Suite aux allégations de graves atteintes aux droits de l’homme enregistrées lors l’attaque contre le village de Ogossagou (Bankass) le 14 février 2020, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) avaient déployé une mission d’enquête sur les lieux. Les Conclusions de cette mission d’enquête spéciale sur les graves atteintes aux droits de l’homme commises à Ogossagou le 14 février 2020 ont été rendues publiques, ce 18 mars 2020.
Composée de 9 chargés des droits de l’homme et de 4 experts de police scientifique, cette mission avait pour objectif de faire la lumière sur les circonstances de l’attaque, d’identifier les auteurs ainsi que les victimes, et de situer la responsabilité des acteurs impliqués.
117 personnes ont été interrogées
Sur la base de la méthodologie du HCDH, les chargés des droits de l’homme ont conduit des enquêtes ex-situ et in situ, respectivement à Mopti, Bamako, Ogossagou-Peul et Ogossagou-Dogon.
L’équipe d’enquête a également rencontré des victimes, des témoins directs et indirects ainsi qu’un présumé auteur en détention, afin de vérifier les allégations reçues et d’établir précisément les faits et les responsabilités.
Tout au long de l’enquête, les chargés des droits de l’homme se sont entretenus avec les autorités administratives, judiciaires et pénitentiaires ainsi que militaires de la région de Mopti.
L’équipe d’enquête a également effectué une visite à la Brigade de Recherche de la Gendarmerie à Sévaré où elle a interviewé une personne détenue en lien avec cette attaque.
Au total, 117 personnes ont été interrogées dans le cadre de cette enquête.
Il sied de souligner qu’entre le 23 mars 2019 (date du premier incident dans le village d’Ogossagou) et le 13 février 2020, jour précédent l’attaque, la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) de la MINUSMA a documenté au moins 46 incidents attribuables aussi bien à des éléments armés dogons que peuls, qui ont causé dans le seul cercle de Bankass, la mort d’au moins 259 personnes, dont 51 enfants et 5 femmes.
Attaque planifiée
Au terme de cette mission d’enquête, la MINUSMA est en mesure de conclure que le 14 février 2020 vers 5 h du matin, plusieurs dizaines d’individus, dont certains identifiés comme des chasseurs traditionnels, appuyés par des hommes en tenue militaire et des membres présumés de la communauté dogon, ont conduit une attaque vraisemblablement planifiée et ciblant la partie du village d’Ogossagou habitée par les membres de la communauté peule. Les assaillants, munis de fusils automatiques, de fusils traditionnels de chasse et de machettes ont exécuté au moins 35 personnes toutes membres de la communauté peule, dont une femme, 3 garçons, et 2 filles, et blessé au moins 3 autres.
19 personnes toujours portées disparues
A ce jour, au moins 19 personnes, dont 5 enfants sont toujours portées disparues, depuis l’attaque, selon l’enquête.
Une femme de plus de 70 ans et une fille de 6 ans en situation de handicap mental sont décédées dans l’incendie de leur case. Une autre fille d’environ 4 ans a été tuée par balle alors que son père la portait sur son dos pour s’enfuir. Une fille de 13 ans, originaire d’un village dont les habitants s’étaient récemment installés à Ogossagou, a disparu depuis l’attaque.
Les corps de 32 victimes, dont celui d’une femme et de 2 enfants ont été enterrés dans une fosse commune au nord du village nommé “Marabout”, les trois autres corps ont été enterrés dans des tombes individuelles.
Au moins, 136 habitations (légères ou maçonnées) ont été détruites par incendie volontaire ou rendues inhabitables, 32 greniers et hangars de stockage de vivres incendiés ou rendus inutilisables, 24 charrettes, trois (3) bâtiments commerciaux (cuisine, rôtisserie et boutique) détruits, deux (2) enclos à bétail détruits et/ou incendiés et un nombre important de têtes de bétail volées ou tuées.
Ces faits susmentionnés constituent des atteintes graves aux droits de l’homme, notamment des privations arbitraires du droit à la vie, des atteintes au droit à l’intégrité physique et morale, et des atteintes au droit à la propriété.
L’impunité en cause
Au regard de la loi malienne, ces actes peuvent constituer des crimes prévus et punis par le Code pénal malien. Ces graves atteintes aux droits de l’homme pourraient également être qualifiées de crimes contre l’humanité, si jugées par un tribunal compétent, en vertu du droit international pénal, particulièrement l’article 7 du Statut de Rome.
« Je suis très préoccupé par l’impunité dont jouissent les auteurs de ces actes similaires à ceux ayant déjà occasionné la mort d’au moins 157 personnes dans le même village en mars 2019 au cours d’une attaque planifiée, organisée et coordonnée. Il devient important de mettre un terme au cycle de violence meurtrière alimenté par l’impunité de ses auteurs », a souligné le Représentant Spécial du Secrétaire général et Chef de la MINUSMA, Monsieur Mahamat Saleh ANNADIF.
Outre le déploiement d’une équipe d’enquêteurs des droits de l’homme, et conformément à son mandat de protection des civils, la MINUSMA a immédiatement déployé un détachement de Casques bleus par voie terrestre après avoir reçu l’alerte d’un risque imminent d’attaque via sa ligne verte, dans le but de prendre des mesures proactives pour protéger les civils.
« Bien qu’arrivés aux alentours du village avant l’attaque, les éléments de la Force de la MINUSMA ont été détournés de leur itinéraire vers une autre localité. Ayant rebroussé chemin, les éléments de la Force ne sont arrivés sur les lieux qu’après l’attaque », a regretté le Représentant Spécial ANNADIF.
Appui aux autorités judiciaires
Dans le cadre de l’appui aux autorités judiciaires, la MINUSMA a apporté un soutien logistique et technique ainsi qu’une expertise scientifique à une équipe de cinq enquêteurs de la Brigade d’Investigation Spécialisée déployée à Ogossagou, les 17 et 18 février 2020. Elle encourage le gouvernement et particulièrement les instances judiciaires nationales à user de leur devoir de diligence afin que les auteurs ne restent pas impunis. La MINUSMA se tient prête à poursuivre son assistance aux autorités maliennes compétentes dans le cadre des enquêtes en cours.
Conformément à la pratique établie, les conclusions de l’enquête spéciale ont été partagées avec les ministres des Affaires étrangères et de la coopération internationale, de la défense et des anciens combattants et de la Justice et des droits de l’homme, ainsi que et l’État-major général des armées.
Par Abdoulaye OUATTARA
INFO-MATIN