre les mains de Blaise Compaoré, via la Cedeao. A Alger, IBK cède sous la pression. Il offre l’occasion rêvée au voisin de perpétrer un véritable holdup aux dépens du médiateur burkinabé, désormais dépossédé du dossier.
Cependant, IBK se retrouvait dans une position inconfortable entre l’Algérie, le Maroc et la Cedeao. Les dirigeants de l’organisation régionale n’ont guère apprécié l’intrusion du voisin dans la médiation. En réalité, le chef de l’Etat malien est habitué à ce jeu d’équilibrisme au plan national. Il n’a fait que transposer à l’international un jeu qui lui a permis de se hisser à la tête de l’Etat malien. Désormais coincé entre le Maroc et l’Algérie, deux pays qui se vouent une hostilité légendaire à cause du problème du Sahara, Ibrahim Boubacar Keïta, ne pourra guère cacher son jeu. Il devrait choisir, tôt ou tard, son champ, au risque de se brouiller avec les deux frères ennemis du Maghreb. Il joue la carte de l’Algérie, tout en faisant espérer le Maroc…
« L’ennemi François »
Avec la France, c’est une toute autre histoire. En effet, entre Bamako et Paris, ou du moins, entre IBK et Hollande, l’heure ne semble plus aux amabilités. Le 19 septembre 2013, lors de son investiture (bis), le président Keïta, saoulé par son plébiscite (lors de la présidentielle) égrène un long chapelet de propos dithyrambiques à l’adresse de son…« cher ami, cher président, François Hollande ». « Que n’ai-je dit dans mon modeste, mais sincère message à vous transmis, dès les premières heures de l’engagement français, suite à votre courageuse décision… », disait le chef de l’Etat malien.
En l’espace de douze mois, le torchon a suffisamment senti le roussi entre Koulouba et l’Elysée. D’abord, il y a eu cette fameuse affaire Michel Tomi. Dans l’entourage du président Keïta, l’on pointe du doigt l’Elysée d’être derrière les informations publiées dans le journal Le Monde. Des informations qui n’auraient d’autres objectifs que de « salir » IBK, selon son entourage.
En riposte, certains organes de presse, proches du pouvoir, ont multiplié des attaques contre la France et François Hollande. Une évidence : le pouvoir était désormais entré dans une logique de réponse (du berger à la bergère)…
Entre Bamako et Paris, le dossier du nord, avec les évènements de Kidal au mois de mai, a fini par détériorer (définitivement ?) les rapports. En effet, le pouvoir malien accuse la France de mener un jeu trouble à Kidal. Les Français, longtemps perçus aux yeux des Maliens comme les libérateurs, sont soupçonnés d’avoir leur propre agenda pour Kidal et pour le nord. Mais IBK, dans l’espoir de bénéficier d’un éventuel soutien français, a été obligé de signer avec Paris un accord de coopération militaire au mois de juillet dernier. Ce qui est loin de cacher le refroidissement des rapports entre le Mali et la France. Et qui pourrait expliquer le fait qu’IBK se soit tourné vers la Chine et la Russie.
Toutefois, la réalité est que c’est la France, à travers sa présence militaire, qui assure aujourd’hui la souveraineté du Mali, car nous sommes incapables, nous-mêmes, de faire le minimum dans ce sens. Et tous les observateurs s’accordent à reconnaitre que sans cette présence militaire française, la porte est ouverte à toutes les aventures. Dans ce cas, aucun exercice d’équilibrisme ne peut sauver le Mali.
CH Sylla