L’ancien international ne tarit pas d’éloges sur la génération actuelle des Aigles. Celui que les supporters appellent familièrement Bréhimablen pense même que notre pays a de bonnes chances d’être sacré dans trois à quatre ans. à condition, prévient-il, que le groupe soit «suivi et bien encadré»
L’Essor : Comment êtes-vous arrivés au Togo ?
Bréhima Traoré : Je suis arrivé au Togo par l’intermédiaire de Tchanilé Bana, qui m’a entraîné au Djoliba en 2005. Pendant son séjour au Mali, lui et moi avons tissé de bonnes relations, nous étions comme des amis. Il a été plus qu’un entraîneur pour moi et j’ai beaucoup aimé sa philosophie du jeu et ses méthodes de travail. Après son départ du Mali, nous sommes restés en contact et c’est grâce à lui que je suis aujourd’hui à la tête de l’AS Port Togo. C’est lui qui m’a recommandé aux dirigeants du club et je suis content d’être ici aujourd’hui. Depuis que je suis là, tout se passe bien avec les dirigeants et surtout les supporters du club. Je saisi cette occasion pour remercier mon président, Wili Nene pour tout ce qu’il fait pour le club et pour moi.
L’Essor : Pourriez-vous présenter brièvement, l’AS Togo que vous dirigez depuis quelques mois ?
Bréhima Traoré : L’AS Port Togo est une Association de football qui a été créée en 1969 par les employés du Port du Togo. Elle est dirigée par un bureau exécutif élu pour un mandat de 4 ans renouvelable une seule fois. C’est en 2002 que le club est monté en première division. à l’issue de la saison 2016-2017, il fut sacré champion du Togo pour la première fois, ce qui lui a permis de se qualifier pour les phases éliminatoires de la Ligue des champions d’Afrique. Après le tirage au sort, le club portuaire a hérité d’une poule un peu relevée. Malgré cela, il a réussi à tirer son épingle du jeu en se qualifiant pour la phase de poules de la compétition, une grande première dans l’histoire du club. Voilà brièvement présentée l’AS Port Togo.
L’Essor : à l’instar de nombreux pays africains, le Togo a également décidé d’arrêter son championnat pour cause de pandémie de coronavirus. Comment vous avez vécu la crise sanitaire ?
Bréhima Traoré : Ça été dur pour nous, nous étions confinés à la maison, mais avant le confinement, j’avais déjà donné des programmes d’entraînement individuel aux joueurs. Je passais la journée à regarder des films à la télé et aussi en communiquant avec la famille à travers les réseaux sociaux. Très honnêtement, le pays m’a manqué pendant la période de confinement et je n’avais qu’une envie, faire ma valise et rentrer. Je ne voudrais plus revivre, ce fut vraiment une période difficile et douloureuse pour les joueurs et pour nous, encadreurs. Tout le monde a souffert du confinement.
L’Essor : Que pensez-vous du championnat togolais, comparé à celui du Mali ?
Bréhima Traoré : Sur le plan technique, je pense que le football malien est au dessus de celui du Togo, mais les footballeurs d’ici compensent cette lacune par leur engagement physique, c’est-à-dire leur combativité. Ils sont un peu comme les Anglais et sont au-dessus des Maliens sur ce plan. Je voudrais également ajouter deux points importants : ici, les supporters se montrent très patients avec les joueurs et les clubs sont mieux structurés qu’au Mali. Aussi, je remarque que les dirigeants d’ici sont bien organisés, ils aiment leur club et sont prêts à tous les sacrifices pour mettre leurs joueurs et les encadreurs dans les meilleures conditions de travail. Ce n’est pas le cas au Mali et je suis bien placé pour le dire pour avoir été joueur puis entraîneur dans mon pays. Au Mali, il y’a de bons joueurs et de bons dirigeants, ce qui nous manque, c’est la patience et c’est un gros problème.
L’Essor : Vous êtes un ancien international et vous avez joué dans plusieurs clubs maliens, dont l’AS Mandé, le Djoliba, le Stade malien. Quels souvenirs avez-vous de votre carrière en club ?
Bréhima Traoré : J’ai passé des moments agréables dans ces trois clubs que vous venez de citer. J’ai eu des relations importantes qui m’ont servi dans ma vie professionnelle. Tous ces trois clubs ont beaucoup contribué à mon épanouissement, en tant que joueur et même en tant que technicien. J’ai remporté beaucoup de trophées avec ces clubs, surtout avec le Djoliba et le Stade malien. Malgré que je ne sois pas au Mali en ce moment, je garde d’excellentes relations avec ces clubs. Je resterai toujours à leur disposition.
L’Essor : Vous avez également porté le maillot de la sélection nationale pendant plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez les Aigles ?
Bréhima Traoré : Le rêve de tout footballeur, c’est jouer avec la sélection de son pays. Dieu merci, j’ai eu cette chance, même si je n’ai pas goûté à la joie de soulever un trophée avec la sélection nationale. Pour revenir à votre question, ce qui m’a le plus marqué chez les Aigles, c’était notre qualification à la Coupe d’Afrique des nations, Tunisie 1994. Pourquoi ? Parce que le Mali était absent de la CAN depuis Yaoundé 1972 au Cameroun. Les Maliens étaient nostalgiques de la CAN, tout comme les joueurs qui échouaient chaque fois aux portes de la qualification. La qualification à Tunis 94 m’a beaucoup marqué, j’y pense à chaque fois que je vois la sélection nationale jouer. Je me rappelle encore, en ouverture de cette CAN, on a joué contre le pays hôte, la Tunisie. L’équipe était dirigée par feu Mamadou Keïta «Capi», paix à son âme. Le jour du match, il nous a dit de tout faire pour empocher les trois points, on a gagné 2-0 contre les Aigles de Carthage. Après le match, c’était merveilleux dans les vestiaires, on a chanté l’Hymne national et la fête a duré plusieurs heures. Notre deuxième sortie, c’était face à l’égypte et là aussi on a gagné et empoché les trois points. L’unique but de la rencontre a été marqué par Soumaïla Traoré. L’aventure s’est ensuite arrêtée en demi-finales, suite à notre défaite 4-0 devant la Zambie. Je n’oublierai jamais cette campagne.
L’Essor : à propos de la sélection nationale, le Mali court toujours derrière sa première couronne continentale chez les seniors. Selon vous, qu’est-ce qui explique cette longue disette ?
Bréhima Traoré : Pour moi, c’est un problème de suivi et de patience. Au Mali, il n’y a pas de suivi, les dirigeants sont impatients et ne travaillent pas sur la durée. Il faut qu’ils (les dirigeants, ndlr) donnent plus de temps aux joueurs, sinon à ce rythme notre pays risque d’être un simple accompagnateur des autres nations à la CAN pendant plusieurs années. On ne peut bâtir une équipe compétitive en un ou deux ans. Je pense que les gens commencent à le comprendre.
Aujourd’hui, nous avons beaucoup de jeunes talents en sélection nationale, il faut leur faire confiance et leur donner le temps de grandir. Je suis sûr que si on se montre patient avec la génération actuelle, elle va donner satisfaction à notre pays. Ces jeunes ne sont pas encore matures, c’est un groupe jeune qu’il faut encadrer et surtout éviter de mettre la pression sur lui. Il faut qu’on soit patient avec les jeunes qui évoluent pour la plupart dans les grands championnats européens et qui ont l’avantage d’avoir évolué ensemble dans les sélections de catégorie d’âge.
L’Essor : Pourtant, au niveau des sélections de catégorie d’âge le Mali a été sacré plusieurs fois et est envié par presque tout le continent. Est-ce à dire qu’il y a un ou des problèmes chez les seniors ?
Bréhima Traoré : Je le répète, pour moi, c’est un problème de suivi et d’organisation. Il faut donner le temps aux joueurs qui sont en sélection nationale et éviter de leur mettre la pression, en fixant des objectifs qu’ils ne peuvent objectivement pas atteindre. Aussi, je pense qu’il y a un problème de communication autour des sélections maliennes. Je demande aux responsables de la Fédération malienne de football de faire confiance aux joueurs et de sensibiliser les supporters. Les jeunes qui constituent aujourd’hui la sélection nationale peuvent remporter la CAN dans trois à quatre ans, mais à condition qu’on soit patient avec eux. Malheureusement, on constate qu’après échec, on jette le bébé avec l’eau du bain. C’est ça le fond du problème.
L’Essor : Vous avez certainement suivi la prestation de la sélection nationale lors de la dernière CAN en égypte. Quels commentaires vous inspire-t-elle ?
Bréhima Traoré : Le Mali a fait une très bonne CAN, il faut l’admettre même si l’équipe a été prématurément éliminée. Ces jeunes ont tout donné lors de la dernière CAN et beaucoup de pays étaient émerveillés par la qualité de leur football, c’est l’inexpérience qui était fatale pour eux. Ils sont tombés sur la Côte d’Ivoire en huitièmes de finale et on sait que ce pays a été toujours un handicap insurmontable pour la sélection nationale. La pression était trop forte, mais les jeunes ont produit du beau football. Sur l’ensemble du match, ils ont dominé les éléphants de la tête et des épaules, mais n’ont pas réussi à concrétiser leur domination. La Côte d’Ivoire n’a eu besoin que d’une seule occasion nette et elle a gagné. Ça fait partie du football, mais en tant qu’entraîneur je conseillerais à la Fédération malienne de football de faire appel souvent aux psychologues pour aider les joueurs. Ce qui est sûr, le Mali n’est pas loin de remporter le trophée de la CAN.
L’Essor : Beaucoup de gens disent que la génération actuelle est l’une des meilleures de l’histoire de notre football et qu’elle est promue à un bel avenir. Partagez-vous cet avis ?
Bréhima Traoré : C’est indiscutable, cette génération regorge de talents, ils ont tous les atouts pour inscrire leur nom au palmarès de la Coupe d’Afrique des nations. Je veux que le sélectionneur national, Mohamed Magassouba-que je salue au passage- garde cet effectif. Ces jeunes sont promus à un bel avenir et je suis sûr qu’ils vont réussir.
L’Essor : La sélection nationale est majoritairement composée de jeunes joueurs qui évoluent pour la plupart dans les championnats européens. Quel est le joueur qui vous a le plus impressionné lors de la dernière CAN ?
Bréhima Traoré : Le joueur qui m’a plus impressionné lors de la dernière CAN, c’est le capitaine Abdoulaye Diaby. Malgré son âge, il est respectueux et très humble, c’est ce qui me plaît chez lui. Le conseil que je peux lui donner, c’est de rester comme ça, ensuite de toujours donner une bonne image de l’équipe à travers son comportement. Je lui souhaite bonne chance et encourage tous les autres joueurs à continuer sur la même lancée.
L’Essor : Si vous aviez un conseil à donner à vos cadets, que leur diriez-vous ?
Bréhima Traoré : Le premier conseil que je leur prodiguerai, c’est de continuer à travailler ensemble, qu’ils soient des complices même en dehors du terrain. Je veux aussi qu’ils soient disciplinés entre eux pour valoriser l’image du pays. Enfin, je leur dirai d’être respectueux les uns envers les autres.
L’Essor : Un petit message pour le public sportif malien ?
Bréhima Traoré : Le message que j’ai à lancer à l’endroit du public sportif, c’est leur demander de rester soudés derrière les sélections nationales. Quand on est unis, tout devient possible, on ne peut obtenir de résultats dans la division. Depuis plusieurs années, les dirigeants du football sont à couteaux tirés et cela joue forcément sur les résultats des Aigles. Tous les footballeurs souhaitent voir les dirigeants travailler ensemble et j’espère de tout cœur que nos responsables vont s’entendre pour le bonheur du football national.
Interview réalisée par Djènèba BAGAYOKO
Source : L’ESSOR