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Patrice Talon, président du Bénin: «Plusieurs opposants ont planifié une insurrection pour me faire tomber»

C’est la première interview du président béninois depuis sa réélection contestée du 11 avril dernier, en l’absence des poids lourds de l’opposition qui n’ont pas pu se présenter contre lui. Pourquoi la plupart de ces figures de l’opposition sont-elles poursuivies par la justice béninoise ? Maintenant qu’il est réélu, Patrice Talon est-il prêt à les gracier ? Et vise-t-il un troisième mandat en 2026 ? À Cotonou, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI et de Marc Perelman de France 24.

RFI : Monsieur le président, le 11 avril vous avez été réélu pour un second mandat de 5 ans, avec un score de plus de 86%, dès le premier tour. Vous aviez face à vous deux candidats peu connus au point que l’on a évoqué une élection courue d’avance…

Patrice Talon : En effet les résultats de cette élection donnent bien l’impression qu’en face les candidats n’étaient pas peut-être à la hauteur. Mais je crois que c’est une mauvaise lecture. Et vous savez le Bénin vient de loin, et quand un pays en si peu de temps s’est étonné lui-même, et a pu étonner même le monde par ses prouesses, cela peut donner aux uns et aux autres notamment dans le pays le sentiment que ça y est, quelque chose se passe, et qu’il faudrait que ça continue. Vous savez, souvent quand un régime, un président est décrié, comme on l’entend un peu partout, les électeurs peuvent voter contre quel que soit celui qui est en face. Donc ce n’est pas toujours en fonction de celui qui est en face que les électeurs expriment leur choix. Parfois ça peut être un vote sanction.

Là c’est un vote d’adhésion pour vous ?

Pour moi, c’est un vote d’adhésion.

Alors tout de même, il y a quand même un autre chiffre qui est frappant, c’est qu’il n’y a que 50% de participation, il y a donc un électeur sur deux qui n’est pas allé voter, alors que lors de votre première élection il y a 5 ans, le taux de participation avait approché les 65%, c’est un net recul. Ça veut dire qu’il n’y a pas eu le même engouement tout de même ? 

Nous avons, il faut l’avouer, participé à ces élections, en tout cas les 3 candidats en lice, dans un environnement assez mauvais, de menace, violence, d’intoxication. C’est l’une des premières élections au Bénin, soit la première élection au Bénin depuis le renouveau démocratique où l’argent n’a pas été le principal élément d’attrait pour les électeurs. Quand on met tout ça bout à bout, on peut comprendre qu’environ 10% des électeurs n’ont pas participé au vote par rapport à nos habitudes, alors quand on a quand même 50%, plus de 50%, parce que 51% des électeurs qui se sont déplacés alors même que pour certains la dynamique est fidèle, ce qui se passait si bien qu’il faut impérativement que ça continue, que pour certains il n’y a pas de raison que les électeurs n’apportent pas leur soutien au candidat Patrice Talon, vous comprenez ? Tout cela mis ensemble, a pu contribuer à dégrader le taux de participation, et 50% pour moi c’est satisfaisant, dans ces conditions.

Alors il y a quand même quelque chose qui pose problème, c’est qu’à l’exception de l’ancien président Thomas Boni Yayi, tous vos principaux opposants sont soit en exil, pour échapper à la prison, soit derrière les barreaux ici au Bénin. On a l’impression que vous avez cherché à faire le vide autour de vous, et que répondez-vous à ceux qui disent qu’à cause de vous la démocratie est en recul au Bénin ?

Qui sont les principaux adversaires candidats qui ont été derrière les barreaux à l’avant des élections ? Vous en connaissez derrière les barreaux ? Moi je n’en connais pas, il y a des gens qui ont été appelés à rendre compte de leur gestion, parce que nous sommes dans un pays d’impunité totale depuis longtemps, et que quand on décide que les choses changent, les gens ne veulent pas répondre de ce qu’ils ont fait, qui sont partis par eux-mêmes en exil, qui ont refusé de répondre à la justice, mais sinon je ne connais pas un acteur majeur de la politique derrière les barreaux avant les élections.

Vous n’avez pas cherché à éliminer tous vos adversaires pour gagner avec 86% ?

Je vais vous dire, ce qui se passe au Bénin, c’est dû à nos gouvernants qui sont devenus au fil du temps des prédateurs de leur pays, malheureusement a l’instar de la plupart de beaucoup de pays africains. Mon pays, le Bénin était devenu l’otage de sa classe politique, faite de toutes sortes d’individus y compris même des trafiquants de drogue.

Alors vous nous demandez, qui était derrière les barreaux au moment de la présidentielle du 11 avril, l’un a été arrêté que quelques jours plus tard, le 15 avril, c’est l’universitaire Joël Aïvo, il est accusé d’atteinte à la sûreté et de blanchiment de capitaux, il a essayé d’être candidat, il n’a pas pu. Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent :  le président est en train de régler son compte à quelqu’un qui a dit que la présidentielle c’était Talon contre Talon et que les résultats proclamés étaient truqués ?

Ah bon… pour vous ce n’était que ça ? Vous n’avez pas entendu que ces gens-là ont dit que l’élection n’aura jamais lieu ? Vous n’avez jamais entendu cela ? Pourquoi en répétant les propos de ceux qui paraissent être victimes des réformes au Bénin, vous faites une sélection de leurs propos ? Tout le monde a entendu, sur les ondes, partout, qu’ils ont dit que l’élection n’aura jamais lieu dans ces conditions, s’ils ne sont pas candidats, il n’y a pas élection.

C’est un opposant politique…

Bah alors, est-ce que dire que les élections n’auront jamais lieu, et agir pour que ça n’ait jamais lieu, pour vous est convenable ? C’est-à-dire au point de recruter des mercenaires, des chasseurs, les armer et amener ceux-ci à tirer sur les forces de l’ordre. Monsieur Aïvo dont vous parlez, parlons-en, et même plus que ça, Reckya Madougou, ça vous allez y venir ! Ils sont dans quel parti politique ? Ils n’ont pas de parti politique. Une dame débarque, n’est pas membre du parti, avec des valises d’argent, avec des sponsors, des chefs d’Etats de pays voisins, avec des opérateurs économiques…

Je veux préciser pour les gens qui nous écoutent et nous regardent, il s’agit de Reckya Madougou qui voulait être candidate, qui a été retoquée, elle a été arrêtée le 3 mars.

Elle n’a pas été retoquée, l’information n’est pas juste.

Elle a été arrêtée le 3 mars, elle est poursuivie pour « financement du terrorisme ». Donc c’est un terme grave, est-ce que ça veut dire qu’elle a fomenté des attentats au Bénin ? C’est quand même une accusation extrêmement grave, extrêmement rare, les mots comptent…

On y vient… ces personnes débarquent et veulent être candidats au titre des Démocrates. Ces gens-là ont dit, après que le dossier ait été constaté non-conforme, que l’élection n’aura pas lieu sans eux, qu’ils empêcheront par tous les moyens, ils l’ont dit publiquement, dans des conférences de presse, qu’ils l’aient dit, ce n’est pas grave, qu’ils aient agi pour, là ça devient sérieux. Alors quand des manifestations avec violence ont lieu, quand on demande à des gens de procéder à des assassinats aveugles pour que le pays s’enflamme, pour qu’on observe ce qui s’est passé au Burkina, au Mali, un peu partout, parce que comme il y a des insurrections qui ont eu lieu en Afrique et que ces insurrections ont parfois amené des régimes à être balayés, c’est le cas du Mali, il a été cité, le cas du Burkina a été cité, il faut que le Bénin s’enflamme, il faut qu’il y ait de l’insurrection et s’il y a des morts un peu partout, le pays s’enflamme, des violences partout, le pays va s’enflammer, il y aura une insurrection et le président du régime en place va devoir tomber, il y aura assise nationale, il y aura réconciliation, il y aura tout ce qu’on veut, donc pour leur fin politique, ils ont planifié, recruté des gens et mandaté des jeunes, des badauds, pour brûler le pays et surtout pour tuer ou faire des assassinats aveugles.

Vous avez des preuves de ça ?

Mais s’ils ont été interpellés, c’est parce qu’il y a des preuves devant la justice.

Monsieur le président, vous avez tout à l’heure au détour d’une phrase, dit quelque chose que votre ministre de la Justice avait aussi dit. Il avait affirmé à la suite des déclarations de ce juge, qu’il y avait de l’argent qui venait de pays voisins, vous l’avez déclaré à propos de Reckya Madougou, on va appeler un chat un chat, elle était connue comme conseillère du président du Togo par exemple, est-ce que vous voulez dire par là que son action violente telle que vous la décrivez, a été financée par des chefs d’Etats voisins, et par exemple le chef d’État du Togo ?

Vous convenez bien avec moi, qu’il ne serait pas bien que je cite des noms.

Mais vous avez parlé de chefs d’État tout à l’heure…

Cela suffit. Des hommes d’affaires, des autorités, des hommes d’États des pays voisins, et je sais de quoi je parle…

Attendez parce que c’est quand même très important. Vous dites que des chefs d’État de pays voisins ont participé à une opération de déstabilisation du Bénin ?

Ça c’est vous qui le dites, moi je n’ai pas dit ça. Est-ce que quand des autorités étrangères, même des chefs d’État appuient un candidat, financent même éventuellement un candidat, est-ce que leur implication va jusqu’aux actes criminels que ceux-ci pourraient commettre ? C’est deux choses différentes.

Elle était financée par des chefs d’État ?

Si vous soutenez un candidat politique qui pour vous peut-être peut faire une affaire quelque part, et que cette personne dérape, et va commettre des crimes, est-ce que vous êtes responsable ? Donc moi je n’ai pas de preuve que ceux qui ont soutenu Reckya Madougou l’ont mandatée à ce point.

Qui l’a soutenu ? 

Est-ce que c’est de mon rôle, de ma fonction de vous donner des noms ?

Mais des chefs d’État, on est bien d’accord ?

Je l’ai dit, il n’est pas nécessaire de le répéter, vous comprenez ce qu’on voulait dire. Ce n’est pas un secret.

Vous dénoncez monsieur le président les violences qui ont éclaté dans votre pays notamment entre le 6 et le 9 avril, notamment dans le centre nord du pays. Le fait est que de nombreux Béninois ont eu l’impression de ne pas pouvoir s’exprimer dans les urnes, faute de candidats importants représentant l’opposition, et qu’ils sont descendus dans la rue pour manifester, protester. Vous avez regretté vivement qu’il y ait eu des blessés parmi les forces de l’ordre, mais vous n’avez pas du tout parlé des morts dans la population civile, est-ce que vous pouvez nous dire aujourd’hui combien de personne sont décédées ?

Laquelle population civile ? Laquelle ? De quoi vous parlez, de quelle population civile ? Il y a eu des morts parmi les assaillants, parmi ceux qui ont tiré sur les policiers ? Vous avez l’identité ?

Parmi les populations civiles comme à Savè, comme à Tchaourou, est-ce qu’il y a eu des populations civiles, est-ce qu’il y a eu des morts parmi les populations civiles ?

Avez-vous, comme vous êtes journaliste représenté au Bénin par des reporters, avez-vous vu des familles qui ont présenté les dépouilles mortelles de personnes que vous citez, donné leur identité ? Moi jusqu’à maintenant en tant qu’autorité en charge de la sécurité de tout ce qui relève de notre bien-être ensemble, nous avons cherché à savoir qui sont ceux qui seraient éventuellement victimes des coups de feu de défense des forces de l’ordre, c’est important de savoir, même pour les enquêtes ça a été nécessaire, on n’a pas vu, nous n’avons même pas vu de déclaration de décès.

Monsieur le président, je veux revenir aux réactions à votre élection, et notamment à une réaction que tout le monde a remarquée, celle du gouvernement américain. Le département d’État américain a publié un communiqué en date du 23 avril, je vais le citer comme ça les choses seront précises : il affirme que les États-Unis « notent avec inquiétude les nombreuses arrestations de dirigeants politiques de l’opposition », ils rappellent l’importance de la présomption d’innocence, d’une justice transparente et apolitique, et ils ajoutent qu’ils suivent de près les actions du gouvernement du Bénin. Vous semblez donc être dans le viseur de l’administration Biden ?

Pas du tout. Toutes les fois donc qu’il y a des gens qui portent la casquette politique qui sont interpelés, ça soulève des inquiétudes légitimes, ça soulève des interrogations, surtout quand c’est une, deux, trois, quatre, cinq personnes c’est étonnant, c’est inquiétant…

On a l’impression que c’est une dérive autoritaire, disent les États-Unis…

Ils n’ont jamais dit ça.

Mais c’est l’impression qu’ils donnent…

Non, ils disent qu’ils suivent de près et tout le monde est préoccupé y compris eux, et moi-même par une justice transparente, qui ne soit pas à la solde d’une classe politique, c’est légitime et c’est normal, vous aussi, ce n’est pas seulement eux, que ce soient les Japonais, les Chinois ou les Européens, tout le monde dit toujours attention il ne faut pas qu’on utilise la justice pour régler des comptes politiques, et cette interrogation est légitime, cette préoccupation est légitime, maintenant à la suite, on verra si ceux qui ont été interpelés, ceux qui vont être condamnés sont condamnés, parce qu’ils ont fait quelque chose avec preuve ou non, il y en a qui seront peut-être libérés.

Vous avez dit lors de votre discours de victoire : « Je m’emploierai à améliorer ma façon de diriger », est-ce que vous êtes ouvert à un dialogue avec l’opposition, comme celle-ci vous y invite ? Et est-ce que vous envisagez un geste d’apaisement à l’égard notamment de ces figures de l’opposition ?

Je n’envisage point l’impunité. Je n’envisage pas à nouveau de fermer les yeux sur ce qui s’est passé ou bien de gracier ou d’amnistier, parce que ça devient récurrent. Il n’est pas envisageable qu’une fois encore, les gens soient graciés de quelque chose qui devient récurrent. On a arrêté des gens qui ont été auteurs des actes en 2019 et qui ont récidivé. Vous voulez les gracier à nouveau ? Ce serait une faute.

Monsieur le président, l’article 42 de la Constitution stipule que nul ne peut exercer plus de deux mandats, toute sa vie, à votre initiative, une réforme qui a été adoptée en 2019. Vous contrôlez le parlement et certains vous soupçonnent de peut-être vouloir changer cette constitution pour pouvoir, comme un certain nombre de chefs d’Etat, de la région ou un petit peu plus loin l’ont fait, en disant finalement la Constitution, c’est un bout de papier, le peuple me réclame donc je reste. Alors est-ce que vous pouvez nous dire oui ou non, est-ce que vous allez changer cet article ?

Est-ce que le Bénin ne fait pas la différence depuis un moment ? Quand vous observez le Bénin, vous ne voyez pas que ça se passe autrement ? Est-ce que cette phrase-là, quelqu’un l’a jamais mise dans une constitution ? Déjà pourquoi vous ne reconnaissez pas déjà l’importance d’une telle phrase, qui règle le problème des constitutions nouvelles, des remises à compteur à zéro, des troisième, quatrième, cinquième mandats, ce sera ainsi, personne ne changera cela, en tout cas pas moi, ni à mon initiative, je ne pense pas que le Bénin changerait, les Béninois tiennent beaucoup à la limitation des mandats. C’est pour ça que nous avons fait ça, pour éviter toute tentation de nouvelle constitution devant entraîner une remise à zéro des compteurs, parce que ne pas le faire, ça nous a empêchés de faire même des retouches techniques à la constitution, par peur que ce ne soit évoqué par quelqu’un pour s’éterniser au pouvoir.

Donc c’est votre dernier mandat ?

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Bien sûr.

En 2026, Patrice Talon ne sera pas candidat ?

Monsieur Boisbouvier, je nous souhaite longue vie et bonne santé, pour que nous puissions ensemble constater cela.

Donc c’est un engagement ferme…

Il ne peut en être autrement.

RFI

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