Au Mali, comme ailleurs, les personnes atteintes de cette maladie qui affecte la vision et la peau sont souvent présentées comme des êtres surnaturels. Elles font peur et sont rejetées par la société
«Je m’appelle Fatoumata Diakité, j’ai 10 ans. Moi, je n’ai plus envie de rester à l’école à cause des problèmes de vue. Ils refusaient de croire que je ne pouvais voir le tableau de loin. Certains comparent mes yeux à ceux des chats, d’autres crachent par terre en me voyant pour que leurs enfants ne me ressemblent pas. J’étais détestée par notre enseignante, elle disait régulièrement que je suis maudite et me frappait tout le temps sans aucune raison. Nous souffrons beaucoup. Nous sommes insultés et frappés tout le temps». Ce témoignage poignant d’un enfant albinos que nous avons rencontré résume parfaitement les problèmes et difficultés que vivent au quotidien les personnes atteintes d’albinisme. Ces personnes sont pour la plupart victimes de stigmatisation, de discrimination et d’exclusion sociale par la communauté et souvent, par leur propre famille.
Selon la présidente de l’Association malienne pour la protection des personnes atteintes d’albinisme (AMPA), Mme Maïga Aminata Traoré, le terme «yéféké» (vision faible en bambara, ndlr) désigne une personne atteinte d’albinisme. C’est une maladie génétique et héréditaire qui affecte la pigmentation et se caractérise par une production insuffisante du pigment (mélanine) qui colore la peau, les yeux, les poils et les cheveux. L’albinisme se traduit par un physique particulier et des anomalies de l’œil. Cela dit, les effets incluent une vulnérabilité au cancer de la peau et un handicap visuel important, explique Mme Maïga Aminata Traoré. «La personne albinos présente une faible acuité visuelle, une intolérance à la lumière (photophobie), un strabisme, un fort astigmatisme (vision déformée) souvent liée à une myopie ou une hypermétropie», ajoute la présidente de l’AMPA. Si l’albinisme est globalement méconnu dans certains pays, ce n’est pas le cas en Afrique sub-saharienne où il y a des albinos partout. Ce phénomène est souvent considéré comme surnaturel et sa non compréhension sociale fait que les albinos font face à de nombreuses difficultés comme la discrimination, les injures, les moqueries, le rejet social où l’abandon parfois.
«Certains hommes vont jusqu’à l’abandon de leurs enfants parce qu’ils pensent que ces derniers ne sont pas d’eux et mettent en avant la différence de la couleur de la peau», témoigne Mme Maïga Aminata Traoré. Pour elle, il y a des mythes qui tournent autour de l’albinisme comme «le fait d’avoir les cheveux d’un albinos dans sa poche qui porterait chance et richesse. D’autres pensent que les organes ou le sang des albinos peuvent procurer richesse et bonheur». Ces idées erronées, poursuit-elle, se traduisent par des brimades, des moqueries, des injures, des railleries et des huées normalisées dans la rue. Dans certains cas, elles conduisent à des agressions physiques, voire des meurtres de personnes atteintes d’albinisme.
Aussi, les personnes atteintes de cette maladie sont confrontées à la déscolarisation du fait de leur faible acuité visuelle et de la discrimination. Les enfants atteints d’albinisme ont une intelligence normale mais ces troubles visuels, s’ils sont importants, jouent sur leur scolarisation. Pour ceux qui ont la chance d’aller à l’école, la vie est souvent difficile parce que les camarades de classe sont souvent la première source de moquerie et de dérision. «C’est ce qui explique que la majorité des personnes atteintes d’albinisme (PVA) sont déscolarisés. Nous souffrons d’une myopie incurable que beaucoup d’enseignants ne comprennent pas», insiste la présidente de l’AMPA.
Un autre risque majeur pour les albinos réside dans les rayons ultraviolets du soleil, contre lesquels ils ne sont pas protégés. Le soleil peut brûler ces personnes et provoquer chez elles des infections cutanées très graves ou même des cancers de la peau. «Avec la fragilité de la peau, le soleil dégrade l’épiderme et fait apparaître des taches noires sur la peau.
Cela conduit à un dessèchement de la peau suivi de plaies. Sans entretien, ces plaies sont susceptibles d’être des cancers. Du fait de la dangerosité chez les PVA, ces plaies conduisent à une mort certaine», explique Mme Maïga Aminata Traoré; qui déplore l’absence de dispositif sanitaire digne de ce nom pour la prise en charge des maladies cutanées.
Selon elle, les albinos qui sont dans les zones rurales sont les plus exposés parce qu’ils n’ont pas souvent la possibilité de se procurer la crème solaire. «Pour que nous puissions sortir au soleil, il faut que nous appliquions de la crème solaire sur la peau et ces crèmes solaires sont très chères au Mali». Face à ces problèmes, les associations pour la protection des albinos comme l’AMPA, se sont fixées comme mission de sensibiliser les personnes atteintes de la maladie mais aussi les populations et les familles des albinos. «Nous faisons des campagnes de sensibilisation à tous les niveaux, mais en mettant l’accent sur les établissements. Il nous arrive de faire des séances de travail avec le corps enseignant au cours desquelles nous expliquons à nos interlocuteurs ce qu’il faut faire pour que les albinos se sentent à l’aise à l’école et étudient comme les autres enfants.
Parallèlement à ces campagnes de sensibilisation, l’AMPA mène des activités de renforcement de capacités des PVA en leadership, développement personnel contre les effets de la marginalisation sociale provoquant une auto-exclusion», indique Mme Maïga Aminata Traoré qui estime à environ 200 personnes le nombre d’albinos du District de Bamako. Aujourd’hui, il existe une dizaine d’associations d’albinos au Mali, dont AMPA, SOS Albinos et Solidarité pour l’insertion des albinos au Mali, la Fondation Salif Keïta pour les albinos, du nom du célèbre musicien Salif Keïta… Ces associations se sont regroupées au sein d’une coalition appelée la Coalition des organisations des personnes atteintes d’albinisme (CORPA) qui a été portée sur les fonts baptismaux en décembre 2018 et qui projette de créer une application baptisée «Yéféké» pour recenser l’ensemble des PVA de notre pays.
Pour lutter contre les attaques et autres violations dont est victime cette couche sociale en Afrique sub-saharienne, un plan d’actions sous-régional existe déjà. Il prévoit des mesures spécifiques pour lutter contre les agressions et la discrimination à l’endroit des personnes atteintes d’albinisme par la prévention, la protection, la responsabilisation, ainsi que l’égalité́ et les mesures de non-discrimination. Ce plan d’actions de cinq ans de l’experte indépendante des Nations unies qui prend en compte les besoins spécifiques des PVA, contient les recommandations formulées par différents organes et mécanismes de défense des droits de l’Homme au niveau des Nations-unies et de l’Union africaine.
Tamba CAMARA
Source : L’ESSOR