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Politique au Mali : Du parti unique au multi monopartisme

Au Mali, nous sommes passés du monopartisme au «multi-monopartisme». Qu’est-ce à dire ? Nous sommes passés d’un système de parti unique à un système avec une multitude de partis qui gardent encore les reflexes du parti unique. On a chassé le naturel, il est revenu au galop ! On ne peut que donner raison à Stephen Smith quand il note qu’en Afrique le multipartisme se ramène tout simplement à la «démultiplication scissipare de partis uniques». Les partis ont perdu les attributs de structures associatives et se sont mués en entités bureaucratiques dirigées par des présidents inamovibles. Ces derniers ne manquent pas une occasion de vanter les mérites des débats démocratiques et de prôner l’alternance au sommet de l’État.

Cependant, la plupart d’entre eux ne souffrent guère la contradiction, encore moins la contestation, au sein de leur parti et se font reconduire indéfinitivement par des congrès factices. De l’instauration du multipartisme à nos jours, nous ne connaissons aucun cas d’alternance à la tête d’un parti politique, c’est-à-dire le remplacement d’un président sortant, candidat à sa propre succession, par un président entrant, nouvellement élu. Les querelles de leadership au sein des partis ont tendance à dégénérer en véritables guerres de tranchées, où le vainqueur garde jalousement  sa «chose» et chasse le vaincu qui créé à son tour sa «chose», c’est-à-dire un nouveau parti dont il s’autoproclame président. Et le cycle reprend. La «chosification» des partis a conduit leurs dirigeants à des comportements grotesques. Il faut rester chef de parti à tout prix. Pour reprendre une expression de Houphouët Boigny, il vaut mieux être «la tête d’une souris» que «la queue d’un lion». Autrement dit, il vaut mieux être le «grand chef» d’un petit parti que le «petit chef» d’un grand parti. On préfère jouer les premiers rôles dans une formation qui n’existe souvent que de nom que de se contenter d’être la deuxième ou la troisième personnalité dans une grande formation qui a déjà acquis une certaine stature et une certaine notoriété. Les conséquences de ce phénomène étaient prévisibles: l’activité politique de ces vingt dernières années a été marquée essentiellement par de multiples querelles intestines au sein des partis politiques. Ces querelles sont plus le fait de luttes d’influence et de conflits de leadership entre les responsables du parti que d’oppositions sur la vision et la ligne directrice du parti. Donc, ce sont moins des différences d’idées que de basses querelles de personnes et d’intérêts qui sont à la base des bouillonnements dans les partis politiques de l’ère démocratique. Rares sont les formations politiques qui ont échappé au syndrome de la division. Pour utiliser un langage imagé, nous dirons qu’en une vingtaine d’années d’existence, beaucoup de partis sont devenus parents, grands-parents, et même arrière-grands-parents. Les exemples ne manquent pas. L’Alliance ADEMA a donné naissance au MIRIA, au RPM, à l’URD, à la CODEM, à l’ASMA-CFP. Le RDP a engendré le RND qui a engendré la CND. Le PDP a donné naissance au PDA, au MC-CDR à la CDS-Mogotiguiya. Le CNID a enfanté le PARENA qui a enfanté le BARA qui enfanté le BARICA. La liste est loin d’être close.

Tares du parti ADEMA-PASJ et ses rejetons

Deux (02) faits, parmi tant d’autres ont renforcé la perception de l’opinion  publique sur le peu de conviction des responsables des partis politiques et leurs penchants opportunistes. Le premier, c’est le retour à l’ADEMA-PASJ de certains barons du MIRIA et du RPM annoncé lors d’une conférence de presse organisée, le 18 novembre 2003. On se rappelle que ce sont des dissidents de l’ADEMA qui ont démissionné avec fracas, en 1994 et en 2001 pour former respectivement le MIRIA et le RPM.

Dans le courant de l’année 2003, certains membres fondateurs et responsables clés de ces deux (02) partis sont entrés une nouvelle en dissidence après avoir étalé sur la place publique leurs récriminations à l’endroit des leaders du MIRIA et du RPM. Les griefs invoqués n’étaient pas d’ordre  idéologique, mais avaient trait plutôt à des questions de personne et de gestion interne au sein du parti. On connaît la suite: ils ont encore démissionné avec fracas une deuxième fois pour rejoindre l’ADEMA-PAJ et à la faveur du troisième congrès ordinaire du parti tenu à Bamako, du 16 au 18 janvier 2004, ils ont eu droit à des strapontins dans un bureau national de cinquante-trois (53) membres. Les deux (02) arrivants les mieux placés ont obtenu les postes de quatrième et cinquième vice-président dans ce bureau.

Le second fait

C’est la décision prise par le septième conseil national de L’ADEMA-PASJ tenu à Bamako, les 12 et 13 novembre 2005 de traduire le «soutien politique» du parti en «soutien électoral» Cette décision est surprenante à plus d’un titre: l’ADEMA-PASJ clame urbi et orbi son soutien à un candidat non encore déclaré et s’affiche avant même le Mouvement Citoyen et la coalition de partis qui ont parrainé la candidature de Amadou Toumani Touré (ATT), en 2002. Dans la foulée, certains responsables du parti  ont fait mine d’ignorer les dispositions statutaires qui exigent d’un candidat à l’investiture qu’il soit un militant recensé dans un comité de base et détenteur d’une carte de membre, qu’il participe régulièrement aux activités du parti, qu’il paye régulièrement ses cotisations, qu’il consente des prélèvements sur ses indemnités au compte du parti, toutes choses qui ne s’appliquaient pas à ATT, car il s’est présenté aux suffrages des Maliens, en 2002 comme candidat indépendant et a toujours déclaré n’être militant d’aucun parti politique de la place.

Les démembrements des formations politiques ont été suivis d’un phénomène  bizarre: le nomadisme des élus. Du jour au lendemain, des individus élus sous la bannière d’un parti décident de le quitter et migrent avec armes et bagages dans un nouveau parti issu du premier. Un député de l’ADEMA-PASJ  se retrouve député du MIRIA demain. Un maire de l’US-RDA aujourd’hui  devient maire  du BDIA demain. Le nomadisme des élus est une source potentielle d’instabilité institutionnelle, car les majorités parlementaires peuvent se faire et se défaire au gré des humeurs, des caprices et des intérêts de certains élus. Une autre manifestation est la bureaucratisation des partis. Les instances dirigeantes des partis font fi des opinions et des aspirations des instances de base. Généralement, c’est le sommet qui en impose à la base et non l’inverse. Parfois l’attitude des responsables des partis frise le mépris à l’endroit de la masse des militants et adhérents.

 Manque de culture démocratique

S’il est vrai qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, il est tout aussi vrai qu’une poignée de démocrates ne suffit pas pour faire fonctionner un système démocratique. En termes clairs, une démocratie fonctionne avec des démocrates. Cette lapalissade, appliquée au contexte malien, nous amène à mettre le doigt sur l’un des plus grands défis auxquels la démocratie malienne est confrontée, à savoir l’absence quasi généralisée d’une culture démocratique. La culture démocratique peut se définir comme un profond attachement des acteurs de la vie politique à un ensemble de valeurs dont l’observance conditionne une pratique saine de la démocratie. La culture démocratique représente pour les acteurs de la vie politique ce que le «Fair-Play» représente pour les sportifs. Par exemple, si une équipe de football pratique un jeu brutal, peste sans cesse contre les décisions de l’arbitre, et attribue toutes ses défaites à la partialité de ce dernier, on dira d’elle qu’elle n’est pas fair-play, qu’elle n’a pas l’esprit sportif. De même, le fait d’user de  subterfuges juridiques pour rendre inéligible et écarter de la course aux postes électifs un ou plusieurs adversaires, le fait de recourir à l’argent pour fidéliser des électeurs et acheter leur voix le jour du vote, le fait d’appeler à la violence pour contester les résultats sortis des urnes dénotent une absence de culture démocratique. L’existence d’une culture démocratique suppose donc que les acteurs de la vie politique se soumettent volontairement à un «code de bonne conduite» qui doit leur servir de bréviaire. La culture démocratique ne saurait être une simple profession de foi; elle est un comportement, et de ce fait, elle ne se décrète pas. Elle s’acquiert et se conforte tout au long de la pratique démocratique. Certes la brièveté du parcours démocratique malien est telle que l’instauration immédiate d’une culture démocratique aurait relevé du miracle. Nous ne pouvions pas réaliser en une décennie ce que d’autres ont construit pendant des siècles, et cela sans atteindre la perfection.

Cependant, ce qui est préoccupant, c’est le fait que nous n’avons même pas réussi à bâtir les fondations  de la culture démocratique. Après les évènements de mars 1991, les acteurs de la vie politique se sont beaucoup plus attelés à l’établissement du cadre formel du système démocratique. Ils ont, consciemment ou inconsciemment, relégué à l’arrière-plan l’effort d’éducation civique, de formation et de sensibilisation qui devait amener les citoyens à comprendre et à internaliser les exigences de la démocratie. Le déficit de culture démocratique se manifeste sous des formes variées qui sont autant de menaces pour la survie de l’expérience démocratique: les déviances des partis politiques, les dérives de la presse, la désaffection des populations vis-à-vis de la vie politique, le recours à la violence. L’énumération n’est pas exhaustive car la catégorisation a été simplifiée à dessein.

Les déviances des partis politiques

Nous sommes le dimanche 28 septembre 2003. Je me trouve à Kolokani, une bourgade située à 150 kilomètres au Nord de Bamako. Je me suis retiré là pour jouir de quelques jours de vacances loin des nuisances de la capitale. Il est 13 heures, heure du journal parlé à la radio nationale. Les joueurs et spectateurs de notre partie belote  écoutent, dans la plus grande indifférence, l’annonce de la création du Rassemblement pour le développement et la Solidarité (RDS) sorti des flancs de l’Union pour la Démocratie et le Développement (UDD). Ce jour-là, la quatre-vingt treizième (93) formations politiques du Mali démocratique a été portée sur les fonts baptismaux. Des rires fusent de partout, suivis de commentaires pour le moins incisifs:

– «Ah, ces sacrés politiciens ! Il est grand temps qu’ils arrêtent leur folklore»;

– «Au rythme où vont les choses, nous aurons bientôt autant de partis politiques que de citoyens dans ce pays»;

– «Pourquoi notre groupe de belote ne se constituerait-il pas en parti ? Il suffit de convoquer une réunion pour créer le parti et désigner les membres du bureau, ensuite déposer la déclaration au ministère de l’Administration Territoriale, enfin nous faire délivrer le fameux récépissé qui nous rendra éligible au financement public des partis politiques».

Cette scène aurait pu se dérouler à Bamako, Bankoumana, Tourougoumbé, Zégoua, Sangha, Tombouctou, bref dans n’importe quelle fraction nomade sur le territoire national. Point n’est besoin de faire un sondage d’opinion dans les règles de l’art pour savoir que de nombreux Maliens nourrissent un profond sentiment de désenchantement, voire de défiance, vis-à-vis des partis politiques. Pourtant, les partis politiques doivent jouer un rôle primordial dans un système politique démocratique au triple plan de l’animation de la vie politique, de la formation civique et de l’encadrement des militants, de la  conquête et de l’exercice du pouvoir politique. Au Mali, les deux (02) premières missions des partis semblent avoir été sacrifiées au profit de la dernière. Les déviances des partis politiques sont liées essentiellement à deux facteurs: leur nombre et la survivance des pratiques du parti unique.

La pléthore de partis politiques

À l’évidence, il y a une abondance de partis politiques au Mali. D’une quarantaine de partis légalement déclarés à l’approche des échéances électorales de 1992, le nombre est passé à plus de 80 au moment des consultations électorales de 2002. Or, en dix ans, le nombre d’électeurs n’a presque pas varié, passant de 5 233 432 pendant le référendum, de janvier 1992 à 5746202, au moment des élections présidentielles d’avril 2002. À la fin de l’année 2005, on comptait 103 partis politiques qui ont satisfait aux formalités de déclaration au niveau du ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités locales, soit un parti pour 55 000 électeurs. Si ce ratio reflétait le niveau d’encadrement des électeurs, le Mali, pays économiquement sous-développé, compterait sans doute parmi les pays politiquement développés. Malheureusement, la réalité est tout autre. Il convient de signaler que la prolifération des partis politiques n’est pas l’apanage du Mali. Le phénomène se rencontre dans la plupart des pays africains qui ont été secoués par la fièvre démocratique des années 1990. À titre d’exemples, en 2004, le nombre de partis politiques légalement déclarés était de 39 au Niger, 48 au Burkina Faso, 80 au Sénégal, 106 au Benin. Le record est peut-être détenu en Afrique par la République Démocratique du Congo, où le nombre de partis politiques reconnus officiellement atteignait 238 à la fin de l’année 2005.

La prolifération des partis politiques

Avec la prolifération des partis politiques, nous avons indubitablement perdu en qualité ce que nous aurons gagné  en quantité. Il n’y a pas 103 projets de société muris par les formations politiques et traduits en programmes de développement économique et social cohérents. Il y a plutôt 103 variantes du même projet de société qui sont ressassées au public. Le contenant change, mais le contenu reste le même. Tous les partis luttent contre les mêmes maux, défendent les mêmes causes et s’abreuvent à la même source de la pensée néolibérale.

 Confusion entre majorité et opposition

Les observateurs et les simples citoyens ont du mal à distinguer les partis en fonction de leur attachement à une idéologie ou à un courant de pensée. Il n’y a pas de partis de tendance nationaliste, libérale ou socialiste. Il y a plutôt le parti d’Ibrahim Boubacar Keïta, de Me Tall, de Yoro Diakité, de Maribatrou, de Youssouf Traoré, de Tiéblé Dramé, d’Oumar Mariko, et tant d’autres, et tous professent au gré des circonstances des idées nationalistes, libérales ou socialistes. C’est cette confusion entre le parti et la personne de son fondateur qui amène les responsables actuels de l’Union des forces démocratiques (UFD) à utiliser encore le nom de feu Maître Demba  Diallo pour identifier le parti auprès du public; le comble, c’est que dans la troisième législature, il n’y a pas de ligne de démarcation nette entre partis politiques de la majorité et de l’opposition. Il y a tout simplement des partis et des coalitions de partis qui soutiennent tous le programme du président de la République et s’attendent à être récompensés par un ou plusieurs portefeuilles ministériels. Tous les partis  fuient l’opposition comme la peste, alors même que vingt-trois (23) candidats, dont plus de la moitié était alignée par des partis politiques, ont disputé le suffrage des électeurs avec Amadou Toumani Touré (ATT) lors du premier tour de l’élection présidentielle du 28 avril 2002.

Aly CISSÉ

Source: Inter De Bamako

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