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Police : Des balles, des morts et une crise de confiance

Une personne tuée par balles et sept autres blessées. Le bilan des incidents survenus à Lafiabougou, en Commune IV du District de Bamako, le 21 juillet 2021, interpelle. Ils ont opposé une équipe de la Brigade anti criminalité (BAC) aux jeunes du quartier et révèlent la nervosité qui caractérise les relations entre la population et les forces de l’ordre, censées la protéger. Ces incidents, qui en rappellent malheureusement d’autres, traduisent une crise plus profonde, qui interroge le comportement et la formation de nos agents de sécurité, sans occulter une véritable défiance à l’égard de l’autorité qui risque de compromettre « la proximité »  entre la police et les citoyens et les efforts pour une sécurisation durable.

 

« Les investigations sont en cours pour savoir ce qui s’est réellement passé et situer les responsabilités. Justice sera rendue », a assuré M. Idrissa Touré, le Procureur de la République près le tribunal de Grande instance de la Commune IV du District de Bamako, à propos des incidents de Lafiabougou. Dans un entretien publié sur les réseaux sociaux le lendemain des évènements, il a insisté sur l’engagement des autorités judiciaires et de la hiérarchie des policiers à n’admettre aucune impunité.

D’ailleurs, tous les policiers participant à la patrouille ont été arrêtés, en attendant de situer les responsabilités a-t-il précisé. Une sortie rapide du Procureur, qui avait reçu des jeunes dans la foulée des évènements, mais qui n’a pas suffi à calmer la colère populaire.

Le 26 juillet, des habitants ont manifesté pour réclamer justice. Ils entendent maintenir la pression jusqu’à ce que les auteurs soient sanctionnés. Une pression nécessaire pour l’un des jeunes manifestants, afin que les fautifs ne soient pas « couverts », comme dans le communiqué qui a suivi l’incident, rappelle-t-il. Le 28 juillet, les six policiers impliqués dans cette affaire ont tous été déférés à la Maison centrale d’arrêt de Bamako pour meurtre, coups mortels, blessures volontaires et involontaires.

S’il « est difficile d’avoir une analyse objective qui refléterait la réalité de la situation », il est possible de se fier à certains indicateurs observés chez nos forces de l’ordre, avance le Dr Yacouba Dogoni, enseignant-chercheur à la Faculté des Sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de l’Université des Lettres et sciences humaines de Bamako.

La « situation chaotique » dans laquelle nous vivons est une preuve des  failles de notre système de sécurité. Un système qui est devenu « un dépotoir de déchets sociaux », juge sans gants le chercheur. L’armée, la police ou la gendarmerie constituent désormais pour beaucoup de ces « gens en déviance des normes sociales et ayant échappé à tout contrôle social », un refuge. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, car l’armée en tant qu’institution peut leur permettre, grâce à une formation adéquate, de revenir dans l’ordre social et d’assurer des fonctions régaliennes.

Frustrations

Sauf que, malheureusement, de plus en plus on constate une recrudescence des frustrations de la population vis-à-vis des forces de l’ordre. L’assassinat en 2020 d’un commissaire à Niono est l’une des manifestations de cette colère peu contenue des populations envers elles.

Une défiance d’autant plus accrue que la population n’a aucune visibilité sur les éventuelles sanctions prises à l’encontre des policiers impliqués dans des incidents, même si les responsables de la police ont toujours soutenu qu’aucune impunité ne régnait en son sein.

« Les policiers ont la gâchette facile et ils tirent à bout portant sur les civils qu’ils ont le devoir de protéger », déplore Dr Dogoni. Ce qui s’est passé devant la mosquée de l’Imam Mahmoud Dicko durant les manifestations du M5, ce qui s’est passé à Sikasso après la proclamation des résultats des élections législatives de 2020, ce qui s’est passé à Kayes, énumère le sociologue, et la liste n’est pas exhaustive, « mérite d’être étudié en profondeur » et impose de prendre des sanctions lorsque les auteurs sont identifiés.

Pour beaucoup d’analystes, une restructuration des forces de l’ordre est nécessaire, de même qu’il faut tirer les leçons afin que ce qui s’est passé à Lafiabougou ne se répète pas.

Une poursuite qui aboutit à un accident et le conducteur du véhicule incriminé qui s’échappe. « Inadmissible », selon le Dr Dogoni, parce que ce sont les forces de l’ordre qui doivent sécuriser le lieu de l’accident. Si elles en sont responsables, elles doivent au moins « secourir » les victimes.

En outre, si les nombreux témoignages concordants des jeunes riverains s’avèrent vrais, « il y a un problème psychologique à régler ». En effet, selon plusieurs d’entre eux, le policier qui a tiré a d’abord pris à partie sa victime, avant de lui déclarer qu’il n’avait aucun mal à tuer. Selon Sidi Dramé, l’un des jeunes témoins de la scène, c’est la « longue attente » de l’ambulance venue chercher les blessés et le choix des policiers de la BAC de « s’enfuir » qui a augmenté les tensions.

Faible professionnalisme

Le « malheureux incident de Lafiabougou aurait pu être évité si l’intéressé avait obtempéré aux injonctions de la police » et si celle-ci avait évité de pourchasser le véhicule, ajoute un responsable de la police, sous couvert d’anonymat.

Une note interne du Directeur national ayant fuité sur les réseaux sociaux rappelait qu’il est interdit aux policiers de procéder à des courses poursuites. « Il ne faut pas se leurrer, nous n’avons pas une police professionnelle. Les sanctions prises à l’encontre d’un usager en faute sont toujours négociables.

Malgré la formalisation des procédures, on n’est pas à l’abri de la corruption » relève le sociologue. L’incident de Lafiabougou questionne en effet sur la formation de nos policiers, notamment la conduite à tenir dans des situations de stress où les nerfs sont à vifs.

Si très peu de gens acceptent de se soumettre aux normes, c’est parce qu’ils sont protégés, y compris par des « hauts placés », avoue le responsable de la police.  Mais c’est à la police de les « aider à s’en sortir ». Alors que même quand on demande des quittances cela peut créer des problèmes. « En réalité, nous avons des commerçants déguisés et la tenue est leur moyen de protection ».

Rééduquer

Population et policiers doivent réapprendre leurs rôles et s’y conformer, car ce qui explique la multiplication des incidents comme ceux de Lafiabougou, c’est d’une part que les gens ont « appris à braver l’autorité » et de l’autre les abus d’autorité de la part de « certains agents de sécurité en contact quotidien avec la population », explique M. Baba Dakono, Secrétaire exécutif de l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité.

Même si tout n’est pas mauvais, selon les acteurs, il faut reconnaître que le professionnalisme n’est pas au cœur du comportement de nos agents et véritablement « soigner le recrutement », suggère notre responsable de la police.

En 2019, une vidéo de policiers brisant des vitres de véhicules garés à coup de pierres à Badalabougou avait fait le tour de la toile. « Il ne faut pas oublier que les jeunes déscolarisés, avec des faux diplômes, ou en porte-à-faux avec les normes sociales qui sont recrutés au sein de ces forces de l’ordre se retrouvent en face d’autres jeunes avec les mêmes comportements déviants. À la différence que les uns portent la tenue et des armes et que les autres sont mains nues », ajoute-t-il.

Si le recrutement doit désormais se faire selon les normes, « les encadrements doivent être assurés » afin de faire changer positivement les comportements. Un travail de fond à mener à long terme, afin que la police « reprenne conscience de ses fonctions » et retrouve le respect des citoyens et que ces derniers apprennent à respecter les règles de conduite. Ce retour à la normale ne sera possible qu’avec la restauration de la confiance entre ces deux acteurs, grâce à la justice que les autorités judiciaires et policières ont promise.

Fatoumata Maguiraga

Source : Journal du Mali

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