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Moussa Mara : « N’Djamena doit être un moment politique de vérité »

ANALYSE. La capitale tchadienne reçoit ce 15 février un sommet entre les pays du G5 Sahel et la France. Que faut-il en attendre ?

‘opération Barkhane semble, en ce moment, dans le creux de la vague. La perte malheureuse de cinq soldats en une semaine, les difficultés d’opérationnalisation de la force Takuba et celles encore plus grandes du G5 Sahel ont contribué à cette situation. Il y a également l’impression d’un certain enlisement dans la guerre contre le terrorisme. Les éliminations annoncées de terroristes succèdent aux attentats lâches à l’engin explosif improvisé. Malgré les coups subis, l’empreinte terroriste globale se maintient. Elle paraît même se renforcer avec une inclinaison de plus en plus forte de certaines autorités sahéliennes à négocier avec les terroristes. Le contexte de désamour persistant entre la France et les opinions africaines et, cerise sur le gâteau, les sondages qui montrent, pour la première fois, que l’opinion publique française est majoritairement contre l’opération contribuent enfin à assombrir les perspectives de cette opération pourtant demandée par les pays sahéliens et encore bien soutenue par les États concernés.

Des doutes et des questions

C’est le temps du doute et des questions importantes, illustré par de nombreux titres d’articles dans la presse hexagonale et internationale qui sont globalement critiques et portent des jugements quelquefois excessifs sur l’intervention de l’armée française dans le Sahel. La prévision d’un sommet entre la France et les pays du G5 Sahel à N’Djamena, en février 2021, ouvre la perspective de ces questionnements et, in fine, de l’avenir de l’opération Barkhane dans le Sahel.

Le statu quo n’est pas tenable, il ne faut pas s’attendre à court terme à une éclaircie sur chacun des fronts précédemment évoqués. Les seuls succès militaires ne suffiront pas, au contraire ! Il y a un risque réel que d’éventuelles pertes de soldats supplémentaires ne rendent Barkhane encore plus impopulaire en France. Ce qui suscitera inévitablement des pressions plus grandes pour son retrait. La période électorale qui s’ouvre dans le pays est susceptible d’amplifier ces débats et d’offrir un cadre propice aux surenchères populistes de tous ordres. Il est de ce fait impératif d’anticiper les difficultés qui s’annoncent. Le prochain sommet offre un cadre idéal pour cela.

Anticiper les difficultés qui s’annoncent

D’une manière stratégique, il doit être assigné à l’opération Barkhane une piste de sortie, assortie d’un chronogramme de retrait progressif. Cela passera par une réduction des troupes en 2021, comme d’ailleurs annoncé. Cette réduction est à faire suivre d’un plan de retrait sur une période donnée avec, à terme, la réduction de l’opération en une présence de forces spéciales et un appui opérationnel aux troupes du Sahel (renseignements, observations, soutiens aériens divers). Le contexte est favorable à cette nouvelle orientation.

À partir de 2022, la France et l’essentiel des pays du Sahel auront des cycles électoraux quasi concordants (2021 au Tchad et au Niger, scrutins effectifs en Mauritanie et au Burkina, 2022 au Mali), ce qui offrira un contexte de stabilité institutionnelle à l’engagement d’une véritable stratégie coordonnée sur la période 2022- 2025. Cela doit se traduire par une montée en puissance réelle et vérifiable des États sahéliens quant au traitement du défi terroriste et sécuritaire, parallèlement à la réduction progressive de la présence du partenaire français.

La nécessité d’un engagement plus fort des États du Sahel

Le sommet de N’Djamena, outre les actions immédiates et opérationnelles relatives aux dossiers en cours, pourra ouvrir la perspective de cette orientation stratégique majeure qui voudra également dire que les États du Sahel doivent s’engager davantage dans le traitement de leurs propres difficultés. Ils doivent définitivement s’éloigner du syndrome du « pays faible à protéger » ou encore de l’argutie de la « digue contre le terrorisme international menaçant l’Europe ». Ils doivent le faire ensemble, mais ils doivent également enjoindre à chacun d’entre eux de faire sa part du travail. Dans ce domaine, le fardeau le plus lourd revient à notre pays, le Mali.

L’État malien doit enfin se saisir du « dossier Mali » et s’engager de manière déterminée dans son traitement. Il doit le faire avec une ambition stratégique, celle de gagner enfin le cœur des populations maliennes. C’est la clé du succès et cela est valable pour les autres pays confrontés à la donne terroriste. Ce combat ne peut être mené ni par les forces étrangères seules ni par les seules forces armées maliennes. Il faut une action coordonnée de toutes les dimensions étatiques ainsi qu’une forte implication du leadership du pays.

Obtenir une meilleure adhésion des populations

Nous avons à emprunter sans délai cette voie et le faire en retenant que la présence de l’administration est indispensable pour gagner le soutien des populations et que l’exercice de la justice est encore plus crucial pour atteindre cet objectif. L’équité dans le fonctionnement de l’administration et ses rapports avec les citoyens, la protection de ces derniers ainsi que la satisfaction de leurs besoins demeurent prioritaires. Nous ne gagnerons cette guerre qu’à ce prix. Nous devons impérativement monter en première ligne pour ce faire et obtenir de nos alliés leurs accompagnements.

C’est à ce partenariat que le sommet de N’Djamena doit essayer de nous convier. Un partenariat stratégique, avec le soutien de la communauté internationale, sur la base d’engagements précis de nos pays, assortis d’objectifs tactiques mesurables à atteindre sur chaque période, est le seul à même d’offrir un cadre idéal pour la résolution des problèmes sahéliens. Et permettre en même temps que le retrait des troupes étrangères, dont Barkhane, ne soit pas considéré comme un repli, voire une fuite !

Il est donc attendu que la rencontre de N’Djamena soit d’abord un moment politique de vérité avant d’être un sommet militaire, avec un zeste de vision stratégique !

PAR MOUSSA MARA

SOURCE: lepoint

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