Le Pr. Dioncounda Traoré, Haut représentant du président de la République pour les régions du centre, est enfin sorti de son mutisme depuis sa nomination à cette fonction en juin dernier. C’était à la faveur d’une rencontre avec la presse, le 23 janvier 2020, pour faire le point de ses initiatives pour la pacification du centre. Il était temps, car les Maliens s’interrogeaient sur sa capacité à diriger cette mission à lui confiée par le Président IBK. D’aucuns avaient même estimé qu’il aurait été plutôt judicieux de le remplacer par l’ancien président ATT, rentré au bercail en décembre dernier.
Efficace et discret comme toujours, l’homme tissait plutôt sa toile loin des tintamarres. On aura ainsi vu l’homme entouré d’un staff complet composé de cadres civiles et militaires aux talents reconnus. Le silence de Dioncounda Traoré, ce n’était pas uniquement pour la constitution de son cabinet, c’était aussi des missions sur le terrain. Le travail abattu depuis sa nomination en juin dernier aura ainsi permis de comprendre la nature de la crise qui est tout sauf un conflit intercommunautaire. Des centaines de personnes consultées, des initiatives osées comme celle relative à l’envoi des émissaires pour rencontrer les deux grandes figures du djihad dans notre pays, notamment Amadou Koufa et Iyad Ag Ghali.
« Nous sommes prêts à lancer des passerelles pour dialoguer avec tout le monde… et nous ferons en sorte qu’ils soient convaincus », a-t-il déclaré, convaincu lui-même que le dialogue est obligatoire à toutes les étapes du processus de paix afin de ramener à la raison ceux qui ont choisi de prendre les armes contre leur propre pays. « Des émissaires sont déployés sur le terrain afin de mener des actions. Des bénévoles ont accepté de se rendre auprès des populations pour identifier les acteurs clé de la violence. J’ai envoyé des émissaires en direction de Koufa et d’Iyad », dira l’ancien président de la Transition.
Pour lui, le djihadisme s’est incrusté sur de vieilles rancœurs entre éleveurs et agriculteurs. Ces vieux ressentiments étaient exacerbés par les agents de l’Etat (gendarmes, gardes et agents des Eaux et Forêts) qui rançonnent les populations dans les villages. Ce qui fut un terreau fertile pour les djihadistes d’exploiter ces conflits locaux en recrutant des combattants au sein de chaque communauté ethnique. « Pour attaquer des Dogons, ils utilisent des Peuls pour faire croire que ce sont les Peuls qui les attaquent. Pour attaquer des Peuls, ils utilisent des Dogons. Malheureusement, certaines communautés sont tombées dans le piège », a-t-il regretté.
Comme nous l’avons dit, Dioncounda Traoré a bien osé en tendant la main aux djihadistes, pour qui connait la position en début de son mandant, du Président IBK, sur la question. En effet, celui-ci a toujours opposé un niet catégorique à une telle éventualité. On se souvient en effet que le dialogue avec les chefs djihadistes Iyad et Koufa avait été recommandé par les participants à la conférence d’entente nationale de 2017. Mais à la grande surprise de tout le monde, le locataire de Koulouba avait clairement écarté cette option, même si, au-delà de celle-ci, on ne sait toujours pas qu’en est-il des recommandations de cette conférence.
C’est d’ailleurs pourquoi une frange importante de la classe politique et de la société civile ont boudé le dialogue national inclusif, estimant que ses conclusions allaient subir le même sort, sans un mécanisme contraignant pour tout le monde, y compris le président de la République, que celles de la conférence nationale. Avant la conférence d’entente nationale, des acteurs politiques et religieux comme Tiébilé Dramé et Mahmoud Dicko avaient toujours clamé haut et fort qu’il fallait négocier avec les djihadistes maliens, mais sans jamais avoir été entendus.
Les conclusions du dialogue national inclusif ont-elles galvanisé Dioncounda dans son option de prendre langue avec Iyad et Koufa ? Une seule certitude : cette sortie officialise ainsi la volonté de l’Etat du Mali à négocier avec ces chefs djihadistes ou terroristes, c’est selon ! Ce qui n’est pas sans conséquences. En effet, tout le monde sait que le refus jusqu’ici manifesté par le Président IBK sur la question tenait plus de la peur de ne pas incommoder certains partenaires comme la France et les Etats-Unis que d’une conviction personnelle. IBK se voit-il donc contraint de faire bon cœur contre mauvaise fortune ?
Ce qui est sûr et certain, c’est que ni la France ni les Etats-Unis ne saurait nous tenir rigueur de négocier avec Iyad et Koufa, dans la mesure où toutes ces puissances ont toujours négocié avec les terroristes dès qu’il s’agit de leurs intérêts ou la vie de leurs ressortissants. Cela est d’autant plus vrai que nous assistons en longueur de journée au massacre de soldats et de civils maliens. Il est temps que cela cesse ! Il est temps que cela soit compris par nos partenaires !
Comme l’a dit Dioncounda Traoré qui fonde un grand espoir sur le déploiement prochain de la nouvelle coalition internationale pour affronter l’hydre djihadiste, la guerre contre le terrorisme n’est pas que le combat du Mali seul. Pour le reste, nous laissons le soin au Haut représentant du président de la République pour le centre en foi à cette assurance traduite dans ces propos qui suivent : « Nous avons des suggestions et des propositions pour les chefs d’Etat ; nous avons des solutions et ce ne sont pas des solutions partielles ».
Seydou DIALLO
Source : LE PAYS