Pierre Buyoya, 64 ans, ancien président du Burundi, est candidat au poste de secrétaire général de la Francophonie, occupé depuis 2002 par Abdou Diouf. Le représentant spécial de l’Union africaine (UA) pour le Mali se confie sur sa candidature, l’éventualité d’un nouveau mandat présidentiel pour l’actuel président du Burundi, Pierre Nkurunziza, les négociations de paix inter-maliennes.
Afriqueinside.com : Qu’est-ce qui motive votre candidature ?
Ce poste de secrétaire général est ouvert car le président Abdou Diouf qui l’occupe a décidé de ne plus se représenter. L’OIF est une organisation que je connais bien pour laquelle j’ai travaillé pendant presque une décennie. Quand le poste a été ouvert, des gens sont venus à moi pour savoir si j’étais intéressé, j’ai demandé l’appui du Burundi. Et au mois d’Avril, mon pays a déposé officiellement ma candidature. A mon niveau personnel, j’ai des atouts, mon expérience à la tête de mon pays , deux mandats de 1987 à 1993 et de 1996 à 2003. Je pense que mon bilan à la tête du Burundi, les réformes que j’ai conduites, l’unité, la réconciliation, la négociation de la paix avec la signature de l’accord d’Arusha. J’ai fait mes preuves et j’ai montré mes capacités de réformes dans des conditions difficiles. A deux reprises, j’ai remis le pouvoir à ms successeurs en 1993 au président qui a été démocratiquement élu et en 2003 à celui qui était mon vice-président censé me remplacer au terme de l’accord d’Arusha. Je crois qu’aujourd’hui au Burundi, tout le monde est unanime pour reconnaître que j’ai légué quelque chose de consistant, c’est pour cela à l’issue de mon service au Burundi, la communauté internationale a fait recours à moi. D’abord la Francophonie, j’ai été aux quatre coins de l’Afrique en mission pour l’OIF, j’ai été envoyé spécial, réalisé des mission de conciliation, d’observation, des missions d’informations politiques.
Afriqueinside.com : Qui vous a sollicité au sein même de l’OIF , l’actuel Secrétaire Général de la Francophonie Abdou Diouf ?
Non, je n’ai nommé personne mais il y a une opinion qui s’est développée, ce n’est pas la première lors du mandat précédent, à l’époque j’avais dit que je n’allais pas me présenter car Abdou Diouf était candidat, maintenant qu’il ne l’est plus, je suis candidat.
Afriqueinside.com : Mais en avez-vous discuté avec lui ?
Non, je l’ai informé comme j’ai informé tous les responsables à l’intérieur et l’extérieur de l’organisation. Au regard de mon bilan à l’intérieur et à l’extérieur du Burundi, j’estime que je peux légitimement avoir l’ambition de diriger cette organisation.
Afriqueinside.com : Est-ce que votre statut d’ex-chef de l’état vous confère de facto le statut de favori ?
Je me présente comme je suis, il se fait que je suis un ancien chef de l’état. Je présente mes atouts et parmi mes atouts, il y a mon action à la tête du Burundi.
Afriqueinside.com : Mais on vous reproche également votre accession à la tête du Burundi par la force, par un coup d’état, vous comprenez que cela puisse constituer pour un candidat qui postule à la tête d’une organisation dont les fondements et les valeurs sont bâtis sur la démocratie, la paix et la bonne gouvernance?
Ce que je dis, c’est qu’au Burundi comme ailleurs dans le monde, il y a des situations exceptionnelles qui font que des gens arrivent au pouvoir par la force dans une situation de crise. Quand vous regardez le bilan ou l’héritage de quelqu’un ce qui compte ce n’est pas comment il est arrivé au pouvoir mais ce qu’il a fait au pouvoir. Et je pense que j’ai fait quelque chose de consistant au point que les burundais sont unanimes sur mon action. Une action appréciée même par ceux qui étaient contre moi. Ce qui est important aussi c’est comment j’ai quitté le pouvoir, je crois que mon cas a été considéré comme un cas exemplaire.
Afriqueinside.com : Votre candidature, c’est aussi celle du Burundi accusé de violer les libertés et et les droits de l’homme par de nombreuses ONG et des institutions internationales?
D’abord c’est important que je sois soutenu par mon pays, mon gouvernement car l’OIF est une organisation des états. Un, je ne suis pas comptable de la situation du Burundi. Deux, si vous regardez bien le Burundi a fait des progrès remarquables. Je suis optimiste, les progrès réalisés en matière de démocratisation et de promotion notamment de la liberté d’expression vont permettre au Burundi de dépasser les difficultés actuelles sans verser dans la violence. Aujourd’hui au Burundi, tous les abus sont dénoncés, les gens parlent librement de tous les problèmes.
Afriqueinside.com : Des journalistes sont emprisonnés au Burundi. Est-ce que vous reconnaissez ces failles dans le domaine de la liberté d’expression et des droits de l’homme ?
Ce qui est important, c’est il faut continuer à faire des progrès quand il y a des problèmes, l’essentiel c’est que ce soit dénoncé et au Burundi c’est le cas.
Afriqueinside.com : Vous dites que le président burundais vous soutient, est-ce que si vous êtes élu à la tête de l’OIF, vous soutiendrez sa candidature à la prochaine présidentielle dans le cas où il déciderait de briguer un nouveau mandat en violation de la constitution burundaise?
Si demain je suis élu secrétaire général mon positionnement ne sera pas un positionnement individuel, ce sera un positionnement de l’organisation sur chaque cas, compte tenu des règles en vigueur, on va se concerter et prendre des décisions et le Burundi n’aura pas de traitement particulier.
« Mon ambition, c’est de conforter l’OIF comme une organisation politique crédible. »
Afriqueinside.com : Si vous êtes élu à la tête de l’OIF, que changerez-vous ?
Vous savez que la Francophonie était d’abord une agence de coopération techniques et culturelle en 1987 à Hanoï, elle est devenue une organisation internationale, l’OIF. Cette organisation s ‘est développée est crédible elle a un positionnement sur les questions de médiation, de règlement de crise, d’accompagnement dans les processus électoraux. Mon ambition, c’est de conforter l’OIF comme une organisation politique crédible. J’ai toujours oeuvrer dans ce sens ces dernières années et si je suis élu secrétaire général, je vais le faire avec beaucoup plus d’autorité.
C’est-à dire ?
Pas changer mais conforter l’oeuvre de l’OIF, une organisation internationale crédible. Il faut continuer à adapter la francophonie aux changement dans le monde. Aujourd’hui nous sommes à l’époque de la mondialisation sans frontière caractérisé par les échanges économiques tout azimuts mon ambition est faire évoluer l’OIF en espace d’échange économiques après avoir été un espace culturel et linguistique et un espace de solidarité politique et comme le disait Jacques Attali, il y a un potentiel énorme dans ce domaine.
Afriqueinside.com : Jacques Attali préconise une Union Economique Francophone, est-ce que ce n’est pas encore un projet irréalisable voire utopique comme l’a été l’Union pour la Méditerranée ?
Je ne veux pas parler d’intégration ou d’union mais d’espaces d’échanges économiques de partage de la langue pour faire des affaires et si plus tard cela peut évoluer vers une organisation on verra. Mais pour moi ce qui est important c’est exploiter ce que nous avons en commun la langue, la culture pour faire des échanges économiques.
Vous n ‘adhérez pas à 100 % au projet de Jacques Attali ?
Je crois que le projet est encore très brut. Je crois que lui-même en parle vraiment dans le long terme. Probablement, si je suis élu ce sont mes successeurs qui verront le projet se concrétiser. Mais aujourd’hui en faire un projet d’espace d’échanges économiques c’est parfaitement possible. Nous avons déjà un instrument une structure avec laquelle on peut bâtir quelque chose. L’union pour la Méditerranée, c’était un projet en l’air tandis que l’OIF est déjà une réalité. Mais je crois que la francophonie économique sera une priorité du prochain sommet.
« Je cherche le soutien de la France et de François Hollande. »
Afriqueinside.com : Parmi les membres influents de l’OIF, la France pèse lourd, très lourd, vous pensez qu’elle vous soutient, que François Hollande vous soutient?
Je cherche le soutien de la France et de François Hollande. Il n’y a pas de raison pour que la France ne me soutienne pas. Mais la France reste dans son rôle d’arbitre. Mais je suis confiant.
Afriqueinside.com : Quel regard portez-vous sur vos concurrents en particulier Michaëlle Jean pour le Canada et Jean-Claude de l’Estrac pour Maurice présentés avec vous comme les favoris ?
Je les considère comme des concurrents, il faut les prendre au sérieux.
Afriqueinside.com : En tant que représentant spécial de l’Union africaine (UA) pour le Mali et le Sahel, quelle évaluation sécuritaire faites-vous au Nord-Mali ?
L’évolution sécuritaire a évolué en dents de scie, elle était catastrophique début janvier 2013 puis s ‘est améliorée avec l’intervention de la France et l’opération Serval et la situation a bien évolué pendant des mois et puis progressivement les organisations terroristes ont commencé à relever la tête avec des attentats par ci par là voiture piégée, pose de mines, roquettes artisanales… La situation a empiré en mai avec les violences à Kidal. L’insécurité est encore une réalité. Il existe deux types d’insécurités, les actions des mouvements terroristes, on ne peut pas dire que ces mouvements occupent comme par le passé le nord-mali, non, mais ils créent de l’insécurité. Il y a en plus l’insécurité causée par les mouvements armés dits légitimes dont le MNLA. Ils se battent entre eux. La situation est encore difficile, nous pensons qu’elle va se clarifier si demain il y a un accord de paix.
Afriqueinside.com : Des négociations sont en cours à Alger, est-ce que l’Algérie est le bon médiateur ?
L’Algérie est un bon médiateur, nous les organisations internationales, l’ONU, l’UA, l’Union européenne, nous sommes co-médiateurs , nous travaillons avec l’Algérie, le Burkina Faso et les pays voisins. Cette médiation est une oeuvre collective te je suis optimiste sur l’aboutissement à un accord de paix. L’Algérie joue un rôle fort dans la région. C’est normal qu’elle soit impliquée et elle a accepté de travailler avec la communauté internationale.
Afriqueinside.com : Est-ce que cet accord de paix sera applicable sur le terrain ?
Il faudra que cet accord tiennent, c’est un défi car vous savez qu’il Il y a beaucoup d’accords au Mali. Dans les négociations en cours , le point essentiel concerne les négociations des mesures de suivi et de garanties notamment par la communauté internationale.
« La gestion globale de la sécurité appartient au gouvernement »
Afriqueinside.com : Est-ce que vous estimez que le pouvoir de Bamako est en partie responsable du déficit sécuritaire dans le nord du Mali ?
Je suis le représentant de l’Union africaine au mali. Je ne porte pas de jugement de valeur. Dans cette affaire, si la guerre a repris il faut aller chercher les responsabilités des deux côtés. Mon rôle n’est pas d’accuser un camps ou un autre.
Afriqueinside.com : Est-ce que le bilan du président malien Ibrahim Boubacar Keïta est aussi décevant que celui de son prédécesseur Amadou Toumani Touré accusé par le pouvoir de Bamako d’être responsable de la dérive sécuritaire dans le Nord du Mali au profit des groupes djihadistes et des narcotrafiquants ?
C’est aux maliens de juger l’action de leur président. Nous sommes là pour assister les maliens en matière de sécurité de réconciliation de coopération régionale, c’est notre rôle. La gestion globale de la sécurité appartient au gouvernement et quand le gouvernement est défaillant, c’est aux citoyens de juger le gouvernement, ce n’est pas à nous.
Propos recueillis par Samantha Ramsamy