Le blogueur Aly Bocoum propose sa sélection de 10 romanciers qui, selon lui, ont marqué la littérature malienne.
Au Mali, comme ailleurs sur le continent, le roman est le genre qui semble avoir le plus attiré les premiers intellectuels. Ce sont les instituteurs qui ont, les premiers, tenté l’aventure, à l’exemple de Fily Dabo Sissoko, avec La Passion de Djimé (1956). Pendant la période qui a vu éclore le mouvement de la négritude, le Mali ne connaissait pas de grands écrivains. En 1968, au moment où le mouvement était à son apogée, Yambo Ouologuem a publié Le devoir de violence, qui a reçu le premier Prix Renaudot africain. Son roman est considéré par l’écrivain Sébastien Le Potvin comme « une entreprise de sape de l’idyllisme de l’Afrique ancestrale et de l’illusion décolonisatrice des nouveaux roitelets en costume cravate ». Cette période sera suivie de celle des écrivains qui, tel Moussa Konaté, font de leur roman un véritable « miroir glissé le long de la société », dont ils dénoncent les tares, les injustices. Benbere propose à lire 10 romanciers qui ont marqué la littérature malienne.
10 – Mohamed Diarra, enquêtes du Commissaire Cègèlen
Aujourd’hui, il est incontestablement le porte flambeau du polar malien. Meurtre sous le pont des indigents (2019), paru chez L’Harmattan, en septembre dernier, et qui clôt sa trilogie romanesque ouvert avec Mystère du tournant (2015) et La fille adoptive du chérif (2016). Ces romans le classent dans le panthéon des auteurs de romans policiers au Mali. A l’instar des figures comme Modibo Sounkalo Keïta, l’auteur du célèbre L’archer Bassari, Mohamed Diarra perpétue la tradition à travers les exploits du Commissaire Cégèlen (homme à poigne) et l’inspecteur Maarouf.
9 – Fatoumata Keïta, trilogie
Lauréate du prix Massa Makan Diabaté de la rentrée littéraire, Fatoumata Keïta est bien partie pour continuer l’œuvre de son auteur préféré. Comme son idole, elle puise dans le fonds culturel mandingue pour ficeler ses intrigues. Sa trilogie Sous fer, Quand les cauris se taisent et Les mamelles de l’amour, aborde la société malienne dans ses mutations et contradictions, sous le prisme de la confrontation de deux mondes : la tradition et la modernité.
8 – Aïda Mady Diallo, Kouty, mémoire de sang
Dommage qu’elle se soit tournée vers le septième art ! Ses lecteurs ne se lasseront néanmoins pas de lire ou relire, Kouty, mémoire de sang (2002). Cette tragédie, vengeance à l’africaine, a valu à la jeune auteure, à l’époque, de figurer dans la prestigieuse collection Série noire de Gallimard. L’actualité du roman est frappante. Les tensions interethniques sur fond de troubles sociopolitiques sont encore monnaie courante au Mali, 20 ans après la première édition du roman.
7 – Seydou Badian, Sous l’orage
Il nous quittés en 2019, après une vie pleine d’engagement. De lui, la postérité retiendra son best-seller : Sous l’orage (1957). Ce roman, devenu un classique, a accompagné la scolarité de nombre d’écoliers du Mali et d’ailleurs sur le continent. Avec du recul, je comprends aujourd’hui que le « mariage n’est pas une plaisanterie ». Et combien il est impérieux de réduire les barrières entre la jeune génération et les anciens. Là réside le mérite du médecin écrivain.
6 – Ismaila Samba Traoré, Les ruchers de la capitale
De l’écriture à l’édition, il n’y a eu qu’un pas. L’auteur des ruchers de la capitale l’a franchi. Depuis près de deux décennies, il préside aux destinées de la maison d’édition La Sahélienne, fondée en 1992. Jigitan ou Les Ruchers de la capitale (1982 puis 2016), qui a fait une entrée remarquée dans le microcosme littéraire malien, s’inscrit dans la critique de l’indépendance et du régime kaki. Il décrit le processus de peuplement d’une banlieue spontanée, où les difficiles conditions de vie des populations les expose aux spéculateurs et aux politiques en mal de soutiens à mobiliser.
5 – Moussa Konaté, polar ethnographique
Prolifique, Konaté nous a légué une riche bibliographie, ses œuvres pour jeunesse, ses essais, etc. Mais ce qui me passionne le plus, ce sont ses intrigues policières. Il a su donner au polar ses lettres de noblesses au Mali, à travers les péripéties du Commissaire Habib et l’inspecteur Sosso. A l’image du génie d’un Hercule Poirot ou encore de Sherlock Holmes, Habib mènera habilement des enquêtes de Tombouctou en passant par le plateau dogon, jusqu’au Mandé, terroir d’origine de l’auteur, Moussa Konaté, où la mort les sépare brutalement au tour d’une mystérieuse Affaire des coupeurs de têtes, à Kita. L’un des mérites des polars de cet écrivain, aussi éditeur (Le Figuier), réside aussi dans la dimension ethnographique : on en apprend beaucoup sur les ethnies, comme dans La malédiction du lamantin (sur les Bozo) et L’empreinte du renard (sur les Dogon).
4 – Ibrahima Ly, Toiles d’araignées
Quand on parle d’Ibrahima Ly, on pense irrémédiablement a son douloureux et magnifique roman Toiles d’araignées (1982). Ce livre, semi-autobiographique, décrit les pénibles conditions de détention sous la dictature de Moussa Traoré. Sans manquer de dresser un portrait au vitriol de la société malienne, dans laquelle société, « l’homme est un loup pour l’homme ». Sa mort prématurée, consécutive aux séquelles de sa longue détention, a privé la littérature malienne de l’un de ses plus beaux espoirs. Les noctuelles vivent de larmes, son roman posthume, s’inscrit dans la même dynamique d’écriture critique.
3 – Yambo Ouologuem
L’auteur de l’iconoclaste Devoir de violence a simultanément connu la gloire et l’abîme, avant de s’éteindre paisiblement un demi-siècle plus tard à Mopti, dans le centre du Mali. Les lettres africaines ont rarement produit un esprit aussi fécond. Mais ce livre, « maudit », pour reprendre le chercheur Jean-Pierre Orban, hantera Ouologuem pour toujours. Et cela, le prestigieux Renaudot n’y fit rien. Suivra une très tardive réhabilitation. Tant pis, Le Devoir de violence a survécu à la polémique, comme il survivra à la mort de Ouologuem, qui a été « Prix Renaudot quand les Noirs étaient plus accompagnés vers les bouches d’égout que les marches de podium » (Adam Thiam).
2 – Massa Makan Diabaté, la triologie de Kouta
C’est le pont qui lie la source orale à celle écrite et enrichit. On lui doit, en tant qu’historien et conteur, la sauvegarde des traditions1 – Amadou Hampaté Ba orales mandingues. M. M. Diabaté n’en demeure pas moins un illustre ambassadeur du roman. L’excellent Comme une piqûre de guêpe et la délicieuse trilogie de Kouta en sont les parfaites preuves. Traduite dans de nombreuses langues, la trilogie romanesque combine satire, défauts et croyances d’un pays à cheval entre deux mondes : deux modes de vie quasi-antagoniques que l’auteur fait cohabiter en recourant à des personnages pittoresques dans Le lieutenant de Kouta, Le coiffeur de Kouta et Le boucher de Kouta.
1 – Amadou Hampaté Ba, L’étrange destin de Wangrin
Couronné à sa sortie par le Grand prix littéraire d’Afrique noire, L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain (1974) a porté la renommée de Amkoullel (l’enfant peul) bien au-delà des frontières de son pays.
Les péripéties de Wangrin, qui s’est retrouvé par des tours de ruse au sommet de la gloire avant de basculer dans la pauvreté et l’alcool, sont riches d’enseignement pour la postérité, que ce soit d’un point de vue de l’interculturalité ou encore de la rivalité féroce entre Africains sous la colonisation. Ce récit nous rappelle simplement les fondamentaux de la vie.
Source : benbere