En une semaine, le paysage politique malien a basculé. Le Conseil national de transition (CNT), organe législatif de la transition dirigée par les militaires, a voté en toute hâte une loi abolissant tous les partis politiques et associations à caractère politique. Dans la foulée, le texte a été promulgué, publié et mis en application sans consultation nationale, sans débat, sans recul. Pour beaucoup de Maliens, tout est clair maintenant.
Derrière ce coup de force institutionnel, il n’est plus possible de feindre l’ignorance : les autorités actuelles veulent faire taire toutes les voix discordantes, contrôler totalement le jeu politique, et verrouiller l’espace public. Dans une démocratie, cela s’appelle la fin du pluralisme. Au Mali, cela porte désormais un nom : dissolution.
Des voix s’élèvent : “C’est la dictature qui s’installe”
Pour Moussa D., enseignant en sciences politiques à Bamako, cette décision n’est pas seulement autoritaire, elle est “profondément dangereuse pour l’avenir du pays” :“On commence par dissoudre les partis, ensuite ce seront les syndicats, les médias critiques, les associations de jeunes… On connaît ce scénario. L’histoire africaine en est pleine. Ce qui est grave, c’est que tout cela est fait au nom de la souveraineté, alors qu’en réalité il s’agit de museler toute opposition.” Même constat pour Fatoumata D., juriste et militante de la société civile : “Tout le monde n’aimait pas les partis politiques, mais il faut distinguer leur faillite morale et leur rôle démocratique. Sans partis, il n’y a pas d’alternance possible, pas de débats contradictoires. C’est un retour en arrière. Les militaires veulent le silence absolu.”
La rapidité avec laquelle cette mesure a été votée, promulguée puis appliquée a surpris par sa brutalité. En 48 heures, tout a été orchestré. M.D., observateur averti de la vie politique malienne, y voit une stratégie bien pensée : “Ils ont testé l’opinion depuis des mois, en dénigrant les partis à chaque sortie publique. Ensuite, ils ont vu que les réactions étaient faibles. Alors ils ont agi. Le vote du CNT, la signature, la publication au Journal officiel… tout s’est fait à une vitesse qui montre qu’aucune résistance n’était possible.”
Choguel Maïga, instrument puis victime
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut aussi remonter au rôle de Choguel Kokalla Maïga, ancien Premier ministre de la transition. Artisan de la montée en puissance du discours anti-partis, il a contribué à fragiliser les formations politiques traditionnelles, en les accusant d’être responsables de l’échec de la démocratie malienne. Mais l’ironie de l’histoire, c’est que lui aussi a fini par être écarté : “Il a creusé la tombe des partis, et on l’a poussé dedans ensuite”, commente un ancien membre de l’URD. “Les militaires l’ont utilisé pour préparer l’opinion, ensuite ils ont continué sans lui. ’’Certains approuvent : “Les partis ne pensaient qu’à leur poche” Toutefois, la décision n’est pas unanimement rejetée. Une partie de la population, surtout en dehors de Bamako, accueille cette dissolution avec un certain soulagement.
“Franchement, à quoi servaient les partis ?” interroge Issa, chauffeur à Ségou. “Ils ne venaient ici que pour les campagnes, distribuer du thé, promettre des routes et disparaître après. Je préfère les militaires qui au moins ne mentent pas sur leurs intentions.” Même son de cloche chez Mariam, vendeuse de légumes à Sikasso : “Les politiciens nous ont trahis. Peut-être qu’avec les militaires, ce sera pire, mais on a déjà vécu le pire avec les autres. Alors laissons-les essayer.”
Un pouvoir sans contrepoids
Mais cette adhésion partielle ne doit pas masquer les dangers d’une gouvernance sans opposition. FD, un homme de culture bien connu au Mali, s’indigne :“Depuis qu’ils sont là, qu’est-ce qui a changé ? Le courant est devenu un luxe, l’eau aussi. Regardez combien de quartiers n’ont pas d’eau potable ? Des familles veillent toute la nuit juste pour remplir quelques bidons. Et au lieu de s’attaquer à ces problèmes, ils s’attaquent aux partis ? C’est une diversion honteuse.”
Pour nombre d’analystes, il est urgent de rappeler aux militaires que le pouvoir n’est pas un but en soi, mais un moyen au service du peuple. “Ceux qui dirigent aujourd’hui doivent comprendre qu’il est de leur intérêt, à long terme, de ne pas s’éterniser au pouvoir”, souligne un politologue de l’Université de Bamako. “Chaque jour de plus sans légitimité populaire ou électorale les éloigne de la confiance des Maliens.”
La question fondamentale reste posée : à quoi sert cette dissolution ? Pour qui est-elle faite ? Est-ce pour soulager les populations ? Rien n’est moins sûr. “Rien n’indique que les conditions de vie des Maliens vont s’améliorer après cette mesure”, estime Moussa D. “C’est juste un moyen de sécuriser le pouvoir en place. Et c’est ça qui est grave.”
Et maintenant ?
Aujourd’hui, le Mali est à un carrefour historique. Le pluralisme politique vient d’être mis entre parenthèses. Le pouvoir se concentre entre les mains d’une poignée de militaires. Mais le peuple, lui, observe. Attend. Et se prépare peut-être à reprendre la parole. Parce qu’au fond, tout est clair maintenant.
Abdourahmane Doucouré