Au Nord du Mali, trois éléments simultanés existent : l’implantation de terroristes algériens, la chute de Kadhafi et l’ambition d’un chef féodal touareg, Iyad ag-Ghali, explique la crise de 2012.
Première étape: La rébellion touarègue de 1990 s’était conclue par le «le pacte national» signé à Bamako, en 1992, avec cinq (05) groupes armés. Dans le «statut particulier» accordé au Nord-Mali étaient prévus un retrait des forces armées maliennes et la création «d’unités spéciales» composées majoritairement d’ex-rebelles intégrés.
Des combattants ont été intégrés dans l’armée malienne, des structures civiles de développement économique ont été mises en place, relativement inefficaces, le statut particulier a été remplacé par la décentralisation dont ont bénéficié toutes les régions. Mais les «unités spéciales» n’ont pas vu le jour et la zone a été laissée sans autorité militaire étatique, quasiment incontrôlée.
Deuxième étape: L’installation sur place de terroristes algériens: une partie du groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), fuyant l’armée algérienne, a trouvé refuge au nord du Mali, vers 2000. En 2007, le GSPC devient Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), tout en restant sous l’autorité de l’émir Abdelmalek Droukdel basé en Algérie. AQMI se scinde en trois (03) groupes concurrents, la katiba de Mokhtar Belmokhtar (toujours active, même si son chef aurait été tué fin 2016), celle d’Abou Zeid (tué en 2013), puis celle d’Abdelkrim al-Targui (tué en 2015). Le GSPC s’est financé principalement en prenant des otages hors du Mali, libérés après négociation au Mali, selon une procédure devenue routinière, incluant certains leaders touaregs (Iyad et Bahanga) et des officiels et burkinabés.
Selon le New York Times, les pays européens (Etats et entreprises privées) auraient versé, de 2008 à 2014, 128 millions d’euros de rançons, dont 58 venant de France. Il existait, de 2000 à 2012, un accord tacite de non-agression entre AQMI et Bamako sous le président Amadou Toumani Touré (ATT), violé exceptionnellement (en 2009, Abou Zeid avait exécuté un otage britannique et les autorités maliennes avaient organisé des représailles).
Exceptionnellement aussi, un otage a été capturé au Mali même (un Français à Ménaka, en 2012). Selon le gentleman’s agreement, AQMI (et d’autres groupes armés) était toléré s’il contrôlait seulement les trafics: drogue, cigarettes, essence, migrants. Mokhtar Belmokhtar, vétéran algérien de l’Afghanistan (1991-1993), était alors appelé «M. Marlborough».
Troisième étape: les connivences entre AQMI et Iyad ag-Ghali
Iyad Ag-Ghali, terroriste hybride, trafiquant, chef religieux, criminel et politicien. Ancien leader de la rébellion touarègue de 1990, Iyad a été converti au fondamentalisme islamique, vers 1998, comme d’autres notables touaregs ifoga, par le mouvement d’origine indienne tabligh, présent à Kidal.
En 2012, n’ayant pu réussir à diriger le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA, créé fin 2011) contrôlé par de militaires revenus de Libye et ne pouvant pas être amenokal (chef traditionnel) des Ifoga, il crée son propre mouvement touareg islamiste Ansar Dine. Le charismatique Iyad disposait d’une quadruple légitimité: fortune considérable (acquise dans les trafics et les libérations d’otages), haute noblesse locale (lignage guerrier ifogha), chef spirituel local des Tablighs et prestige militaire de leader rebelle.
Il devient, comme en 1990, le personnage clé de la rébellion de 2012: stratège et clé de voute entre AQMI et les autres groupes armés, qu’ils soient touaregs (MNLA), arabes (Mouvement islamiste arabe-MIA) ou pluriethniques à dominance peule (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest-MUJAO, groupe dissident d’AQMI, la brouille étant liée au partage inégal des rançons entre Arabes algériens et Noirs maliens).
Quatrième et dernière étape: Après le renversement de Kadhafi par le Conseil national de transition libyen (en octobre 2011) et la mise à mort du dictateur par les soldats libyens deux mois plus tard (à la suite d’un bombardement de l’OTAN),au moins un millier de Touaregs de l’armée nationale libyenne rejoignent ,en passant par l’Algérie le nord du Mali (principalement des membres des tribus ifoghas,idnanes et imghads), où ils ne sont pas désarmés( ils reçoivent même un pécule !) et le Niger (pour d’autres tribus),où ils sont désarmés.
Le colonel Mohamed ag-Najim, de l’armée libyenne, et Bilal Ag-Acherif, étudiant à Tripoli deviennent alors le fer de lance du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Ils décident d’attaquer l’armée malienne en revendiquant l’indépendance du nord du Mali («libération de l’Azawad») que n’aurait pu tolérer la majorité, non touarègue de la population du territoire concerné qui s’étend de Tombouctou à Kidal et Gao.
Quatrième rébellion
En janvier 2012, à l’initiative d’Iyad Ag-Ghali, les rebelles touaregs (MNLA et Ansar Dine) déclenchent une nouvelle rébellion (la 4ème depuis l’indépendance du Mali). Grâce à Iyad, ils s’associent rapidement à AQMI et au MUJAO, et s’emparent progressivement des villes du Nord-Mali (Kidal, Tombouctou et Gao), profitant des retournements d’une partie (environ 1000) des militaires maliens ex-rebelles intégrés dans l’armée dans le cadre de la fin de la rébellion précédente. Après le massacre d’Aguelhok (où les Touaregs rebelles assassinent quatre-vingt-cinq (85) militaires maliens prisonniers, en janvier 2021), le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad, en avril 2021.
Cependant, en raison notamment du ressentiment d’Iyad ag-Ghali à l’égard de la chefferie des Ifogha, les «indépendantistes» touaregs du MNLA sont à leur tour écartés par leurs anciens alliés islamistes. Sous l’autorité tacite d’Iyad, des Touaregs, des Arabes algériens, et des Noirs maliens, membres d’Ansar Dine, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) dominent alors tout le Nord-Mali, avec au maximum 3000 combattants aguerris. D’avril 2012 à janvier 2013 (date de l’intervention militaire Serval française), la charia est appliquée au nord dominé par ces groupes armés.
Cependant, la charia «totale» (avec amputations et flagellations) n’est pas mise en œuvre à Kidal même, sous l’influence d’Iyad, plus modéré dans son propre fief. Des documents découverts, en 2013, ont montré aussi que l’émir Droukdel d’AQMI demandait à sa branche malienne de faire preuve de modération pour ne pas s’aliéner la population, mais il n’a pas été obéi localement, notamment par le MUJAO.
Le MNLA lui-même, présenté comme un groupe indépendantiste laïc, avait signé, en mai 2012, un protocole d’accord avec Ansar Dine, annonçant une fusion MNLA/Ansar Dine et créant un conseil transitoire de l’État islamique Azawad, avant que le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ne soit finalement chassé des villes du Nord par les autres groupes (Ansar Dine, MUJAO et AQMI), à partir de fin juin 2021. Les razzias et autres exactions du MNLA, en particulier à Gao (où le MNLA avait établi son quartier général), avaient fait le lit de groupes islamistes plus disciplinés et qui ont instauré une justice et un ordre islamique, que les populations préférant encore aux pillages et à l’anarchie.
En définitive, AQMI a réussi à parasiter une rébellion sécessionniste touarègue locale du Nord-Mali (issue de Kidal) pour la marginaliser finalement, grâce à une association ambigüe entre les chefs algériens d’AQMI et Iyad Ag-Ghali. Ce dernier espérait prendre le pouvoir au Nord, au détriment de la chefferie héréditaire Ifogha, de la majorité des autres Touaregs (les non-nobles Imghad et les Bellah de la caste des esclaves ou les tribus touarègues rivales des Ifogha), des autres communautés non touarègues du Nord (Songhaï, Arabes, Peuls, Soninké, Bambara, Dogon, Bozo, etc.) et bien entendu de l’État malien. Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), de son coté, souhaitait utiliser à son profit le prestige d’Iyad, espérant pouvoir le contrôler.
Nicolas Normand, extrait de son livre «Le Grand livre de l’Afrique» (le titre est de la Rédaction)
Source : L’Inter De Bamako