à Bamako, certains parents peinent à asseoir leur autorité sur les enfants, parce qu’ils manquent de moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles
L’effritement de l’autorité parentale marque les temps actuels. Les enfants ne respectent plus les parents, et ne répondent pas à leur attente sur certains plans. Les causes de cet effritement social sont diverses et multiples. Dans l’environnement social malien d’aujourd’hui les sages déplorent la puissance de
l’argent.
L’échelle des valeurs sociales est bouleversée. L’avoir prime sur l’être. Alors il va de soi que celui qui n’a rien n’existe pas dans une famille pauvre vivant dans la mégapole de Bamako. La prise des décisions échappe au chef de famille s’il est démuni. L’éducation des enfants est le défi le plus difficile à relever par les parents. Elle consiste à préparer l’enfant pour un meilleur avenir.
Présentement dans notre pays, tous sont unanimes sur un constat : les parents ont perdu la main dans les familles pauvres en termes d’éducation. On ne reconnaît, plus le jeune malien d’autrefois, qui de par son éducation était envié et adulé dans la sous-région. Dans les familles, dans la circulation, dans la rue et même sur les lieux de travail, les signes de la mauvaise éducation ne sont-ils pas désormais visibles partout ? Pour preuve, toute la journée, filles et garçons profèrent des insultes grossières. Être mal embouchés est dans l’air du temps. Être à la page c’est porter des pantalons au ras des fesses, découvrir les seins et le bas ventre. L’attentat à la pudeur ne semble plus condamné par la loi au Mali.
Le credo de la génération juvénile actuelle pauvre ou riche qui occupe les artères de Bamako correspond-il aux valeurs morales prônées dans les familles ?
La première Institution sociale qui doit aider les enfants à trouver leur place dans la société et à avoir confiance en eux est belle et bien la famille. Les parents ont pour mission de donner une bonne éducation, d’imposer un bon comportement, un langage soigné. Ils doivent surtout veiller sur les fréquentations de leur progéniture. Cependant de nos jours les parents pauvres même s’ils sont de bonne foi peinent à imposer leur autorité. Les familles démunies de Bamako sont éternellement confrontées à des problèmes de survie. Les parents et les enfants tirent le diable par la queue.
Les bienfaits d’un cadre familial deviennent illusoires. La pauvreté extrême entraîne des réactions anormales. Des dizaines d’enfants passent la nuit en compagnie des parents. Tôt le matin ils regagnent les rues durant la journée pour répondre aux exigences de la vie quotidienne. Souvent certains parents les utilisent pour se procurer de l’argent.
A travers la ville des centaines de familles dans la précarité assistent impuissantes aux déchéances des rejetons.
Souvent les adolescents pauvres envient leurs amis, leurs voisins. Ils basculent dans la débauche, le banditisme etc. Il devient difficile de les faire revenir à la raison.
qui aime bien, châtie bien. Mme Djouté Alimatou est institutrice. Elle nous raconte le cas d’un jeune garçon auparavant très brillant en classe, mais qui a fini par basculer dans la drogue et le banditisme. Elle se rappelle toujours de cette phrase du père de l’enfant lorsqu’elle l’a interpelé par rapport au comportement de son fils qui faisait depuis peu l’école buissonnière.
Le vieux avait murmuré « «Madame je suis désolé. On nous reproche de ne pas bien éduquer les enfants. Faut-il encore qu’ils t’écoutent ? Quand les sous manquent, le ménage se disloque. Le meilleur pédagogue échouerait s’il est pauvre comme un rat d’église. Moi non plus je n’aime pas assister impuissant à la dérive de mon garçon mais…… ».
Notre institutrice explique que le garçon malgré les menaces et interdictions de ses parents et des enseignants a continué à fréquenter les délinquants de Bamako. « Il se droguait, il buvait de l’alcool et il était devenu insolent. J’ai appris qu’il a fini à la prison centrale de Bamako pour vol et braquage», a conclu notre interlocutrice. Elle reconnaît les efforts des parents à sauver l’avenir de la progéniture. L’effritement de l’autorité parentale a des raisons sentimentales.
L’éducation ne peut pas aller sans châtiment : « qui aime bien, châtie bien ». Mais dans un environnement malsain le meilleur encadreur mordrait le
carreau.
Le sociologue Moussa Daffé nous livre sa réflexion sur la question. Il déplore le fait que nos vieilles méthodes traditionnelles pédagogiques ne sont plus appliquées. La voie est ouverte au drame social qu’est la délinquance juvénile dans nos sociétés. La famille avant dans notre pays était faite de rapports de subordination caractérisés par la soumission absolue des jeunes aux anciens avec comme corollaire que les générations ascendantes sont collectivement responsables des actions des générations descendantes. Les rapports de l’individu avec les membres des générations ascendantes n’opèrent aucune distinction entre les parents par le sang et leurs frères et sœurs, pas plus qu’entre les grands parents entre les frères et sœurs de
ces derniers.
Au sommet le chef de famille sera en principe le plus ancien de la génération la plus ancienne. Si de part le passé, l’éducation des enfants appartenait à toute la communauté, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Pour notre sociologue la rançon à cette dégringolade des mœurs est la clochardisation de notre jeunesse. Devenue fougueuse et non avertie, elle rapporte malgré elle, les conséquences du comportement de certains individualistes se réclamant des valeurs d’autrui. «Voilà, pourquoi, nous assistons impuissants à la détérioration des liens de parenté au seul profit de l’argent.
Voilà enfin pourquoi certains pères ne sont plus les pères de leurs propres enfants et que certains fils ne sont plus les propres fils de leurs pères » a-t-il conclu.
Cet autre cas est édifiant. Il met en scène l’autorité déviante de la maîtresse de maison sous prétexte qu’elle est plus riche que son époux. Dans ce genre de famille, explique Oumar Konté un jeune chercheur, le père ne pourra plus exiger quelque chose de ses enfants, qui auront suivi les différentes scènes de remontrance. «Il s’agit ici d’un couteau à double tranchant, les enfants finiront par partager les frustrations du père. En ce moment, la maman cessera d’être une mère modèle, c’est à dire digne de respect et de considération. Son autorité en pâtira de même un père névrosé, écrasant et phallocrate finira par se faire indésirable. Il se fera alors narguer ou défier par les enfants», lance-t-il. Qui indique que souvent, les bonnes leçons reçues sont contrecarrées par les mauvaises données par la rue, la dégradation de l’autorité parentale conduit directement aux vices.
Selon le sexe les enfants se livrent à des activités différentes. Les filles se livrent à la débauche et à la prostitution, les garçons à la drogue et à la criminalité de toutes sortes. Oumar conseille la jeune génération de s’ouvrir au changement mais de ne pas laisser s’envoler nos valeurs.
M. A. Traoré
Source : Essor