« Personne ne sait de quoi demain sera ». Jamais assertion n’a été aussi vraie que maintenant dans le cas de notre pays. En effet, personne ne sait de quoi demain vendredi sera avec la deuxième manifestation du M5. Annoncée pour être plus grande que celle du 5 juin dernier, la manifestation de demain garde le même objectif : la démission du président de la République. Du côté du pouvoir, il faut reconnaitre qu’on la joue petits bras, comme si on était tétanisé par l’ampleur du mouvement et de la contestation. C’est qui explique les deux discours en trois jours du Président de la République avec des offres qui ne semblent pas satisfaire les frondeurs.
Si le Mali disposait d’instrument de mesure des audiences des émissions télévisées (audimat), l’adresse à la nation du président de la République le dimanche dernier aurait battu tous les records. La parole du Président était attendue, la parole d’IBK était espérée. Les Maliens voulaient l’entendre ; les Maliens voulaient le voir. Surtout que cela faisait un bon moment qu’il avait disparu des radars et des écrans de la télévision nationale. A tel point que certains l’avaient même donné en fuite avec sa famille vers de multiples destinations, toutes plus éloignées du pays les unes que les autres. Après la manifestation gigantesque du vendredi 5 juin sur le Boulevard de l’Indépendance avec comme unique mot d’ordre sa démission, les Maliens pensaient qu’il allait émerger dans les jours qui ont suivi sinon le même jour pour leur parler. Ce jour-là, sur le Boulevard de l’Indépendance se sont croisés tous ceux que le pays compte de mécontents : les députés élus mais éliminés par la Cour constitutionnelle, les enseignants qui courent derrière leurs salaires conformément à l’article 39 de la loi, ceux qui sont au chômage durant de lustres, ceux qui condamnent la corruption et les corrompus, ceux qui pensent que le pays est géré de manière clanique, ceux qui pensent que l’insécurité fait tous les jours de morts et des blessés, ceux qui pensent que le Mali est divisé à cause de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation, ceux qui pensent que…Bref, c’était comme l’Arche de Noë. Toutes les catégories et tous ceux qui souffrent voulaient être de la manifestation ; ils voulaient y être tout simplement, pour l’histoire, convaincus que notre pays prenait un virage important de son parcours. Plus les jours passaient, plus ils se disaient que ce n’était pas possible, le Président de la République ne pouvait pas demeurer silencieux et insensible à ce qui se passait, à ce qui se tramait. Parce qu’au-delà de sa personne dont la tête est mise à prix, il s’agissait de l’avenir du pays.
La célérité avec laquelle l’annonce de son discours à la nation a été relayée ce dimanche en disait long sur la soif des Maliens d’écouter le Président et surtout d’entendre ce qu’il offrait pour désamorcer la bombe sociopolitique. Dans la matinée il avait reçu en audience les religieux, les familles fondatrices et les organisations de la société civile. Hormis sa démission, le diagnostic dressé ressemble trait pour trait à celui des manifestants. Il lui a été demandé de s’adresser à son peuple. Ce qu’il fit le soir dans le journal télévisé. Le Président de la République « ouvre sa porte » « tend sa main », vante les vertus du dialogue et promet de faire tout ce qui est en son pouvoir. Le Président axe son discours sur 5 points : l’école qu’il faut relancer en trouvant une solution à la crise ; rencontrer les parties prenantes aux questions de santé ; trouver une solution urgente aux frustrations nées des dernières élections ; loger et réinsérer les déplacés du Centre qui vivent en Commune VI ; accompagner les forces de défense et de sécurité. Et c’est tout. L’offre de dialogue est bien ; elle montre un Président soucieux de l’apaisement de la situation. Mais l’offre fut jugée insuffisante. Et les observateurs sont nombreux à reconnaître que le Président devait mieux faire. Parce que concernant les problèmes soulevés par les contestataires qui veulent sa tête, le président de la République n’a annoncé rien qui pouvait donner satisfaction. En face, le discours a été jugé non seulement insipide mais indigne de la gravité de l’heure. Pour Dicko et ses compagnons, le discours prouve que le Président n’avait rien compris et qu’il était incapable d’apporter des solutions aux différentes crises. Et c’est tout naturellement que le M5 décide d’organiser de remettre le couvert en organisant une deuxième manifestation demain.
Discours de rattrapage et scepticisme
« Le 5 juin, nous avons tiré un pénalty qui a tapé le poteau. Le 19 juin, nous allons tirer le pénalty pour marquer le but ». De manière tonitruante, et dans un langage imagé le porte-parole de Dicko, Issa Kaou Djim, mobilise les troupes, les galvanise en leur promettant le départ du Président de la République. A vue d’œil, nous assistons à une radicalisation de la position des contestataires qui enregistrent tous les jours de nouveaux arrivants de tous les horizons sociopolitiques et économiques (des associations et partis politiques, des syndicats, etc.) Le Président de la République entend tout ce qui se dit. Les appels à faire plus émanent de son propre camp, camp qui n’a pas manqué de lui montrer des pistes à explorer lors de l’audience qu’il a accordée à l’EPM le lundi.
Du côté de l’imam Dicko et ses compagnons, l’heure est à la radicalisation. Nous savons par eux que le général Moussa Traoré a tenté un rapprochement entre les deux camps en organisant une rencontre entre IBK et Dicko. Cela fut un échec. Tout comme le M5 a décliné l’offre de participer à la rencontre du mardi. Crest donc en l’absence des représentants du M5 que le Président de la République a fait de nouvelles annonces allant dans le sens de la décrispation : satisfaction immédiate des enseignants par l’application de l’article 39 ; consultations à mener pour la formation d’un gouvernement d’union nationale, tout comme des consultations seront menées pour régler les crises post-électorales, etc.
Ces annonces ont été perçues comme étant la volonté du Président de la République de corriger le tir manqué lors du discours du dimanche. Et comme il fallait s’y attendre, les interprétations fusent de toutes parts et sont divergentes. Il y a ceux qui applaudissent et qui estiment que le Président a vraiment ouvert sa porte et tendu ses deux mains. A l’opposé, il y a les sceptiques et ceux qui pensent que, comme le dimanche, le Président de la République n’a pas bien appréhendé les contours de la contestation et joue la montre alors que le temps lui est compté. Au nombre des sceptiques, il y a le syndicat des enseignants bénéficiaire de la seule annonce présidentielle concrète à savoir l’application de l’article 39. « Quand le président déclare qu’il met fin à la crise, ce n’est qu’un discours, nous attendons d’être réellement dans nos droits’ affirment les syndicalistes de la Synergie. Et de rappeler qu’en octobre 2019, le Président IBK avait non seulement instruit au Premier ministre de satisfaire nos doléances mais en plus il s’était engagé à prendre en compte nos revendications qui ne sont pas dans le cahier de doléances. On connait l’histoire du chat échaudé. Quant à la deuxième catégorie, elle pense que le Président de la République avance en tenant le frein à main. Pour les tenants de cette ligne, les consultations annoncées pour régler les frustrations électorales constituent une fuite en avant pour éviter de prendre les décisions qu’il est le seul à pouvoir prendre. Selon eux, le Président de la République fait l’économie de ses efforts en mégotant. Il se perd dans les détails en évitant les questions de fond.
En revenant devant les Maliens mardi dernier pour les annonces qui sont diversement appréciées, le Président de la République donne l’impression d’avoir raté la première occasion de « tuer » le mouvement. Avec le scepticisme et les doutes sur sa volonté de régler la crise de manière radicale, on peut avoir l’impression qu’il a raté la deuxième occasion aussi. On pourrait penser que face à la fronde qui vise en premier sa personne, les offres du Président ne semblent pas à la hauteur et on pourrait se demander si elles ne sont pas arrivées tardivement.
Aly Kéita
Nouvelle République