Marathon parisien pour Mark Zuckerberg ! Sous le feu de nombreuses critiques pour le rôle que son réseau social a joué dans les élections aux États-Unis, mais aussi à Singapour, en Inde ou au Brésil, le créateur de Facebook est venu à Paris, les 9 et 10 mai, où il a tenu, lors d’un entretien avec Emmanuel Macron, à rassurer sur le rôle qu’allait jouer Facebook dans les prochaines élections européennes. Les deux hommes avaient déjà émis une déclaration de bonnes intentions l’an dernier. Et cette rencontre était d’importance, moins d’un mois après la tuerie de Christchurch qui, retransmise sans filtre durant 17 minutes sur le réseau social, a marqué les esprits.
« La France peut inspirer le reste de l’Europe »
Le Point.fr, invité ce vendredi après-midi à une table ronde chez Facebook France en présence de Nick Clegg, l’ancien vice-Premier ministre britannique devenu vice-président des affaires publiques du réseau social aux 2,32 milliards de membres, a pu recueillir les premières impressions de Mark Zuckerberg quelques heures après sa rencontre avec le chef de l’État. Le numéro un de Facebook, costume noir et cravate bordeaux, s’est montré préoccupé par l’immense responsabilité qui lui incombait, notamment la faiblesse dont a tiré parti Cambridge Analytica pour effectuer et accentuer un profilage des électeurs. Il était aussi optimiste, volontaire et… surprenant. « Nous voulons relever les grands problèmes de société dans lesquels Facebook joue un rôle-clé : cela va de la protection de la liberté d’expression à la lutte pour la sécurité des internautes et contre les interférences dans les élections. »
« Nous avons besoin des gouvernements »
Comment faire alors ? « Nous voulons trouver un équilibre entre davantage de vie privée et la portabilité des données, tout en continuant à encourager l’innovation dans un contexte compétitif. Il est clair que nous pouvons faire beaucoup de progrès. Je suis fier de ce que nous avons accompli. Mais il y en a encore beaucoup à faire. » De quelle manière agir ? « Nous pouvons renforcer les règles. Mais déterminer quelles paroles sont acceptables ou pas doit aussi être défini par les gouvernements. C’est ce que nous avons commencé à faire en France. Et nous avons été impressionnés par la manière réfléchie et diligente avec laquelle la France a saisi les défis à relever en matière de terrorisme, de discours haineux ou encore de cyberharcèlement. » Quid du RGPD, le règlement européen relatif à la protection des données, qui apparaît particulièrement contraignant ? « J’aimerais qu’il soit adopté par davantage de pays. »
« Cela va être dur pour nous. Il y aura des choses avec lesquelles je ne serai pas d’accord. C’est naturel »
Il est donc temps de dresser un mini-bilan, un an après la dernière venue de Mark Zuckerberg à Paris. Depuis, le réseau social a accepté d’accueillir une mission d’experts, dirigée par l’ex-directeur général de l’Arcep Benoît Loutre. Il a également été question d’un projet de loi qui sera prochainement porté par la députée Laetitia Avia. Il devrait prévoir un changement de statut pour les réseaux sociaux permettant de les sanctionner par de lourdes amendes en cas de non-retrait des contenus haineux en moins de 24 heures, comme le font déjà les Allemands. « Et je me sens encouragé et optimiste sur le cadre législatif qui va être mis en place. Cela va être dur pour nous. Il y aura des choses avec lesquelles je ne serai pas d’accord. C’est naturel. Mais je suis très optimiste », explique le créateur de Facebook, qui aimerait plutôt que la suppression pure et simple limiter la viralité des contenus haineux. Impossible en tout cas pour Mark Zuckerberg de passer outre cette réflexion. « Elle est nécessaire pour que les gens fassent confiance dans Internet en général, et cela de manière durable. D’ailleurs, la France, qui se montre réfléchie et diligente sur ces questions, peut inspirer les autres pays dans l’Union européenne, et le nouveau Parlement qui sera en place. »
Parlementaires et brasserie parisienne
Mark Zuckerberg n’élude rien des défis qu’il doit relever. « Nous pouvons faire beaucoup en tant qu’entreprise. Mais pour déterminer ce qui est acceptable ou non sur notre plateforme, nous avons besoin des gouvernements », explique celui qui, durant cette journée du vendredi 10 mai, a déjeuné avec plusieurs parlementaires français, dont Laure de La Raudière (Agir, la droite constructive), Paula Forteza (LREM), Éric Bothorel (LREM), tout comme le secrétaire d’État Cédric O. « Ils ont compris les enjeux liés au terrorisme, aux discours de haine et la violence. On observe dans le monde entier des réponses aux détournements des réseaux sociaux. Cela se fait de manière plus ou moins autoritaire. Je pense que dans les années à venir, de plus en plus de pays vont suivre ce que votre pays a fait. Et cela en résultera par quelque chose de positif. » L’entrepreneur voit donc ici une nouvelle opportunité de réfléchir à un nouveau partage des rôles entre l’entreprise et l’État.
Dialogue entre le pays de la liberté d’expression et celui des droits de l’homme
Les propositions de la mission Loutrel, sur la responsabilisation des réseaux sociaux, étaient également au programme du voyage-éclair du créateur de Facebook. « Je suis pour qu’une bonne régulation soit mise en place », a expliqué celui qui a récemment dîné au Petit Vendôme, répétant : « Bien sûr, il y a des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Mais je suis optimiste. » Mark Zuckerberg est-il sincère ? « Mark a fait un grand travail sur lui-même. Il a bien conscience que la balkanisation d’Internet, qui a donné naissance à un Internet chinois et russe, n’est pas souhaitable et doit conduire à une réflexion globale », explique Nick Clegg, qui poursuit : « L’époque où la Silicon Valley pouvait dire les gouvernements, nous n’avons pas besoin de vous est révolue. D’ailleurs, à environ 15 ans, Facebook semble être définitivement entré dans l’âge de raison. Le dialogue inédit et très intéressant entre le pays de la liberté d’expression, les États-Unis et celui des droits de l’Homme, la France, pourra inspirer le monde entier. »