Le 11 janvier 2013, François Hollande déclenchait l’opération Serval au Mali. Un an après, jour pour jour, RFI vous propose de revenir sur les faits marquants de cette opération avec l’un de ceux qui l’a dirigée, le général Jean-Jacques Borel. Il a commandé pendant six mois la composante aérienne de Serval, une opération qui se poursuit aujourd’hui. Le général Borel raconte les premiers jours de l’opération et tire les enseignements de cette campagne.
Général Jean-Jacques Borel, bonjour… Vous étiez aux premières loges, racontez-nous les premières heures, les premiers jours de l’opération Serval.
Général Jean-Jacques Borel : Il est évident que nous suivions depuis un certain temps l’évolution de la situation dans cette partie du monde qu’on appelle la bande sahélo-saharienne, et la dégradation de la situation. Donc nous étions déjà bien renseignés sur ce qui se passait.
L’armée savait donc à l’avance où elle allait frapper ?
Oui. Mais il faut être plus précis. Nous avions déjà un certain nombre – non pas de cibles – mais nous savions déjà quels étaient les axes qu’allaient emprunter les groupes armés. Donc nous avons pu agir sur ces axes puisque, comme je le rappelle, le but de cette première frappe a été vraiment de signifier un coup d’arrêt aux groupes terroristes pour leur dire : il ne faut pas aller plus loin.
C’est ce qui a été réalisé sur des endroits très précis, que nous connaissions mais sur lesquels nous n’avions pas prévu d’agir. Nous avons préparé ces missions au moment où le président de la République nous a donné l’ordre d’intervenir. Pour les forces spéciales ça a été la même chose. Et ensuite s’est enchaîné une campagne aérienne qui a débuté, mais vous le savez bien, par des frappes à partir de la métropole.
Des frappes depuis la France, depuis Saint-Dizier, je crois, en passant par le Mali. Et les avions ensuite se posent au Tchad. Est-ce que vous pouvez nous raconter un peu ce type d’opération, parce que ce n’est pas commun.
C’est effectivement la première fois qu’on a réalisé ce raid. C’est, il faut le noter, le vol le plus long aujourd’hui, qui a été réalisé par les avions de chasse français dans ce qu’on appelle « une mission de projection de puissance ». Ces avions ont traversé la France, ils ont traversé la Méditerranée, ils ont traversé une partie de l’Afrique. Ils sont arrivés au Mali, ils ont délivré l’armement en coordination avec les forces terrestres sur ce que l’on a coutume d’appeler « le deuxième échelon », c’est-à-dire, si vous voulez, les camps d’approvisionnement, les camps de stockage, là où il y a des rassemblements de véhicules, d’armements, de provisions, pour affaiblir les groupes armés terroristes qui étaient toujours présents dans la zone. Et ensuite ces avions se sont posés à Ndjamena pour continuer la campagne aérienne.
Quels enseignements tirez-vous de cette opération, un an après les faits : ce qui a marché, ce qui a moins marché ?
Aujourd’hui, même si l’opération est toujours en cours, l’action militaire -qui a été le bras armé de l’action politique- a abouti d’un part à l’élection d’un président de la République au cours d’un scrutin qui a été contrôlé par la Communauté internationale. La légitimité de ce président de la République aujourd’hui n’est pas mise en doute.
Nous sommes quand même dans une situation où l’état de droit a été rétabli, même si la sécurité n’est pas parfaite au Mali, tout le monde en est conscient. Il y a une négociation entre les différents groupes, qui est en place, le président Ibk est aux commandes et il a aujourd’hui les moyens de conduire cette négociation.
Donc je crois que les objectifs militaires ont été atteints. Je pense que les objectifs politiques le sont également. On peut en tirer un certain nombre d’enseignements. Nous en avons tiré nous, du point de vue militaire, un certain nombre d’enseignements. Pour l’armée aérienne en particulier, l’enseignement majeur c’est ce que j’évoquais tout à l’heure avec vous, c’est la capacité à planifier et à conduire des opérations à partir de la métropole. C’est-à-dire en s’appuyant sur une structure de commandement permanente que nous avons renforcée. Cette structure, nous avons été capables de la faire fonctionner non stop depuis plus d’un an. Elle fonctionne toujours et elle continuera à fonctionner. C’est une spécificité de l’armée aérienne. Il est évident que la composante terrestre peut difficilement appliquer cette méthode-là parce qu’elle a besoin d’être sur le théâtre pour commander.
Les technologies actuelles – et c’est le deuxième enseignement – les technologies actuelles nous permettent, nous, de commander à partir de Lyon, des avions qui font des missions sur un théâtre à 5 000 Kilomètres.
Le troisième enseignement c’est la coordination indispensable avec les troupes terrestres. Nous faisions déjà ce travail. Mais cette campagne nous a fait progresser parce que c’est la première fois que la France est aux commandes d’une opération interarmées en totalité, que ce soit du niveau stratégique, en passant par le niveau opératif. Le niveau opératif c’est le niveau qui commande le théâtre jusqu’au niveau tactique, c’est-à-dire au niveau des unités déployées sur le théâtre.
Vous évoquez le président du Mali Ibrahim Boubacar Keïta. Lui, il critique un peu l’action de la France, notamment à Kidal.
Je ne rentrerai pas dans des considérations politiques. Les objectifs militaires ont été atteints. Ils ont été atteints aujourd’hui.
Il est évident que la situation n’est pas idéale, elle n’est pas idyllique. Il est évident que les problèmes qui demeurent sont essentiellement des problèmes politiques, aujourd’hui, des problèmes de relations politiques entre le MNLA, le MAA, les différentes ethnies. Et je ne rentrerai pas dans ce commentaire-là. Ce n’est pas dans mon périmètre de responsabilité.
Mais ce que je veux dire c’est que nous avons, je pense, réussi à mettre en place les conditions d’une transition politique. Maintenant, la transition politique est de la responsabilité des politiques. Pas des militaires.
Comment jugez-vous aujourd’hui la menace terroriste au Mali ?
Autant que je puisse le savoir – puisque comme vous le savez, j’ai quitté mes fonctions de commandant de la composante aérienne en août dernier – cette menace n’est pas éteinte. Je crois qu’elle est toujours présente. Je crois qu’elle est très affaiblie. Elle est affaiblie, mais elle n’est pas éteinte. Je crois qu’il ne faut pas être naïf. Cette menace est toujours là, il faut la prendre en compte. Il ne faut pas négliger une résurgence possible. Et je crois qu’elle se nourrit aussi de l’instabilité qui existe dans cette région. Donc je crois qu’aujourd’hui cette menace doit continuer à être prise en compte à bon niveau. Et je pense que c’est ce que nous faisons aujourd’hui.
rfi