Cette discrimination raciale commença d’abord feutrée, subtile, insidieuse, pour un projet qui allait devenir obsessionnel: construire une Mauritanie exclusivement arabe !
Pour ce faire, des mécanismes furent mis en œuvre pour que l’Etat fut la «chose » des arabo-berbères; progressivement, au rythme des résistances qu’opposaient les Négro-africains, ont fit de sorte que les arabo-berbères CONTRÔLENT LA RÉALITÉ du pouvoir politique et économique, la justice, l’éducation, l’armée. La diplomatie ne sera pas en reste où, à l’extérieur, il faut afficher l’image d’une Mauritanie arabe par la composition des délégations, le discours et les clichés culturels, où il faut gommer totalement l’autre personnalité de la Mauritanie. Evidemment pour masquer la nature discriminatoire des régimes, on va saupoudrer un peu par quelques nègres de service, sans responsabilité aucune, personnalités aux genoux tremblants, figurines sans aucun pouvoir de décision!
Un des rouages essentiels de cette machine à discriminer fut l’usage qu’on fit de la langue arabe. Cette langue introduite très tôt dans le système éducatif, à des fins » d’indépendance nationale » disait le discours officiel ! Vaste supercherie qui visait en fait à cacher les motivations sordides. On lui fit jouer un rôle, non pas d’intégration, non pas d’épanouissement pour tous, mais on l’utilisa comme instrument de sélection et de discrimination dans l’emploi et l’éducation pour éliminer les Négro-africains. Les enfants négro-africains commencèrent à échouer massivement. Ce fut la période où il y eut un raz-de marée sans précédent de cadis, de magistrats, d’enseignants, de centaines de jeunes sautant à pieds joints dans le système, sans aucune formation, et dont le seul critère de recrutement fut, qu’ils étaient passés par l’école coranique. Comme si passer par cette école entrainait automatiquement les compétences et les capacités requises ! Un vrai gâchis au plan national, à la base de l’impasse et de la déchéance actuelle du système éducatif. Ce fut donc le prélude à la relève des Négro-africains, le commencement de leur marginalisation massive qui allait se poursuivre et atteindre son apogée avec l’avènement du colonel Taya . Bien entendu, au fur et à mesure des réformes impopulaires et imposées, des réactions d’hostilité ne manquèrent pas, côté Négro-africain. Les réformateurs marquaient alors un temps d’arrêt; en fins stratèges donnaient du mou à la ligne, pour laisser passer l’orage, obstinément le projet était poursuivi.
Beaucoup d’observateurs se méprenant alors sur le sens de ces crises, les présentaient, à tort, comme des crises interethniques, comme si la communauté arabo-berbère et négro-africaine, se dressaient, par animosité, l’une contre l’autre. Ce ne fut jamais le cas. Ces crises étaient à l’image de ce qui se passait au Kwazulu-natal du temps de Botha. Elles étaient orchestrées par nos dirigeants à des fins politiques, qui les exploitaient alors à chaque fois et judicieusement; ils présentaient, en milieu maure, comme des menaces graves aux intérêts et acquis maures, de manière à créer autour d’eux un consensus. Ce fut le cas pour les évènements de 1966, 1987 et de 1989 pour ne citer que les plus graves et les plus douloureux.
Ce n’est pas par hasard si la déportation de 120. 000 Noirs mauritaniens au Sénégal et au Mali, ne suscita que peu d’émoi du côté des intellectuels et de la classe politique beydane, où l’on notait un silence assourdissant. Si par ailleurs, des blancs risquèrent leur vie ou se firent pendre (aux U.S.A avec l’UNDER-GROUND) pour la cause des faibles, ce ne fut pas le cas en Mauritanie pendant ces terribles déportations. Seuls quelques jeunes du Mouvement des Démocrates Indépendants (MDI), allaient faire exception. Or, j’ai toujours eu le sentiment que l’intellectuel ressemblait davantage à Zola qu’à Gobineau ou Goebbels, et qu’il ne pouvait rester sans rien faire, sans rien dire devant l’injustice.
Pourquoi un tel silence? Le Régime du colonel président avait-il réussi à les convaincre? C’est là du reste une dimension, entre autres, qui rend malaisée la recherche d’une solution au problème, au regard de l’ambigüité de ces formations politiques sur notre question nationale. Certaines formations, si elles ne nient pas purement et simplement l’existence du problème, le réduisent à une simple question linguistique, ou de violation des droits de l’homme. A les entendre il suffirait, pour tout régler, que les déportés reviennent. Le débat, en général, au niveau de l’opposition politique au lieu de se focaliser sur les vrais problèmes, tournent hélas ! Autour des questions périphériques.
En tout état de cause, ces déportations planifiées, aux relents du NAZISME, avaient des motivations sordides. Il s’agissait de profiter du » conflit » avec le Sénégal pour tenter de « dénégrifier » le pays, car le taux d’accroissement important des Négro-africains est devenu une hantise, au point que tous les résultats des recensements démographiques (par ethnie) sont tenus secrets et ce depuis 1960 !
Il s’agissait aussi de saisir cette occasion pour faire passer enfin une réforme foncière qui rencontrait une forte résistance en milieu Négro-africain, pour servir des intérêts inavoués. La déportation justement, permit de redistribuer la terre, et les terres de ces réfugiés en exil forcé au Sénégal, comme s’ils ne devaient plus jamais revenir ! Il s’agissait enfin de frapper les esprits en sévissant durement et partout pour intimider afin de décourager à jamais toute velléité de résistance, en décapitant la seule force politique organisée à l´époque que sont les FLAM, de manière à neutraliser l’avant garde éclairée de la contestation du projet hégémonique.
Dans le feu des évènements allait surgir une quatrième raison: récupérer le bétail peulh ( 150. 000 bovins ) pour compenser les pertes matérielles subies par les maures rapatriés du Sénégal. Pour se venger du Sénégal voisin, les autorités mauritaniennes allaient se rabattre sans remords, sur ses propres citoyens qu’elles spolièrent et dépossédèrent pour les chasser ensuite comme des « vulgaires étrangers ». Quelle ignominie !
Et dire que l’Afrique se tait devant ces actes barbares! Et qu’à côté, on garde un silence, à la limite de la complicité. Mais revenons après cette digression que j’ai crue utile, au fil chronologique de notre marginalisation.
Ainsi donc, au fil des années et des régimes guidés par un même projet, la discrimination raciale allait s’accentuer, pour s’afficher violemment dans les années 80. Si avec les premiers régimes, un peu plus futé, elle fut feutrée, le règne du colonel Taya qui, lui, ne s’embrassera pas de scrupules, les Négro-africains passeront de l’état de marginalisation à l’exclusion totale ouvertement déclarée, dans laquelle, il faut replacer les déportations évoquées plus haut. Le colonel Taya allait, le premier, donner le cadre juridique de notre élimination par une constitution qui allait imposer désormais la langue arabe comme SEULE LANGUE OFFICIELLE. Mesure certainement légitime pour la communauté arabo-berbère, mais injuste pour les négro-africains de l’aveu même de Hamid El Mauritanyi connu sous le nom de Mohamed Ould Cheikh ancien Ministre de la défense de Daddah, il disait : » vouloir que ceux qui savent à quoi s’identifier abandonnent leurs valeurs propres pour être embrigadés dans l’aventure de ceux qui se cherchent une identité est non seulement de l’arbitraire, mais il s’agit d’une politique culturelle imbécile ».
Les plans d’ajustements structurels du FMI arrivant à point nommé, servirent pour vider l’administration des Négro-africains, surtout. Résolu, par une répression physique et mentale féroce, sans tergiverser comme ses prédécesseurs, Taya allait, à marche forcée, consolider le système et afficher l’option désormais déclarée d’une Mauritanie EXCLUSIVEMENT ARABE. » la Mauritanie n’est pas en voie d’arabisation c’est un pays Arabe » devait-il déclarer à Jeune Afrique en Janvier 1990.
J’avais besoin de ce détour pour montrer les conditions prévalant en Mauritanie, à la veille des fameuses démocratisations, pour que l’on comprenne que la Mauritanie n’a pas été et n’est pas comme les autres pays africains que balaie le vent démocratique.
Ici, on a à faire à une minorité qui, pour pérenniser son pouvoir abuse de l’Etat et use d’une politique à soubassement idéologique pour assimiler et asservir les autres composantes culturelles, une minorité qui confisque le pouvoir depuis plus de 50 ans, qui ne veut ni en partir, ni le partager. Le contexte dans lequel arrivent notre «démocratie » est celui-là!
Notre « démocratie » arrive donc et se plaque sur cette triste réalité qu’elle recouvre, intacte, sans rien changer, se muant ainsi en une « Démocratie raciale », à la manière de l’antique Afrique du sud; il suffit de gratter un peu pour découvrir derrière le racisme le plus hideux, l’exclusion la plus brutale, l’esclavage le plus primaire.
Maintenant vous pouvez comprendre pourquoi les Négro-africains se plaignent ( légitimement ) de leur « Démocratie » pas comme les autres. Nous ne nous sentons pas concernés par cette pseudo-démocratie qui nous exclut, nous avons cessé de croire en notre » Etat « , on a fait de nous des spectateurs passifs du jeu de compétitions électorales réservées aux citoyens à part entière. Nous sommes, nous Négro-africains au stade où nous luttons pour notre survie, pour notre reconnaissance en tant que citoyens, en tant qu’hommes simplement, dans un milieu hostile où l’homme voue l’homme au racisme et à l’esclavage.
Notre « Démocratie » est assise sur la tête qu’il faut redresser. J’ai le sentiment qu’on a mis les charrues avant les bœufs, et qu’il n’est pas encore trop tard pour bien faire. Il est temps de comprendre que l’exclusion est en soi économiquement mauvaise, socialement corrosive, politiquement explosive. Comprendre qu’une » Nation dispersée, battue, humiliée peut (heureusement) toujours se rebeller contre son sort et revenir à la vie ».
Tentons dès à présent de sortir de ce cul de sac qui, tout le monde le sait, ne mène nulle part. Pour en sortir, il faut à mon avis, une attitude, un climat et des conditions.
Une attitude courageuse d’ouverture sincère et de reconnaissance du problème de fond. Un climat de décrispation sociale grâce à un train de mesures positives à l’endroit de tous ceux qui, victimes et blessés dans leur chair, ont subi des préjudices matériels et moraux. La sanction des crimes commis pour rendre leur dignité aux victimes, à leurs veuves et à leurs enfants.
Je crois qu’il faut se parler car ce formidable potentiel de révolte enfouie commence à gronder. Il serait erroné de croire que toutes ces années de calme plat pouvaient exclure toute éventualité de soulèvement populaire. Après seulement ce forum dont les conclusions pourraient éventuellement être soumises au peuple, comme l’ont proposé les FLAM en 1986 à travers « Le Manifeste du Négro-mauritanien opprimé », on aborderait enfin la phase d’une véritable démocratisation.
Il est urgent me semble-t-il de tirer tous les enseignements des cas dramatiques du Rwanda du Burundi, du Congo, de la Côte d´Ivoire et du Soudan pour paraphraser un écologiste je dirais : NOUS N’AVONS QU’UNE MAURITANIE NE L’ABIMONS PAS!
La lutte continue!
Kaaw Touré -Porte-parole des Forces Progressistes du Changement (ex-FLAM).
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