La cérémonie a été marquée par des témoignages les plus éloquents
des compagnons politiques, des amis et parents de l’illustre disparu qui repose désormais au cimetière de Niaréla
En cet après du jeudi 3 janvier 2019, le temps semble s’arrêter sur le Boulevard de l’Indépendance. Tout comme les jours de célébration de la fête nationale du 22 septembre. Au niveau de la tribune officielle, les personnalités (délégations étrangère du Sénégal et du Congo, présidents des institutions de la République, ministres, hommes politique) prennent place. Le public s’invite dans les rues adjacentes. Les détachements des différents corps des forces de défense et de sécurité étaient alignés dans un ordre impeccable. Pourtant, il ne s’agissait pas d’une fête, mais plus tôt d’une cérémonie d’obsèques à un pionnier de l’indépendance de notre pays : Seydou Badian Kouyaté. Homme politique, ancien ministre et célèbre écrivain, il est décédé le 28 décembre 2018.
C’est exactement à 15 heures et dix minutes qu’arriva au Boulevard de l’Indépendance le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, accompagné de son épouse. Pour commencer la cérémonie proprement dite, 16 élèves officiers de la 3ème année de l’École militaire inter-arme (EMIA) de Koulikoro ont accompagné la dépouille du défunt jusque devant les officiels au son de la fanfare nationale. Après l’installation du drapeau et son porteur, le président Ibrahim Boubacar Keïta est venu s’incline devant la dépouille de l’illustre disparu qui a été, ensuite, décoré à titre posthume de la médaille de Grand officier de l’Ordre national. Seydou Badian était déjà médaillé d’or de l’indépendance.
Au nom du président de la République, Grand maître des Ordres nationaux, le général de brigade Amadou Sagafourou Gaye dira que Seydou Badian était : «l’un des derniers survivants de l’âpre lutte pour l’indépendance du Mali ; celui qui nous avait fait faire le serment de réussir l’unité de l’Afrique, de faire le Mali un et indivisible, d’aller de l’Avant même s’il faut notre sang… ». C’était lui qui nous demandait d’être des héros sur les chantiers, dans les usines, dans les bureaux et de dire Oui aux sacrifices pour un meilleur devenir du Mali. Elle nous était cachée l’absence ce matin, de celui qui m’a fait chanter la main sur le cœur, que pour «la prospérité du Mali, fidèle à son destin, nous serons tous unis ! Et qui m’avait aussi préparé aux rudes batailles pour obtenir le graal en me disant, le regard fixe et le port altier, que La voie est dure, très dure, qui mène au bonheur commun, et qu’il fallait du courage, du dévouement mais surtout de la vigilance à tout moment, car le bonheur du Mali de demain se fera par le labeur». «Il ne sera plus là Seydou Badian Kouyaté, pour nous faire l’exégèse de «Sous l’orage» ou de «Sang des masques». Le franc parler du médecin manquera sûrement à toute cette jeunesse assoiffée de connaissance, surtout de sa glorieuse histoire. La grande faucheuse hélas est passée par là, arrachant à notre affection l’un des plus grands panafricanistes qui, de Montpellier à Bamako en passant par Paris ou Dakar, a toujours placé la jeunesse et l’Afrique au cœur de son combat, parce que pour lui, cette jeunesse, c’est la plus grande espérance pour l’Afrique; et l’Afrique, c’est l’espoir du monde», a poursuivi le Grand chancelier des ordres nationaux.
Pour Amadou Koïta, ministre de l’Emploi, de la Jeunesse et de la Construction citoyenne et Porte-parole du gouvernement : «Le grand baobab est tombé ! Il fut dans toute l’acception du mot, un personnage providentiel que Dieu avait choisi parmi les meilleurs pour l’envoyer à notre peuple. La chute d’un grand arbre provoque toujours un désarroi dans la forêt.
C’est donc avec raisons que les membres de ses familles sociale et politique, parents, proches, amis, au-delà du Mali, de l’Afrique, le monde de la culture, le monde politique, les médecins, les pionniers, tous inondent de leurs larmes le sol de cette avenue où se dresse majestueusement le Monument dédié aux pères de l’indépendance sur lequel est gravé en lettre d’or le nom de celui dont la dépouille mortelle gît ici devant vous». Le ministre Koïta a fait savoir Seydou Badian a réussi un pari prodigieux: celui de faire l’unanimité dans la croisée des générations. Il a vécu avec «des valeurs qui transcendent et rassemblent l’éthique, la droiture, le culte de la compétence, l’honnêteté, le patriotisme».
LA PASSION POUR L’ÉCRITURE – Ecrivain poète, romancier, homme politique, Seydou Badian, de son patronyme NIOMBOÏNA, naquit le 10 avril 1928 à Bamako, a rappelé le Porte-parole du gouvernement, ajoutant l’homme a marqué d’une pierre blanche son passage ici sur terre par des apports intellectuels d’une préciosité qui n’a d’égale que son amour pour la patrie. Après de brillantes études de médecine à l’Université de Montpellier en France, où il a soutenu une thèse sur les traitements africains de la fièvre jaune, Seydou Badian regagna la terre natale en 1956. Son parcours universitaire ne le prédestinait guère à une carrière de grand Commis de l’Etat, encore moins d’écrivain, mais comme le disait un grand penseur du Moyen Âge : «la vocation est le bonheur d’avoir sa passion pour métier» et «le plus beau des métiers, c’est de vivre de sa passion». Seydou Badian n’a pas rechigné sa passion, celle d’écrire, car écrire, disait un autre penseur, c’est aimer, aimer, c’est partager. Seydou Badian a partagé généreusement sa pensée, ses sentiments, sa vision avec la jeunesse africaine, avec le monde entier. Il a participer à l’écriture de l’hymne national «Pour l’Afrique et pour toi, Mali», du chant national des pionniers et il est l’auteur du chant national des pionniers «C’est le jour de l’Afrique».
Militant de première heure de l’Union Soudanaise-Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA) et proche du premier Président Modibo Keïta, il devint à l’indépendance du pays Ministre de l’économie rurale et du plan, puis Ministre du développement en 1962. Lors du coup d’État de 1968, il est arrêté et déporté à Kidal. Il s’exila plus tard à Dakar au Sénégal avant de retourner au pays natal après la chute du régime du général Moussa Traoré.
Seydou Badian apparaît aujourd’hui comme un des meilleurs écrivains contemporains, non pas à cause du Grand prix littéraire d’Afrique noire qui couronna son essai intitulé Les dirigeants africains face à leur peuple, mais parce qu’il s’est distingué par la qualité de son écriture. Le mérite lui revient d’avoir su renouveler l’esthétique littéraire, à travers une série de romans d’une richesse et d’une profondeur rarement égalées : Sous l’orage (1953 et 1957), Le sang des masques (1976), Noces sacrées (1977), La saison des pièges (2007). Ce faisant, il a contribué à asseoir la littérature africaine sur des bases durables, celles d’un art émancipé où la liberté créatrice retrouve tous ses droits.
Pour des millions de jeunes maliens, de plusieurs générations, le nom de Seydou Badian se confond avec son premier roman Sous l’orage, et il faut lui reconnaitre toute la place qui lui revient dans la littérature mondiale, au moment où l’Afrique s’engage dans le combat pour la diversité culturelle : la littérature constitue un puissant facteur de dialogue interculturel pour cet écrivain qui s’est attelé à l’émergence d’un nouveau type d’homme capable de relever les défis du présent et du futur.
Pour le ministre en charge de la Jeunesse, Seydou Badian n’est pas mort. Il n’est pas mort car, sa vie, sa bataille du souvenir, sa bataille de l’avenir, ses œuvres, son parcours, ses idées continueront à inspirer toujours les générations. Son nom restera gravé en lettres d’or dans l’esprit de ses compatriotes et dans les annales de l’histoire, a conclu le porte parole du Gouvernement.
Le président de la République du Congo était représenté à la cérémonie par la Première Dame Mme Antoinette Sassou Nguesso et le ministre de l’Enseignement supérieur, Anatole Oly. Ce dernier dira que le chagrin de la perte de Seydou Badian est partagé également par l’ensemble du peuple congolais. Tous les Africains de sa génération, qui ont été bercés par les différents ouvrage de l’illustre disparu, auraient aimé être présents à cet hommage, a-t-il ajouté. Quant à Abdoulatif Coulibaly, ministre de la Culture du Sénégal, il a, au nom du président Macky Sall et du peuple sénégalais, rendu un vibrant hommage à Seydou Badian. Pour Isma Ndiaye, son ami Seydou Badian reste un modèle d’intelligence et de rigueur moral. Son engagement pour le Mali et l’Afrique n’ont jamais été pris à défaut, a-t-il témoigné. Enfin Ibrahim Boubacar Bah, représentant de la famille politique de l’US-RDA et de l’UM-RDA, a rappelé que Seydou Badian était le secrétait aux affaires économique. «Il reste un patriote et un panafricaniste convaincu», a-t-il soutenu. Après la prière, Seydou Badian fut conduit en sa dernière demeure au cimetière de Niaréla.
Youssouf DOUMBIA
Source: Essor