( par Tiébilé Dramé)
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1961, à 1h15 minutes, un Ilyouchine 18 de la compagnie Czech Airlines s’écrasa dans le petit village de Bouskoura, à une dizaine de kilomètres au sud de Casablanca ( Maroc). Des soixante douze (72) passagers et membres d’équipage, il n’y a pas eu un seul survivant.( le Monde, 13 juillet 1961). Parmi les victimes, Mamadou Seïba N’Diaye, secrétaire général de la Jeunesse de l’Union soudanaise- RDA (JUS-RDA) de Nioro du Sahel. Il rentrait d’une mission de trois semaines à Prague en République socialiste de Tchécoslovaquie. La nouvelle de l’accident fit l’effet d’une bombe à Nioro du Sahel et dans le pays.
Outre Seïba N’Diaye, d’autres personnalités maliennes figuraient parmi les victimes: le député Famolo Coulibaly, élu à Kolokani et Thira Diarra, membre du bureau national des femmes de l’USRDA, sœur de Idrissa Diarra, secrétaire politique de la direction de l’US-RDA et de Oumar Baba Diarra.
En cette aube de l’indépendance marquée par un grand enthousiasme pour l’édification du jeune État malien, beaucoup fondaient de l’espoir sur le dynamique et charismatique leader de la jeunesse nioroise qu’était Seïba N’Diaye.
D’autres espoirs africains ont été fauchés, à la fleur de l’âge, lors de l’accident de Bouskoura:
- Abdelhafid Ihaddaden, militant du Front de libération nationale ( FLN), ingénieur nucléaire algérien né en 1932 à Sidi Aïch qui rentrait au pays avec huit autres jeunes à la fin de leur formation; ( » les héros ne meurent pas », le Quotidien d’Algérie, 3 octobre 2020);
- Facely Kanté, virtuose guinéen, directeur artistique des « Ballets africains » dont le fondateur était Fodéba Keïta. Facely Kanté est né en 1922 à Kissidougou au sud de la Guinée. Mory Kanté qui a fait ses débuts au Motel de Bamako avec les Ambassadeurs est de la famille de Facely Kanté. Le célèbre chansonnier béninois, G. G. Vikey, a célébré ainsi l’artiste guinéen après l’accident de Casablanca: « sa guitare sous le bras, Kanté Facely fit le tour du monde. Il a chanté l’Afrique et sa Guinée natale »( G. G. Vikey).
L’immense Keïta Fodéba ( exécuté en mai 1969 au Camp Boiro, Conakry) a rendu ainsi hommage à Facely :
» C’est en 1944 à Saint-Louis du Sénégal où j’étais instituteur, que j’ai connu Kanté Facély. Un soir, au cours d’une promenade avec des amis sur le Pont N’Dar-Toute, j’ai rencontré un joueur de guitare solitaire qui était encore à ses débuts et qui s’exerçait sur des airs guinéens que je connaissais. C’était Kanté Facély… Vite, nous avons fraternisé pour devenir des amis qui se retrouvaient tous les soirs dans mon petit logement de la rue Blaise Dumont pour jouer des airs de chez nous, des airs de Guinée.
Ensemble nous créâmes d’abord un orchestre “Sud Jazz”, qui regroupait tous les musiciens originaires des pays africains du Sud. Cet orchestre, dont Facély était le principal animateur avait pour but de faire connaître au Sénégal les immenses ressources de la musique folklorique des pays du Sud, depuis la Casamance jusqu’au Cameroun. Plus tard, nous devions créer toujours ensemble, avec la collaboration de la Jeunesse St-Louisienne, une troupe artistique dénommée le Progrès. Et c’est grâce aux immenses possibilités artistiques de Facély que j’ai pu, à ce moment-là, écrire “Minuit” et un peu plus tard “Aube Africaine” dont la musique a été inspirée et exécutée par lui. En 1948, c’est avec beaucoup de peine que je quittais mon frère Facély pour la France. A Paris, je devais retrouver des amis de l’École Professionnelle Supérieure, Touré Ismaël, Conté Saidou et Diop Alassane, qui m’aidèrent à faire venir Facély en France pour créer ensemble une troupe qui devait devenir les Ballets Africains dont le Comité directeur était, dès le début, composé de Facély, Touré Ismaël, Conté Saidou, Aw Amadou, l’actuel ministre des Travaux Publics du Mali et de moi-même. C’est ainsi que dix années durant, Kanté Facély a été l’âme des Ballets Africains dont il était le directeur artistique.
Facély n’était pas seulement pour moi un collaborateur, c’était un ami désintéressé et un frère. Sa contribution à l’Art africain est immense quand on sait qu’il a été le premier à graver sur disque un riche répertoire de chants africains, magnifiant en un moment où cela était difficile, les grandeurs du passé africain et incarnant par conséquent les plus dignes sentiments patriotiques.
L’Art africain perd donc en Kanté Facély un de ses pionniers et personnellement je me dois de lui rendre hommage sincère et ému en précisant que tout ce que j’ai pu faire sur le plan artistique, je le dois à lui, à lui mon frère Kanté Facély » ( Journal Horoya du 22 juillet 1961).
L’ACCIDENT DE BOUSKOURA :
Le plan de vol était: Prague-Zurich-Rabat-Conakry -Bamako.
L’Iliouchine Il-18 était neuf et ne comptait que 200 heures de vol.
Parti le 12 juillet 1961 de Prague, après l’escale de Zurich, l’avion se dirige sur l’aéroport de Rabat-Salé.
» En raison du brouillard il fut dérouté sur Casablanca, puis sur le terrain de la base de Nouaceur. C’est peu après avoir pris contact avec la tour de contrôle de cet aérodrome que l’accident se produisit.
L’appareil volait à très basse altitude et préparait son atterrissage. D’après les premières constatations, gêné par la mauvaise visibilité, il heurta le réseau de câbles à haute tension qui borde la route entre Casablanca et El-Jadida (anciennement Mazagan). L’Ilyouchine explosa en vol. Sous le choc deux pylônes en béton ont été abattus et deux pylônes métalliques tordus. Les sauveteurs découvrirent les débris de l’appareil éparpillés sur une centaine de mètres près du petit village de Bouskoura, à une dizaine de kilomètres au sud de Casablanca.( le Monde du 13 juillet 1961).
Une étoile filante dans le ciel de Nioro du Sahel
Seïba N’Diaye était une belle promesse au sein de l’ élite nioroise .
» Mais voyons de celui qui fut le secrétaire général de la Jeunesse, les traits caractéristiques.
D’un naturel gai et très sympathique, Séiba, de bonne heure, avait conquis l’affection de ses camarades sur lesquels il exerçait un ascendant sans cesse croissant grâce au cumul de certaines qualités qui faisaient de lui un dirigeant de premier ordre.
Sa foi ardente dans les destinées de notre République, son courage indomptable, son énergie virile, lui permirent de promouvoir une action dynamique au sein de la jeunesse de Nioro » ( l’Essor du 21 juillet 1961).
Seïba N’Diaye a été arraché à l’affection de sa famille, de sa ville et de son parti ( US-RDA) à l’âge de 27 ans.
L’annonce de l’accident d’avion et de sa mort a plongé la ville de Nioro dans un effroi indicible et une vive émotion. Le chef de la jeunesse était apprécié pour son enthousiasme qu’il savait communiquer, sa disponibilité et son don de soi .
Seïba naquit en 1934 à Kayes, où son père, Bakari N’Diaye ( 1900-1959), originaire de Bakel, dans le Gadiaga sénégalais, s’était installé et exploitait un commerce avant d’être recruté par l’Adminstration coloniale comme Interprète ( Anthioumane N’Diaye, février 2025).
Sa mère, Assa Coulibaly, était la fille de Kouyé Garan qui était le représentant à Kayes du chef de canton de Diabé, une des métropoles massassi du Kaarta ( Moriba C, février 2025).
Affecté à Nioro en 1935, Bakari N’Diaye s’installa dans la cité sahélienne avec son épouse et son jeune enfant, Seïba. Dès la création de l’US-RDA en octobre 1946, Bakari N’Diaye en devint membre (l’Essor , 21 juillet 1961).
Seïba N’Diaye commença ses études à l’école primaire de Bakel jusqu’au CM1 quand il transféra à Nioro où il fut admis au Certificat d’études primaires (CEP) ( l’Essor du 21 juillet 1961).
Recruté comme commis par la CFAO ( maison française de commerce), il a rejoint la SMDR ( société mutuelle de développement rural) dès 1961 comme comptable. (L’Essor, 21 juillet).
Il a été le tout premier secrétaire général du comité des jeunes de l’US-RDA en 1956. Lors de la conférence de février 1961, il a été reconduit dans ses fonctions. Ses frères étaient : Samba, Souleymane dit » Grec », Anthioumane, Yacouba et Moriké, Lenmané et Soumboulou N’Diaye étaient ses sœurs. Son épouse, Houlèye Maguiraga, est la fille du célèbre maître d’école, Fodié Maguiraga qui donna son nom au lycée de Nioro. Leurs enfants sont N’Diaye Lenmané et Bakari N’Diaye dit Papa (homonyme du père). Ses camarades à Nioro étaient :
Moussa Touré ( Néné Baba), Baba Traoré, Ben Bouillé Haïdara, Moussa Konaté, Michel Comte ou Baïdy Traoré.
C’est le 17 juin 1961 qu’il quitta Nioro pour Bamako où il a fait partie d’une délégation l’US-RDA devant se rendre en Tchécoslovaquie. Seuls Famolo Coulibaly, NThira Diarra et Seïba N’Diaye ont pu embarquer à bord de l’avion du retour. Faute de place, les autres membres de la délégation ont dû attendre.
Après l’accident de l’Ilyouchine , dans la nuit du 12 au 13 juillet,
Moussa Diabaté, secrétaire politique du comité exécutif des jeunes de Nioro parla ainsi de Seïba: « il lutta farouchement contre l’adversaire politique et l’administration colonialiste d’alors. Militant convaincu, son unique souci était le triomphe de son parti. Travaillant avec opiniâtreté, ne reculant devant aucun obstacle, il a su mériter la confiance et l’estime de tous ses camarades.
Dans les réunions politiques, tout mot qui sonnait mal glissait sur sa mémoire et rien d’impur ne s’y fixait.
S’irriter, s’emporter, imposer son vouloir, tout cela lui était inconnu.
Apôtre de l’unité et respectueux des grands principes de l’Union Soudanaise – R.D.A., il s’efforça de semer l’entente parmi la jeunesse et l’obtint facilement car il avait l’équité naturelle et l’indulgence innée.
Ses aînés le voyant clairvoyant et pacifique, trouvaient en lui un compagnon d’armes et un disciple rêvé.
Inattendue comme un coup de foudre tombé du ciel bleu, la mort l’emporte à l’aube du mercredi 12 juillet 1961.
Soldat malien, il avait reçu mission d’aller s’informer en Tchécoslovaquie dans le but d’améliorer son pays grâce à l’expérience d’autrui.
Il use donc en tombant du droit d’être un héros.
Son souvenir restera éternellement gravé dans tous les cœurs maliens. A sa mère, à sa veuve éplorée, à ses enfants, à ses frères et sœurs, à tous ceux qui lui étaient chers, la Jeunesse de Nioro du Sahel adresse ses condoléances les plus émues et prie pour que le Dieu de la Terre et du Ciel ait son âme et qu’il dorme en paix » ( l’Essor du 21 juillet 1961). Soixante quatre années après sa disparition tragique, Seïba N’Diaye reste un exemple pour les jeunes générations nioroises et maliennes.
Que son exemple continue d’inspirer.
TD
Source : Le Républicain