L’histoire retient que ce fut un succès. Il y a tout juste un an, le 11 janvier 2013, la France déclenchait sa plus importante opération militaire depuis 50 ans : elle déployait dans l’urgence 4 000 hommes sur le sol malien pour stopper l’offensive des djihadistes vers le sud du pays et reconquérir le nord tombé entre leurs mains dix mois plus tôt.
L’Opération Serval fut applaudie quasi unanimement, de Paris à Bamako. Un an plus tard, pourtant, des sifflets commencent à se faire entendre. En témoignent trois livres critiques sortis ces derniers mois.
“La fabrique des laquais de Paris”
Au Mali, la militante altermondialiste et ancienne ministre Aminata Traoré se fait l’écho d’une opinion publique qui a amèrement rangé ses drapeaux français brandis en janvier dernier pour tirer à boulets rouges sur la gestion française de l’après-guerre. Dans “La Gloire des imposteurs : lettres sur le Mali et l’Afrique” (éditions Philippe Rey), Aminata Traoré et l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop racontent au jour le jour l’effondrement du Mali. Loin de s’en tenir à la seule chronique, les deux intellectuels ouest-africains s’interrogent sur les responsables de ce naufrage, pointant notamment du doigt la guerre en Libye menée par Sarkozy, qui a déstabilisé tout le Sahel, et les politiques libérales imposées par le FMI.
Ils s’insurgent aussi contre “la lecture purement militaire de la crise” adoptée par la France et les pressions qu’elle a exercées pour en sortir, militant activement pour la tenue d’une élection présidentielle au pas de course (Hollande avait alors choqué les Maliens en déclarant qu’il serait “intraitable” sur la date des élections, faisant fi des réserves côté malien et onusien). Sur ce dernier point, “la fabrique des laquais de Paris”, bien que “plus subtile et pernicieuse” qu’au temps de la “Françafrique”, a toujours “le même résultat” : “Des étrangers choisissent nos dirigeants à notre place ou pèsent si lourdement sur nos décisions que c’est tout comme”, dénoncent les auteurs.
Au final, “la France se retire en nous laissant nous débrouiller avec les conséquences de son intervention”, concluent-ils. Voilà pour Paris. Mais les Maliens, et par-delà les Africains, ne sont pas épargnés non plus. “L’homme politique africain est souvent moins soucieux de convaincre ses compatriotes que de donner des gages de docilité à de lointains parrains étrangers”, persiflent Aminata Traoré et Boubacar Boris Diop. Une réflexion à deux voix qui s’ouvre sur une douloureuse question : “Comment nous réapproprier notre destin et notre pays” ?
“Un vide politique abyssal”
Côté français, Nicolas Beau, fondateur du site d’informations Bakchich, ancien journaliste au “Monde” et au “Canard Enchaîné”, estime aussi qu’il faut “dépasser l’exercice d’autosatisfaction que nous inflige le pouvoir actuel”. Résultat de sa propre enquête, “Papa Hollande au Mali : chronique d’un fiasco annoncé”(éditions Balland), accuse à son tour la France d’avoir été en partie responsable du chaos malien. Nous avons, dit-il, fermé les yeux sur la “corruption galopante, la démocratie chancelante, les trafics prospères, les rivalités ethniques exacerbées”, “l’islamisation de la société” au Mali et, plus généralement, dans le Sahel. Pire, nous continuons de nous en accommoder.
Lui aussi s’inquiète des conséquences de l’analyse exclusivement sécuritaire de la crise, marquée par “l’amateurisme”, “l’arrogance” et… l’influence des militaires sur l’Elysée : “La posture guerrière a masqué un vide politique abyssal, de nature à préparer des lendemains qui déchantent”, s’alarme-t-il, dans “la marmite explosive de l’Afrique de l’Ouest”. Egratignant au passage une politique de développement “gadget” qui risque d’alimenter encore un peu plus la corruption, le journaliste considère que “la situation dramatique appelait un projet politique rénové qui ne se résume pas aux élections bâclées de l’été 2013.” “La France a remis au président malien les clés d’un appartement témoin dans un immeuble en construction”, résume-t-il.
Il nous faut “réviser nos grilles de lecture” sur le Sahel et nous “interroger sur nos alliances”. Avec des régimes aussi peu recommandables que celui de Mohamed Ould Abdel Aziz en Mauritanie, qui pourrait bien s’embraser à son tour, d’Idriss Déby au Tchad, allié sulfureux qui a su se rendre indispensable à nos côtés lors de l’opération militaire, ou le Qatar, financier de groupes djihadistes que l’on est allé combattre !
“Une guerre française”
Légitimation de dictateurs. Légalité internationale douteuse de l’opération. Verrouillage de la communication pendant l’intervention militaire. “Souci des autorités françaises de draper l’intervention au Mali de visées humanistes” et négation d’enjeux pourtant bel et bien là (la sécurisation des sites d’extraction de l’uranium au Niger, la démonstration de force des militaires à un moment de coupes budgétaires, la réaffirmation de la présence française en Afrique face à une concurrence internationale…). “Caution” africaine et onusienne d’une guerre en réalité “française”. Pouvoir discrétionnaire que s’est arrogé Paris : nous avons voulu une intervention depuis le début et contre l’avis de nombre de nos partenaires, nous avons décidé unilatéralement de soutenir les rebelles touaregs du MNLA, c’est nous qui avons choisi la date des élections… L’ONG Survie demeure fidèle à sa réputation de pourfendeuse des relations entre la France et l’Afrique. Mais de son bilan de l’Opération Serval, “La France en guerre au Mali : enjeux et zones d’ombre” (éditions Tribord), elle tire une conclusion sensiblement proche des autres : “L’action de la France s’apparente à une mise sous tutelle du Mali, à l’opposé d’un processus de reconstruction institutionnelle dont aurait besoin le pays aujourd’hui”.
Au fond, toutes ces critiques font le même constat : Paris est intervenu sans n’avoir rien réglé. La raison ? La Malienne Aminata Traoré a sa petite idée : “La France bombe le torse pour envoyer au monde l’image d’une redoutable puissance militaire, mais en coulisse elle est beaucoup moins sûre d’elle-même”.
Sarah Halifa-Legrand
Le Nouvel Observateur