En conseil des ministres le 5 mars 2025 et sur instruction du président de la Transition, de fortes mesures inédites ont été annoncées contre l’orpaillage artisanal après une série de drames (effondrement de mines).
Des mesures qui ont produit l’effet d’annonce. Mais, ils étaient nombreux ceux qui avaient aussi manifesté leur scepticisme, convaincus que peu de ces mesures vont être réellement appliquées. En effet, presque 5 mois, aucune trace visible de leur mise en œuvre.
Kokoyo (Kangaba) le 29 janvier 2025 ! Bilalikoto (Dabia-Kéniéba-Kayes), le 15 février 2025 ! Sur ces deux sites d’orpaillage, des dizaines de personnes (majoritairement des femmes, dont certaines avec leur enfant dans le dos), ont été ensevelies vivantes. Face à l’ampleur de la tragédie, le gouvernement avait annoncé des «mesures énergétiques» à l’issue du conseil des ministres du 5 mars 2025.
Renforcement de la surveillance des zones minières et des sites d’orpaillage ; durcissement des lois et règlements concernant l’exploitation minière ; saisie de matériel d’orpaillage illégal, notamment des dragues et des véhicules ; fermeture de sites d’orpaillage illégal, interdiction de délivrer des permis d’exploitation minière artisanale aux ressortissants étrangers ; dissolution de conseils municipaux jugés défaillants dans la gestion des sites miniers… Il s’agissait ainsi de prévenir les pertes humaines en évitant les accidents mortels dans les mines artisanales, de limiter les dégâts causés par l’orpaillage illégal, reprendre le contrôle de l’activité aurifère pour mieux la gérer, de lutter contre les réseaux criminels et d’empêcher l’exploitation illégale de l’or par des réseaux criminels.
En résumé, avait souligné un observateur, «le Mali prend des mesures fermes pour lutter contre l’orpaillage illégal avec l’objectif de protéger les vies humaines, l’environnement et l’économie du pays». L’effet d’annonce a atteint son objectif. Et cela dans la mesure où l’annonce de ces décisions a suscité de l’espoir, de l’enthousiasme… N’empêche, ils étaient aussi nombreux ceux comme nous qui disaient aux uns et aux autres de ne pas se réjouir trop vite dans la mesure où les décisions annoncées n’étaient pas encore mises en œuvre et qu’il y a de forte chance qu’elles ne le soient pas intégralement… Certains doutaient déjà de l’efficacité de l’approche, de la démarche.
«Les sanctions peuvent dissuader, mais ne pourront pas résoudre définitivement le problème. Il faut s’attaquer au problème à la racine, s’interroger sur les défaillances aux niveaux de l’exploitation et de la législation et voir ce qu’il faut corriger», avait confié à nos confrères du «Journal du Mali» (JDM) Djibril Diallo, géologue et consultant minier, président de l’Association pour la promotion et la valorisation des ressources minérales du Mali (APVRM). «À mon avis, il faudrait essayer de mettre en place une commission qui réfléchira à de bonnes solutions pour l’État, surtout concernant le cas des Chinois. Le gouvernement peut collaborer avec l’ambassade de Chine afin que ses ressortissants puissent travailler dans un cadre légal, en leur facilitant des zones d’exploitation tout en exigeant en retour le respect des mesures environnementales, sécuritaires et sanitaires», avait-il poursuivi. Au moins, les autorités ont rencontré l’ambassadeur de la Chine sur cette question.
Les mesures annoncées seront-elles entièrement et réellement appliquées ? Presque cinq mois (5 mars 2025), la question est très pertinente. Plusieurs têtes seraient tombées dans les rangs des préfets, sous-préfets, responsables des Forces de sécurité, des services locaux des Eaux et forêts, des services d’assainissement, du contrôle des pollutions et des nuisances, ainsi que des services subrégionaux de la géologie et des mines. Mais, où sont les preuves (décisions) ? Pourquoi se taire dessus et ne pas montrer les décisions administratives y afférentes ?
Nos tentatives de nous informer sur leur mise en œuvre effective se sont jusque-là heurtées au dilatoire. Visiblement, rien de concret n’aurait été posé comme acte d’exécution de l’instruction présidentielle. La redevabilité doit motiver la communication gouvernementale en la matière. De la manière avec laquelle un point de presse spécial a été organisé et animé par des ministres pour annoncer les mesures en question, l’opinion doit être aussi régulièrement tenue au courant de leur application. Les ministres concernés doivent au moins faire un point mensuel en mettant en relief les avancées et les difficultés rencontrées.
Cela peut se faire sous forme de conférences de presse ou de communications écrites au conseil des ministres. En tout cas, il est impératif de communiquer, d’informer constamment l’opinion sur l’application des engagements pris par les décideurs. À moins que tout cela n’ait été un pipeau, du bluff pour atténuer la douleur des localités et des familles endeuillées, pour calmer l’opinion ! L’effet d’annonce !
Moussa Bolly
Encadre
De la démagogie face à une véritable tragédie humaine et écologique ?
Largement supérieur à celui des couloirs légaux d’orpaillage, le nombre de sites illégaux abritant des mines artisanales est estimé entre 300 et 350 dans le pays, principalement dans les régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso. Avec 168 sites officiellement recensés (certaines sources donnent au moins le double des chiffres officiels), la région de Kayes (essentiellement la zone de Kéniéba) en abrite le plus grand nombre. Elle est suivie de la région de Sikasso avec au moins 84 sites recensés dans la zone Kalana-Yanfolila. La zone Bagoé-Kékoro (région de Koulikoro) abriterait au moins 18 sites.
Avec une production estimée à environ 30 tonnes d’or par an (près de 6 % de la production nationale), l’orpaillage illégal est pratiqué par plus de 400 000 Maliens et constitue ainsi une source de revenus pour plus de 2 millions de personnes. Si l’orpaillage garde une place considérable dans l’économie locale des zones où il est pratiqué, il présente également et surtout de nombreux risques et a de lourdes conséquences sur plusieurs plans.
Avec une production estimée à environ 30 tonnes d’or par an et pratiqué par plus de 400 000 Maliens, l’orpaillage illégal constitue ainsi
une source de revenus pour plus de 2 millions de personnes
En dehors de l’insécurité, avec le risque d’effondrement à tout moment, le péril écologique n’est pas moindre dans ce sous-secteur qui utiliserait chaque année au moins 33,3 tonnes de mercure. Un produit nocif et corrosif directement utilisé dans les cours d’eau. Principal affluent du fleuve Sénégal (arrosant plus d’une dizaine de communes de la Guinée, du Mali et du Sénégal), la Falémé est ainsi largement polluée par l’utilisation du mercure, du cyanure… De nos jours, elle renfermerait 214 % de cyanure déversé par les activités liées à l’orpaillage illégal, soit 209 fois la norme autorisée. Le phénomène est aussi à la base de la déforestation et de la destruction des écosystèmes locaux.
Au niveau des effondrements, le bilan est alarmant. En effet, entre janvier 2024 et février 2025, plus de 170 personnes, dont plusieurs femmes et enfants, sont mortes dans des accidents survenus sur des sites d’orpaillage illégaux dans diverses localités du sud-ouest du Mali. Quant aux enfants qui sont abusivement exploités sur ces différents sites, ils sont estimés à entre 20 000 et 40 000 !
Comme on le constate, la situation est assez dramatique pour pousser nos autorités à prendre le taureau par les cornes. On comprend alors pourquoi les mesures annoncées le 5 mars 2025 avaient suscité tant d’espoir. Malheureusement, celui-ci (espoir) commence à s’estomper, à faire de la place à la désillusion !
- B.
Source: Le Matin