Peshawar (Pakistan) (AFP) – Un double attentat suicide commis devant une église à la sortie de la messe a fait au moins 78 morts dimanche au Pakistan, l’attaque la plus sanglante jamais menée contre la minorité chrétienne dans ce pays, selon les autorités locales.
Ces deux attaques perpétrées par deux kamikazes et revendiquées par une faction du Mouvement des talibans pakistanais (TTP) ont visé l’Eglise de tous les Saints de Peshawar, la principale ville de la province de Khyber Pakhtunkhwa, dans le nord-ouest.
Le ministre pakistanais de l’Intérieur Chaudhry Nisar Ali Khan a annoncé que 78 personnes au moins avaient péri et que 11 des plus de 100 blessés étaient dans un état critique.
“Trente-quatre femmes et sept enfants figurent parmi les morts”, a ajouté le ministre, qui s’exprimait devant la presse à Peshawar, ajoutant que trois jours de deuil national avaient été décrétés.
Le Junood ul-Hifsa, une faction du Mouvement des talibans pakistanais, a dit au téléphone à l’AFP être l’auteur du double attentat.
“Nous avons mené les attaques suicide à la bombe à l’église de Peshawar et nous continuerons à frapper des étrangers et des non musulmans jusqu’à ce que les attaques de drones s’arrêtent”, a déclaré Ahmad Marwat, un porte-parole de ce groupe qui avait revendiqué en juin la mort de 10 alpinistes étrangers sur le Nanga Parbat, le deuxième plus haut sommet du Pakistan après le K-2.
Lancées en 2004, les attaques de drones américains ont fait dans le nord du Pakistan entre plus de 2.000 et plus de 3.500 morts, principalement des insurgés, mais aussi de nombreux civils, selon différentes organisations étrangères suivant de près ce dossier. Ces attaques suscitent de fortes critiques au Pakistan, mais les Etats-Unis les considèrent comme un aspect vital de leur lutte contre les talibans et les combattants d’Al-Qaïda dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan.
Le Nord-Ouest du Pakistan est un bastion de nombreux groupes rebelles islamistes, dont le TTP, alliés à Al-Qaïda et responsables d’innombrables attentats suicide qui ont fait plus de 6.000 morts depuis 2007 et ont régulièrement ensanglanté Peshawar.
Les chrétiens, qui représentant 2% de la population du Pakistan, pays de 180 millions d’habitants à plus de 95% musulmans, sont parfois victimes de violences, mais très rarement du fait des attentats qui visent habituellement les forces de sécurité ou les minorités musulmanes (chiites, ahmadis) jugées infidèles par des extrémistes sunnites talibans.
“Aujourd’hui, au Pakistan, pour un mauvais choix, un choix de haine et de guerre, 70 personnes sont mortes (un précédent bilan, ndlr) : cette voie n’est pas la bonne, elle ne sert à rien”, a réagi le pape François, à la fin d’une visite pastorale en Sardaigne (Italie).
L’attaque de dimanche fait craindre que les chrétiens, traditionnellement pauvres, victimes de discriminations, relégués dans des métiers subalternes (le nettoyage en particulier) et vivant souvent dans des bidonvilles, ne soient eux aussi de plus en plus visés par de tels attentats.
“Les terroristes n’ont pas de religion”
Les deux kamikazes ont activé les explosifs qu’il portaient sur eux à la sortie de la messe dominicale au moment où plus de 400 chrétiens sortaient de l’église, ont raconté des témoins.
“Une énorme explosion m’a projeté au sol, et dès que je suis revenu à moi, une seconde a eu lieu et j’ai vu des blessés partout autour”, a dit à l’AFP l’un d’eux, Nazir Khan, un maître d’école âgé de 50 ans.
Les autorités savaient que cette église pouvait être attaquée et avaient spécialement déployé des forces de sécurité autour de ce bâtiment, a dit un des dirigeants de la municipalité, Sahibzada Anees.
“Nous sommes encore dans la phase des secours, mais quand cela sera terminé nous enquêterons pour savoir ce qui n’a pas été fait” pour y garantir la sécurité, a-t-il précisé.
Devant l’église, certains proches de victimes en pleurs ont scandé des slogans hostiles à la police, jugée incapable d’avoir évité cette attaque. D’autres ont bloqué l’une des principales rues de Peshawar avec des cadavres de victimes pour dénoncer ces assassinats.
Le Premier ministre pakistanais Nawaz Sharif, dont le gouvernement a récemment proposé des négociations de paix au TTP, a fermement condamné ce double attentat. “Les terroristes n’ont pas de religion, et viser des innocents est contraire aux préceptes de l’islam et de toutes les autres religions”, a-t-il souligné.
Les violences interconfessionnelles ont augmenté ces dernières années au Pakistan, avec notamment une série d’attentats suicide sanglants ayant visé la minorité musulmane chiite (environ 20% de la population), revendiqués par le Lashkar-e-Janghvi, un groupe armé proche du TTP et d’Al-Qaïda.
Les violences antichrétiennes au Pakistan avaient jusqu’à présent été limitées à des heurts entre communautés locales, souvent après que des chrétiens avaient été accusés de blasphème par des musulmans.
En 2009 à Gojra, dans la province du Pendjab (est), une foule de musulmans en colère avait ainsi incendié 77 maisons de chrétiens et tué sept d’entre eux après des rumeurs de profanation du Coran.
Mais les détracteurs de la loi qui criminalise le blasphème au Pakistan, où il est passible de la peine de mort, estiment qu’elle est régulièrement instrumentalisée pour régler des conflits locaux, fonciers notamment. L’an dernier, une jeune chrétienne, Rimsha Masih, avait passé trois semaines en prison après avoir été accusée de blasphème. Elle avait ensuite été innocentée, mais s’est depuis réfugiée avec ses proches au Canada.