Pour comprendre comment religion et politique peuvent cohabiter, il faut s’intéresser à l’action religieuse et aux organisations sur le terrain.
Lorsque des politiciens sollicitent l’appui d’un groupe religieux au détriment d’un autre, ou que des autorités religieuses disent parler au nom de l’ensemble de la population, il est légitime de se demander si le maintien effectif d’une démocratie ne nécessite pas de bannir totalement la religion de la sphère publique.
Cependant, même dans les démocraties les plus laïques, un examen approfondi du rôle de la religion dans la vie publique met en évidence des facteurs antidémocratiques potentiels mais aussi des forces pro-démocratiques.
Pour vivre ensemble en conciliant liberté et responsabilité, il faut observer avec attention le fonctionnement des religions et des sociétés en question. Plus important encore, il faut s’intéresser à l’action religieuse et aux organisations sur le terrain, et pas seulement aux questions théologiques et aux autorités religieuses.
Séparer rigoureusement toute forme de religion de la vie publique semble être la meilleure solution. Les Français ont instauré le principe de laïcité et d’autres pays leur ont emboîté le pas.
Le danger des généralisations
Bien sûr, tous les pays démocratiques ne fonctionnent pas ainsi. D’autres théoriciens se sont donc demandé si certaines traditions religieuses étaient plus ou moins compatibles avec le système démocratique. Selon les époques et les lieux, la même religion a pu être vue comme le ferment de la démocratie ou, à l’inverse, comme une entrave à son fonctionnement.
Pour évaluer l’impact de la religion sur la participation démocratique, il est essentiel de constater comment les religions sont « vécues » par les citoyens ordinaires et comment elles s’organisent au niveau local. Chaque courant s’appuie sur des idées, des rites et des façons de vivre qui peuvent favoriser [ou entraver] le fonctionnement de la démocratie.
Les politologues Pazit Ben-Nun Bloom et Gizem Arikan ont examiné des données de 54 pays fournies par le World Values Survey afin de mettre en évidence les différents effets des croyances et pratiques religieuses.
Selon cette étude, les personnes qui font partie d’une organisation religieuse manifestent un intérêt plus marqué pour la politique, font davantage confiance aux institutions et sont plus favorables à la démocratie. La façon dont les gens pratiquent leur religion peut aboutir au « développement de compétences civiques et de normes positives pour la démocratie ».
De même, les politologues nord-américains Sidney Verba, Key Lehman Scchlozman et Henry Brady ont montré que la pratique religieuse était un indice de participation civique, en particulier chez les citoyens les moins favorisés. Au sein des groupes religieux, les occasions offertes de s’exprimer, de s’organiser et de diriger aident à développer des compétences utiles à la participation démocratique.
Faut-il intégrer la religion au processus démocratique ?
Dans un livre publié en 2011, intitulé « Rethinking Religion and World Affairs », les auteurs affirment que la démocratie est plus susceptible d’émerger et de se maintenir lorsque les religions sont intégrées au processus de transition au lieu d’être considérées comme des forces hostiles.
Le révérend Martin Luther King Jr. est sans aucun doute l’exemple le plus connu de religieux investi en politique. Ici au Lincoln Memorial, où il prononça son célèbre discours, I Have a Dream, le 28 août 1963. Wikimedia/US government.
Intégrer la religion signifie prêter attention à la façon dont les personnes concernées agissent et s’organisent, pas seulement à leurs idées ou à leurs doctrines, ni même aux discours des autorités religieuses. Il faut tenir compte du fait que les groupes religieux peuvent favoriser ou entraver l’émergence d’un ordre politique démocratique. Là où les organisations religieuses sont présentes et actives, elles sont susceptibles de jouer un rôle important dans toute tentative de démocratisation.
Les groupes religieux et leurs dirigeants devraient toujours être considérés dans leur contexte, chaque cas étant unique et complexe.
Lorsque des musulmans créent des partis islamiques, ceux-ci tendent à fonctionner comme n’importe quel autre parti politique, dans la mesure où ils sont conditionnés par la réalité du terrain. Les revers de fortune des Frères musulmans en Egypte prouvent combien il est difficile d’établir des généralités en ce qui concerne le rôle de la religion en démocratie. Ces relations de connivence entre les religieux et les politiques profitent-elles aux citoyens ?
Assi de Diapé
Le Point du mali