La communication des gouvernants français sur les militaires « morts pour la France » au Mali … du fait d’une collision de deux hélicoptères (donc possiblement d’une banale faute de pilotage) sera-t-elle suffisante pour détourner l’attention des citoyens sur les résultats de leurs initiatives au Mali ?
En 2013 F. Hollande a saisi l’opportunité tirée d’une attaque imminente de Bamako par une petite armée djihadiste. Il a obtenu du président intérimaire du Mali, l’autorisation d’envoyer des troupes sur le sol malien. Les Français ont donc fait un double bon coup. Ils apparaissaient comme des sauveurs et ils faisaient pénétrer des troupes sur un territoire (peu, pas et en tous cas mal gouverné) regorgeant de ressources de divers ordres.
Puis, les Djihadistes (et les trafiquants) n’ayant pas été suffisamment éliminés, les Français purent continuer à avoir, au dessus du sol, des troupes d’occupation veillant à ce qu’il y avait en dessous. Au nom de la sauvegarde de la démocratie au Mali, et au nom de la sécurité des Français. Autre bonne affaire.
I.
Le problème, c’est que les Français, au moins si l’on en juge par les résultats, n’ont pas été bons.
1. En 5 ans, ils n’ont pas été capables (à moins qu’ils ne l’aient fait exprès) de donner aux militaires maliens les techniques du combat qui leur manquaient, ainsi que la motivation nécessaire.
2. Depuis l’accueil triomphal au Mali de F. Hollande de 2013, les Français ont réussi le tour de force de se faire détester. Sur leur chemin, les Maliens, au lieu de continuer à acclamer les militaires français, brandissent des pancartes qui les invitent à partir, dressent des obstacles dans les rues, et les tiennent pour des troupes d’occupation.
3. Les Français ont avoué qu’ils étaient incapables d’assurer la « sécurité » (1) sur l’ensemble du territoire ainsi que le montrent leurs appels itératifs à de multiples autres Etats. Dont beaucoup refusèrent, spécialement en Europe, peut-être pour ne pas être associés au fiasco et à l’hostilité des populations, d’envoyer des troupes au sol à la rescousse des Français,
4. Et puis, les Français ne peuvent plus compter sur IBK et l’actuelle classe politique malienne. La population malienne est lasse des politiciens au pouvoir qu’elle accuse ou soupçonne de n’avoir de raison d’être que celle de profiter à titre personnel des opportunités de tous ordres, y compris celles tirées du trafic de drogue. Et les hommes politiques maliens qui attendent pour prendre la relève, qu’ils soient partisans du laisser faire-laisser aller, ou qu’ils veuillent que l’Etat régule en vue de l’amélioration du sort des populations, ont ou auront, (parce qu’ils ne pourront aller à l’encontre du souhait populaire), le même slogan : « les Français dehors ! ».
II.
Le problème est se savoir ce que, dans un tel contexte, les gouvernants de la France vont imaginer.
a) Vont-ils laisser les ressources maliennes tomber dans des mains étrangères ? Ce qu’ils peuvent faire en s’appuyant sur les thèses de la mouvance trotskiste qui combat le colonialisme ou le néocolonialisme même si / alors que / lorsque dans le même temps, les Américains (2) se tiennent en embuscade pour prendre la relève. Ou en mettant en œuvre, ce qui aurait le même résultat, le dogme qui a présidé à l’abandon d’Alstom (3).
b) Vont-ils (courir le « risque » de) laisser s’installer à Koulouba un président régulateur qui penserait à son peuple (4), ne signerait pas des contrats léonins, mettrait les exploitants potentiels en concurrence ou développerait ses propres structures extractives, ou qui sortirait son pays de la zone du Franc CFA (5) ?
c) Passeront-ils un « deal » avec l’imam Dicko ? Qui est très populaire, et qui a déjà réussi à faire reculer le gouvernement malien sur certains projets ? Certes l’imam Dicko passe pour être un produit wahhabite, spécialement après qu’il soit revenu de sa formation en Arabie Saoudite. Mais Dicko s’est montré capable de dialoguer avec les Djihadistes. Surtout que d’un point de vue idéologique, il y a peu de différence entre lui et eux. Ce qui laisse espérer que les Djihadistes, grâce à Dicko, accepteront de déposer les armes. Il resterait aux Français à signer un accord avec l’imam sur l’exploitation des ressources. Ce qui n’est pas impossible, parce que la pratique de la Charia a toujours été hautement compatible avec la pratique du business (v. les contrats avec l’Arabie Saoudite). Et, faute de pouvoir envoyer un « Quincy » sur le fleuve Niger ou sur la Seine, les Français pourraient toujours signer l’accord, en fonction du lieu, soit sur une pirogue, soit sur un bateau mouche.
d) Oeuvront-ils, dans l’air du temps, pour céder le contrôle militaire (et économique) du Mali au conglomérat des Etats européens, eux mêmes soumis au leadership américain (6) ? Ou, pour gagner du temps, passeront-ils directement la main à l’AFRICOM ?
A suivre …
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(1) qui ne concerne pas que l’action des Djidahistes : le Nord Mali est une zone sur laquelle prospèrent (depuis longtemps) les trafics et les trafiquants de tous genres et de toutes appartenances. On comprend que les Français qui n’arrivent plus à contrôler la situation dans certaines de leurs banlieues, éprouvent des difficultés à faire mieux dans d’immenses territoires.
(2) Entres autres : si les Américains ont allongé les pistes de l’aéroport de Bamako, il est peu probable que ce soit pour faciliter le mouvement des avions d’Air France.
(3) Il serait intéressant de savoir qui a hérité des cartes du BRGM, et si ces cartes sont – et à qui le cas échéant – vendues.
(4) ce qui, par ailleurs, n’a traditionnellement pas réussi à ceux qui l’ont fait, spécialement dans la sous région, comme Modibo Kéita au Soudan/Mali, ou comme Thomas Sankara au Burkina.
(5) en saisissant les opportunités offertes par les Chinois que l’on voit s’installer. Lesquels, en « dé-dollardisant » leur pays font la preuve qu’ils maîtrisent ces questions et sont capables d’offrir également une solution de rechange au système du Franc CFA.
(6) divers accords organisent une « imbrication » UE (sous inspiration américaine) / OTAN (sous direction américaine) en matière militaire (sommet de Prague de 2002, accords « Berlin Plus » de 2003, etc… etc… ; v. l’article 42 du traité sur l’Union européenne. (Sur toutes ces questions, v. le site de l’Union européenne). Etant entendu que le général américain commandant l’AFRICOM n’a eu besoin, ni du président français, ni des dirigeants européens, pour traiter directement avec IBK et ses ministres le 17 septembre 2019.