Deux cartes d’identification circulent désormais dans les différents sitesd’orpaillage : la carte d’accès au site d’orpaillage du ministère des Mines et la carte d’orpailleur de la Chambre des mines. Un quiproquo qui embarrasse aujourd’hui ce secteur en plein essor. Sur la question, le ministre des Mines, Pr. Tiémoko Sangaré, a tenu à donner des précisons pour calmer le jeu
Nous avons écrit dans notre édition du 1er novembre dernier que la rationalisation et la valorisation de l’orpaillage n’ont jamais suscité autant d’engagement chez les responsables en charge de la promotion minière dans notre pays. Le département en charge des Mines a ainsi développé toute une politique en faveur de la rationalisation du secteur de l’orpaillage. Cette politique est rentrée dans sa phase pratique le 2 octobre dernier avec le lancement officiel de la carte d’accès aux sites d’orpaillage, l’ouverture d’un registre national d’orpailleurs, l’installation de comptoirs de vente et d’achat ainsi que la sécurisation des sites. A la Chambre des mines, cette politique du département est considérée comme une usurpation des prérogatives de la faîtière. Ainsi dans la lettre réf : 00103/P/CMM-SG adressée au département, la chambre dénonçait ce qu’elle appelle un empiètement sur les missions qui lui sont dévolues, à savoir l’organisation et la représentation des personnes physiques et morales exerçant dans les différentes branches professionnelles de l’activité minière au Mali. «Pour éviter toute équivoque et permettre à la chambre de jouer pleinement sa partition, notamment la mise en œuvre de sa feuille de route qui constitue une solution pratique et définitive à tous ces problèmes connus et liés à l’orpaillage, je vous exhorte monsieur le ministre à faire surseoir à la confection de registres et de cartes d’orpailleur qui seraient mis en vente par le département», notifiait la missive. C’est dans ce climat délétère que la Chambre des mines a lancé, à son tour la semaine dernière, sa carte dénommée la carte professionnelle des orpailleurs. Selon les responsables de la chambre, cette carte, en plus d’être une carte d’identification, sert également de carte professionnelle et donne le droit aux orpailleurs d’être électeurs et éligibles à la Chambre des mines.
Cependant si les deux cartes se différencient par leurs noms, force est de constater que l’objectif est le même, à savoir l’organisation et la rationalisation du secteur de l’orpaillage à travers le recensement et l’identification des orpailleurs. Ce qui permettrait de transformer l’orpaillage en une activité durable pouvant contribuer à l’accroissement des exportations nationales et au développement économique de notre pays.
Cet antagonisme divise aussi bien les responsables du secteur minier que les orpailleurs à qui sont destinées ses deux cartes. Ainsi face à cette situation, le ministre des Mines, Tiémoko Sangaré, a décidé de faire une mise au point bien utile dans un entretien qu’il nous a accordé. D’emblée, le ministre Sangaré a fait savoir que l’orpaillage traditionnel mérite une attention particulière à cause justement du lot de défis vitaux que cette activité engendre, à savoir les défis socio-économiques, sanitaires, environnementaux, notamment les déguerpissements forcés, les querelles fratricides, les trafics de drogue, d’armes, la prostitution et même les maladies sexuellement transmissibles. A ce lot, il faut ajouter l’utilisation de produits chimiques dangereux et l’indiscipline en matière de sécurité des exploitants. Il y a aussi le fait que l’orpaillage traditionnel échappe à tout contrôle de l’Etat, malgré les enjeux sécuritaires et fiscaux qu’il engendre. Sans compter bien sûr la menace sur la sécurité nationale. Il faut savoir que les sites d’orpaillage échappent aujourd’hui à tout contrôle sécuritaire, ce qui y a favorisé l’installation des bandits de grands chemins et de tout acabit. Pour le patron du département des Mines, c’est fort de ces réalités que le gouvernement, à travers les départements sectoriels de la Sécurité, des Mines, de la Santé, de l’Environnement et des Finances, a décidé de reformer le secteur de l’orpaillage. Il s’agit donc de la ferme volonté du gouvernement d’assumer toute sa responsabilité dans la mise en valeur des richesses du pays au profit de tous, notamment des exploitants, des communautés et de l’économie nationale. Des besoins vitaux que l’orpaillage ne parvient plus à atteindre à cause non seulement des tensions socio-sécuritaires qui entourent cette activité, mais aussi de l’insuffisance de l’encadrement dont elle est l’objet depuis plusieurs décennies.
REFORMER L’ORPAILLAGE. «C’est ainsi que le département avait mis en place une commission qui regroupe tous ses services dont bien évidemment la Chambre des mines pour développer des initiatives aptes à rationnaliser ce secteur. Des travaux de cette commission sont nées les actions suivantes : la confection d’une carte d’accès aux sites d’orpaillage visant à identifier et recenser les orpailleurs ; la mise à disposition de registres pour enregistrer les orpailleurs et autres acteurs connexes ; l’installation de comptoirs de vente et d’achat pour les sites qui n’en possèdent pas ainsi que la réhabilitation de ceux déjà existants afin de permettre de mieux cadrer les transactions aurifères. C’est ainsi que des cartes ont été confectionnées et mises à la disposition des sites d’orpaillage à raison de 10.000 Fcfa la carte», a explicité Tiémoko Sangaré, ajoutant qu’une clé de répartition a été définie pour permettre à l’Etat, aux collectivités et aux organisations faîtières de bénéficier de cette activité.
L’autre préoccupation du gouvernement est de rationnaliser ce secteur, a indiqué le ministre, tout en précisant qu’il s’agit aujourd’hui d’aider l’Etat à tirer des profits de cette activité fort rentable. « Il est très difficile voire impossible aujourd’hui de cerner l’impact réel de l’orpaillage sur la production aurifère de notre pays et même de quantifier l’or extrait à travers cette activité.
Cela constitue sans nul doute une entrave économique fondamentale qui altère sérieusement les statistiques de notre pays et même son classement international. D’où la nécessité de l’intégrer dans notre système économique pour en tirer profit », a-t-il soutenu.
Selon les statistiques, la rentabilité de l’orpaillage est estimée à une dizaine de tonnes par an. La Banque mondiale, elle, l’évalue à 5 tonnes. Arithmétiquement, cela équivaut à 150 milliards de Fcfa par an, si l’on chiffre le gramme d’or à 24 000 Fcfa. « Le manque à gagner est énorme pour les services fiscaux. Mieux, cette activité fait vivre des millions de personnes pour près d’un million d’orpailleurs traditionnels. Les sites d’exploitation sont des zones de non droit où règnent la drogue et la prostitution. Et tous y trouvent leur compte : la chefferie traditionnelle perçoit des dividendes auprès de tous les orpailleurs détenteurs de machines de détection ou de broyeurs. Les municipalités perçoivent des taxes. Les petits commerçants écoulent beaucoup de produits de première nécessité comme les céréales, le thé et le carburant. Sans compter la prostitution. D’où la nécessité de rationaliser cette activité. C’est tout l’intérêt de cette réforme », a détaillé le ministre des Mines.
Par ailleurs, Tiémoko Sangaré a précisé que la réforme du secteur vise donc à réorganiser ses acteurs à travers un recensement exhaustif, la mise à leur disposition de cartes professionnelles, l’installation de comptoirs d’achat et la sécurisation des sites. Il rappellera aussi que la nouvelle vision, impulsée par le président de la République et le gouvernement, consiste à faire du secteur minier un moteur du développement socio-économique du pays en créant des emplois pour réduire la pauvreté. Ce qui suppose d’engager des actions innovantes et surtout d’urgence visant à extraire ce secteur de l’informel pour le hisser dans le formel. «La pacification de nos sites d’orpaillage passe inexorablement par l’identification de tous ses acteurs (orpailleurs, acheteurs, travailleurs connexes). L’installation de véritables comptoirs d’achat leur permettra de mieux bénéficier des fruits de leur labeur et à l’Etat de posséder des statistiques fiables en la matière», dira M. Sangaré. Parlant des relations tendues entre le département et la Chambre des mines, le ministre Tiémoko Sangaré a tenu à préciser que la chambre est membre de la commission.
A ce titre, elle a été impliquée dans le processus depuis son élaboration jusqu’à sa mise en œuvre. Cependant, le ministre a reconnu que l’organisation et la représentation des personnes physiques et morales exerçant dans les branches professionnelles de l’activité minière incombent véritablement à la Chambre. Le hic est que le bureau actuel de la chambre, mis en place depuis plus de 5 ans et dont le mandat a expiré, ne possède aucune information sur le secteur de l’orpaillage. « Le département a jugé nécessaire d’impliquer la chambre dans ce processus pour prendre en compte ses aspirations profondes et même ses appréhensions pour la réussite de l’opération. En tant que département de tutelle, notre souci premier est d’accompagner la faîtière dans l’atteinte de ses objectifs et non d’engager un bras de fer. Et l’organisation, la valorisation et la rationalisation de l’orpaillage sont une question fondamentale qui va au-delà de la Chambre des mines et même du seul département des Mines», a fait savoir le ministre.
Conscient de la difficulté liée à la mise en oeuvre de la réforme en vue du changement, Tiémoko Sangaré entend se donner les moyens pédagogiques pour mettre de l’ordre dans une activité trop habituée à l’anarchie. «Ce processus est lancé et il bénéficie aujourd’hui d’un engouement réel sur les sites d’orpaillage. Il se poursuivra. Là dessus il n’y aura aucune équivoque et le département s’assume pleinement», a assuré le ministre Sangaré.
Doussou DJIRE
Source: Essor