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Mauritanie: «Non, je n’ai pas trahi Mohamed Ould Abdel Aziz», affirme le président Mohamed Ould Ghazouani

Mohamed Ould Ghazouani assure qu’il n’a pas « trahi » son prédécesseur Mohamed Ould Abdel Aziz, en prison depuis le 22 juin pour détournement présumé de fonds publics. Deux ans après son élection, l’actuel président mauritanien s’exprime aussi sur l’allègement du dispositif Barkhane et sur le coup de force en Tunisie. À Nouakchott, le chef de l’État mauritanien répond aux questions de Christophe Boisbouvier de RFI et de Marc Perelman de France 24.

Marc Perelman : Monsieur le président, je vais commencer par la situation en Tunisie. Il y a quelques jours, le président Kaïs Saïed a décidé de limoger son Premier ministre, de suspendre le Parlement. Alors une question toute simple, est-ce qu’à vos yeux, il s’agit-là d’un coup d’État ?

Mohamed Ould Ghazouani : Nous suivons avec beaucoup d’attention la situation en Tunisie. J’ai eu même à m’entretenir personnellement, au téléphone, avec le président Kaïs Saïed. C’était pour nous enquérir de la situation du moment et pour avoir une idée qui nous vient des Tunisiens directement, surtout du président de la République. Les explications que j’ai entendues du président décrivent une situation de blocage à laquelle il a dit qu’il est en situation de faire face depuis un certain temps et qu’il se trouvait dans cette situation qu’il a dû essayer de débloquer, autant qu’il se peut, et que la situation que vit la Tunisie est une situation de pandémie. Vous connaissez bien le niveau de propagation de la pandémie en Tunisie. Et cette situation est ainsi et le président a bien voulu m’expliquer qu’il était dans une situation de blocage à laquelle il fallait faire face et que les moyens constitutionnels étaient là, qu’il s’agit bien de cet article 80 de la Constitution tunisienne.

M.P. : Est-ce que, lors de votre conversation, vous lui avez apporté votre soutien ? Est-ce que vous lui avez dit : « je comprends ce que vous faites parce qu’il y avait une situation de blocage » ou est-ce que vous lui avez dit, comme beaucoup de chancelleries occidentales notamment, qu’« il faut revenir au plus vite à l’ordre constitutionnel » ?

J’ai dû comprendre de la bouche du président que lui-même était un professeur de droit constitutionnel et qu’il ne risquait pas de commettre des fautes, c’est-à-dire agir en dehors de la Constitution, et que l’article 80 de la Constitution tunisienne lui confère bien le droit ou le pouvoir, plus exactement, de mettre en veille le Parlement tunisien pendant un mois, et que, pour cela, il y a effectivement des démarches ou des mesures à prendre. C’est le fait d’informer aussi bien le président de l’Assemblée nationale, ainsi que le Premier ministre, et il dit avoir pris toutes ces mesures.

M.P. : Vous lui faites confiance, en deux mots ?

C’est plutôt aux Tunisiens qu’il faut poser la question de faire confiance à leur président.

M.P. : Au Mali, au Burkina Faso, il y a de nombreuses voix qui s’élèvent y compris au sommet de l’Etat pour dire qu’il faut dialoguer avec les leaders jihadistes. On pense à Iyad Ag Ghali, à Amadou Koufa. Quel est votre avis sur la question ?

Je n’ai jamais appris qu’au niveau des Etats, cette approche est préconisée.

M.P. : Il y a l’ancien Premier ministre de Transition malien qui l’a dit. On a entendu des personnes haut placées au Burkina Faso qui disent : « On ne peut pas se battre éternellement, il faut dialoguer ».

Vous savez, nous, nous respectons, pour les Etats, leur volonté et leur souveraineté. En ce qui concerne le fait de partager ou non une approche, il me semble que chacun est souverain de pouvoir…

M.P. : Vous, votre position personnelle ?

Nous, on n’a pas dialogué avec des terroristes. On n’a pas annoncé qu’on a l’intention de le faire.

Christophe Boisbouvier : La Mauritanie a été relativement épargnée par le terrorisme, heureusement, ces dix dernières années. Est-ce précisément parce qu’il y a peut-être eu un pacte de non-agression avec certains groupes jihadistes ?

J’entends souvent des allusions de ce genre. Je ne connais personne, surtout je ne connais pas de pays qui ne souhaitent pas être en sécurité. Sur ce plan, nous disons, dieu merci, que nous sommes en sécurité. Mais je pense que la question qui devait plutôt être posée est : à quel prix vous êtes dans cette situation ? Le prix est là. Nous le payons. Nous avons depuis le début compris que cette problématique de sécurité est indispensable. Rien ne peut se faire sans être en sécurité. Il n’y a pas de développement dans l’insécurité. Il fallait faire de la sécurité la priorité.

C’est vrai, cela nous a coûté très cher en privilégiant la sécurité aux dépens de certains départements ou de certains secteurs sociaux, notamment principalement la santé, l’éducation, les aspects sociaux. Et nous nous sommes investis de telle sorte à ce que nous puissions être en mesure de nous défendre.

Aujourd’hui, au moment où je vous parle, nous sommes sur 2 300 kilomètres de frontières avec le Mali, sur 400 kilomètres et quelques avec l’Algérie, et tout cet espace-là est un désert dans lequel les groupes terroristes peuvent évoluer comme ils le veulent, alors que nous, nous avons construit des bases le long de toutes ces frontières, nous avons des unités qui circulent et qui quadrillent en permanence, de jour comme de nuit, nous avons des avions équipés de moyens d’observation qui font des reconnaissances et qui travaillent beaucoup sur ça. Nous avons d’autres moyens pour surveiller toutes les activités qui peuvent entraîner une insécurité chez nous. Donc, c’est un effort. Et nous nous félicitons effectivement du fait que notre effort a permis de nous mettre dans une situation, dans la situation où nous sommes.

M.P. : Vous parliez du nord du Mali. La France a annoncé que l’opération Barkhane allait être reconfigurée mais aussi réduite, en termes de nombre de troupes, à la moitié des effectifs d’ici 2022. Plusieurs bases militaires françaises dans le nord du Mali doivent être fermées dont celle de Tombouctou qui n’est pas si loin de la Mauritanie. Est-ce que vous craignez que cette zone, que vous avez-vous-même définie comme étant une zone de danger, soit à nouveau reprise par les jihadistes et donc vous menace à nouveau directement ?

Je vais vous dire ce que je pense par rapport à ça. Je sais que ça peut diminuer, effectivement, la maitrise de la situation sur cette zone qui est déjà suffisamment fragile, mais j’ai confiance en la volonté de la France qui a accompagné le G5 depuis 2012 ou 2011, depuis son opération Serval qui a été remplacée par Barkhane.

L’accompagnement et le partenariat avec la France dans cet aspect sécurité du G5, cela a servi à beaucoup de choses. Et les résultats qui ont été déjà obtenus sont positifs. Je pense que la France qui y est pour quelque chose dans ces résultats obtenus, ne risque pas de compromettre ce qui est déjà fait.

C.B. : Et pour que cette lutte anti-jihadiste soit plus efficace, est-ce qu’il ne faudrait pas que le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) monte aussi des opérations conjointes avec l’armée algérienne ? Est-ce qu’il ne faudrait pas que les renseignements du G5 partagent leurs informations avec les renseignements algériens ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur l’importance du rôle joué par l’Algérie, du fait que l’Algérie est là. L’Algérie partage des frontières avec trois pays du G5. Cette proximité est quand même importante. Elle doit être prise en considération dans le cadre de la lutte contre le terrorisme dans notre sous-région.

M.P. : On va passer à la situation en Mauritanie. Votre prédécesseur, le président Mohamed Ould Abdel Aziz, a été inculpé au mois de mars pour « corruption », « blanchiment d’argent », « enrichissement illicite ». Il est écroué depuis un peu plus d’un mois. Il vous accuse directement d’être l’instigateur de ses démêlés avec la justice pour des raisons purement politiques…

Il est actuellement entre les mains de la justice. Je n’aurais pas grand-chose à ajouter à cela parce que je préfère ou je m’impose de ne pas me mêler des affaires de la justice.

C.B. : Vous parlez de cette enquête parlementaire. On a remarqué qu’elle a démarré en janvier 2020, quelques semaines après que votre prédécesseur eut tenté de reprendre le contrôle du parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR). Est-ce que la coïncidence des dates n’est pas troublante quand même ?

Non, je ne vois pas en quoi cela est troublant. L’UPR est un parti effectivement. C’était l’outil politique du pouvoir en place. Il s’agit comme n’importe quel parti d’un certain nombre d’hommes et de femmes. Je ne pense pas qu’on puisse s’approprier un parti et considérer que c’est un objet. Le parti est composé d’un directoire, de militants. Ce sont des personnes. Ils prennent des positions là où ils le veulent. Je ne pense pas du tout qu’on peut lier ces deux évènements.

C.B. : Mais vous n’avez pas apprécié le fait que votre prédécesseur ait voulu reprendre le contrôle de ce parti,  alors ?

Non. Je vous dis, c’est le directoire du parti, et ce sont les députés du parti, peut-être qu’ils n’ont pas apprécié. Au contraire, j’avais beaucoup contribué à calmer cette population aussi bien au niveau du parti qu’au niveau du Parlement.

C.B. :  Et votre prédécesseur affirme que les députés qui ont lancé cette enquête parlementaire ont été soudoyés par des membres influents de votre entourage dans le but que cette enquête soit ouverte ? Qu’est-ce que vous lui répondez ?

D’abord, je ne l’ai jamais appris comme ça. Je défie quiconque de dire qu’il a été soudoyé pour prendre une position, parce que je connais bien la situation. Je sais que j’avais fourni beaucoup d’efforts justement pour calmer cette situation. Donc, il n’y avait pas besoin de soudoyer quiconque. S’ils devaient être soudoyés, c’est pour calmer.

M.P. : Monsieur le président, quand on lit ce rapport d’enquête parlementaire, on a l’impression qu’il y a une véritable entreprise de prédation, de népotisme sur l’argent public. Est-ce que cela vous a choqué ?

Je vous assure que je n’ai jamais lu cela.

M.P. : Vous n’avez jamais lu ce rapport ?

Je vous assure que je n’ai jamais lu ça.

M.P. : Vous en avez entendu parler quand même ?

Oui, j’ai entendu parler de cela.

M.P. : Cela vous a surpris, certaines choses vous ont surpris ?

En réalité, ce n’est pas la peine de vous dire ce que j’ai pensé de tout cela, parce que j’ai considéré que c’était un dossier qui se trouvait à deux niveaux pour lesquels je n’étais pas concerné. Tout d’abord, le Parlement. Et par la suite, la justice.

M.P. : Mais quand même, vous étiez son ami de 40 ans, son plus proche lieutenant. Beaucoup de gens se disent que, quand ils lisent tout cela, vous ne pouviez pas ignorer tout cela ? Vous deviez être au courant de ce qui se passait quand même ?

J’avais d’autres choses à faire.

M.P. : Vous ne vous êtes jamais douté de tout ce qui se passait ?

Non, non. Je ne me suis jamais douté. Effectivement, pour revenir un peu à ça, je peux vous dire que, en tant que personne mais pas en tant que président, j’ai été bien surpris par ce qui a été révélé dans ce rapport.

M.P. : Vous n’avez pas senti, de sa part, peut-être une façon de vous prendre comme son éternel second, une sorte peut-être de mépris à l’égard de ses proches ?

Non. Il y a beaucoup de choses qui m’ont surpris dans tout ce qui s’est passé, pour vous parler franchement. Je ne pensais pas qu’on pouvait se trouver dans une telle situation. Mais une fois que c’est arrivé, je crois que… là aussi, il faut la vivre.

C.B. : Vous êtes amer quand même ? Vous êtes déçu ?

(silence)

M. P. : Vos yeux parlent pour vous…

Laissez-les parler, ce sont mes yeux quand même (rires)

M.P. : En juin 2019, il fait campagne pour vous. Il dit que vous l’avez trahi. C’est un mot fort pour quelqu’un comme vous…

Non, je dis que je ne l’ai pas trahi.

M.P. : Et lui, vous a-t-il trahi ?

Posez-lui la question.

C.B. : Et si jamais, l’ancien président restitue une partie des biens mal acquis qu’il aurait éventuellement obtenus, est-ce qu’il pourrait échapper à un procès ?

Il ne me revient pas de prendre des décisions, de prendre des positions par rapport à cela. Je considère que, depuis que le dossier est entre les mains de la justice, il vaut mieux attendre que la justice tranche dans un sens ou dans l’autre.

M. P. : Le président Aziz a renoncé à un troisième mandat et, aujourd’hui, il est en prison. Se pose la question de savoir : est-ce que ça n’est pas le meilleur argument pour les présidents du continent ou d’ailleurs qui veulent s’accrocher au pouvoir ? En d’autres mots, ils se disent : « Si je pars, je risque de finir derrière les barreaux »…

Oui, j’ai un peu déjà entendu cette interprétation. Moi, je crois que ceux qui s’accrochent, qui veulent s’accrocher au pouvoir et ne pas accepter d’alternance, n’ont pas besoin de situation comme ça pour justifier. Ceux qui veulent considérer que l’alternance est nécessaire ne seront pas plombés par le fait que quelqu’un pourrait comparaître devant la justice pour être interrogé sur certaines choses.

► Cette interview est à écouter en intégralité en version sonore.

 

Source : rfi

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