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Modibo Kadjoké : « La durée de notre transition devrait être fonction de la profondeur et de la complexité des problèmes »

Le président du directoire de l’Alliance pour le Mali (APM-Maliko) s’exprime sur l’évolution récente de la situation sociopolitique du pays. En outre, l’ancien ministre se prononce sur l’architecture, les missions et la durée de la transition 

 

L’Essor : Quel regard portez-vous sur la situation sociopolitique du pays, trois semaines après la démission du président de la République Ibrahim Boubacar Keïta ?

Modibo Kadjoké : Je pense que nous vivons une crise très profonde, d’une grande dimension qui touche à beaucoup de secteurs. Quand vous regardez le pays aujourd’hui, du point de vue de la sécurité, nous avons beaucoup de problèmes, du point de vue politique, nous avons beaucoup de problèmes, du point de vue économique, nous avons d’énormes difficultés.

Il y a une grande rupture de confiance entre l’État et le citoyen, et c’est très sérieux. Il y a une grande rupture de confiance entre les citoyens et pratiquement l’ensemble de nos institutions. Un chef de l’État a dit déjà que nos États ont besoin beaucoup plus d’institutions fortes que d’hommes forts. Et c’est ce que les Ghanéens ont fait.

Le président Jerry Rawlings a dit qu’il faut mettre des institutions très fortes en place qui pourraient résister à toutes tentations. Je crois que c’est ce qui nous a manqué au Mali. Donc, le pays est sérieusement malade ; et il a besoin que tous ses enfants se retrouvent autour de lui pour essayer de le traiter, et prendre soin de lui. Le Mali est à ce niveau aujourd’hui.

Les crises sont aussi lointaines et partent des années 60. On ne les a pas traitées de façon sérieuse et approfondie. Au cours des différentes conférences et concertations nationales, l’accent est beaucoup plus mis sur la forme que sur le fond. Les fonds n’ont pas été traités.

Tout les dix ans, nous avons une rébellion dans notre pays, nous avons eu cinq chefs d’État, il n’y a qu’un seul qui a pu passer le pouvoir normalement. Tous les autres ont été victimes de coup d’État. Tout cela nous fait comprendre clairement que nous vivons un malaise très profond. Je disais que les crises n’ont pas été traitées de façon approfondie. Vous avez suivi le discours de Macron, quand il est arrivé en Algérie. Il a dit clairement que la colonisation est un crime contre l’Humanité. Il a assumé son passé.

Mais nous les Maliens, il y a des pages de notre passé qu’on n’aime pas regarder, qu’on n’aime pas traiter. Les Sud-Africains ont vécu la même chose ou pire. Les populations noires ont eu beaucoup de problèmes avec les Blancs. Mais avec Nelson Mandela, les gens se sont parlés face-à-face en se pardonnant mutuellement. Nous, nous n’avons jamais vécu cela. Imaginez tout ce qui s’est passé au Nord, et ici aussi entre des hommes politiques, depuis les années 60 jusqu’à maintenant.

On n’a jamais eu une occasion pour passer tout cela en revue de façon approfondie, que les gens se parlent très franchement, qu’on se pardonne, et qu’on reparte. On n’a jamais eu cette occasion, c’est pourquoi, je pense que les problèmes ne sont jamais traités de façon approfondie. Je pense que la transition est une opportunité pour jeter les bases de cette catharsis.

L’Essor : Des officiers supérieurs de l’Armée ont parachevé le 18 août dernier la lutte menée pendant environ trois mois par le M5-RFP. Quel commentaire faites-vous sur ces événements ?

Modibo Kadjoké : En réalité, à travers les manifestations du M5-RFP, des associations, des partis politiques se sont mis ensemble. Mais il y avait une grande majorité silencieuse qui partageait leurs points de vue. Vous n’avez personne au Mali qui pouvait vous dire que tout allait bien. C’est-à-dire même si vous écoutiez le chef de l’État, il allait reconnaître lui-même qu’il y avait des problèmes. Donc, c’était vraiment des revendications portées pratiquement par une grande majorité de la population malienne.

Finalement, nous avons abouti à une crise, le pays étant à l’arrêt, les militaires sont intervenus pour assurer la continuité de l’État. Le Mali a même besoin de cela, l’État n’existe plus dans notre pays. Vous avez une bonne partie du pays où il n’y a plus d’État. Nous ne nous posons pas la question ici à Bamako, comment est-ce sur la rive gauche à Ségou ou à Mopti on se marie, comment on établit les actes de naissance… Mais, ce sont des choses qui sont très difficiles là-bas, il n’y a plus de foire, plus d’activités professionnelles.

Imaginez un enfant de 8 ans en 2013 à Kidal, à la fin de 2023 il aura 18 ans, mais il n’aurait jamais vu l’État malien, pas de maires, pas de policiers. Il y a une bonne partie de notre territoire qui est dans cette situation. Je pense que les militaires sont intervenus au bon moment et cela a pu raccourcir les difficultés, mettre un frein très rapide aux difficultés qui étaient là. Les gens ne travaillaient plus, les choses étaient arrêtées économiquement.

Finalement, c’est comme si du coup on fait un arrêt brutal, mais c’est pour pouvoir aller de l’avant. Donc, moi je pense que le M5 a porté des revendications populaires et les militaires sont venus parachever ce travail qui avait commencé.

L’Essor : Quel est votre schéma pour l’architecture, les missions, la durée et le profil des dirigeants de la transition ?

Modibo Kadjoké : La transition politique, de notre point de vue, doit s’étaler sur trois ans et conduite par 3 organes. Il faut un Comité de réconciliation et de refondation nationale (CRN) qui a toutes les attributions d’un organe législatif présidé par le représentant du CNSP. Il sera composé du CNSP, du M5-RFP, de représentants de la classe politique, des mouvements signataires de l’accord pour la paix (CMA, Plate-forme et Mouvements de l’Inclusivité).

Ensuite, un gouvernement de 23 membres qui tiendra compte de la représentation des jeunes et des femmes. Il est responsable devant le peuple et peut être démis par le CNR après avis conforme de la Haute autorité morale de veille de la transition. Dans ce cas de figure, une nouvelle équipe est mise en place dans les mêmes conditions et procédures de désignation du précédent gouvernement.

Et enfin, une Haute autorité de veille de la transition présidée par une autorité morale et composée de l’Association malienne des droits de l’Homme, du Barreau, du Conseil national de la société civile, du Conseil national de la jeunesse du Mali, des organisations des confessions religieuses, des syndicats, des légitimités traditionnelles. Elle est consultée par le CRN sur les grandes questions d’intérêt national et les nominations du Premier ministre et des membres du gouvernement. Elle peut s’auto saisir de toute question relative à la réussite de la transition.

L’Essor : La validation des termes de référence des concertations nationales samedi dernier est-elle un prélude rassurant pour la suite ?

Modibo Kadjoké : La démarche est bonne, si les journées doivent se tenir cette semaine, c’est important que dans toutes les Régions que les populations, les forces vives de la nation se retrouvent pour valider les termes de référence, fixer le cadre en termes de fond et de forme.

Les documents, dans l’ensemble étaient bien élaborés, nos observations ont porté sur la durée, compte tenu de la profondeur de la crise, et de tout ce que cela suscite, comme intérêt au niveau des Maliens. Les gens sont passionnés et ont envie de parler. En trois jours, ce n’est pas évident. Il faut donc porter le nombre de jours pour les concertations à quatre.

Le nombre des participants doit aussi être revu : 300, c’est bien mais on pense qu’également pour les mêmes raisons, il vaut mieux laisser une majorité venir peut-être jusqu’à 500 ou 600, pour que les gens puissent réellement venir s’exprimer. Parce que, c’est là où on va jeter les bases de la transition. Et c’est important qu’un nombre suffisamment représentatif de la population puisse être présent, avoir le temps de discuter. Pour le reste, c’est vraiment des détails, des causes de la crise, des omissions, des problèmes de reformulations que nous avons eu à faire.

Les concertations nationales doivent être une bonne occasion de rassembler toutes les Maliennes et tous les Maliens, unis comme un seul homme pour parler de la même voix et faire comprendre à la Cedeao que la durée de notre transition devrait être fonction de la profondeur et de la complexité des problèmes qui sont à la base de nos crises répétitives.

Il est aussi vrai, comme l’a dit le président Issoufou au sortir du 57è sommet de la Cedeao, que nous devons leur faciliter le travail. Et pour cela nous devons tous nous armer de tolérance pour aller à des concessions réciproques.

Propos recueillis par
Souleymane SIDIBÉ et
Aminata DIALLO

Source : L’ESSOR

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