Un expansion jihadiste perpétuelle, des droits humains moribonds, un État absent: la situation politique au Mali est morose, deux ans après l’arrivée des militaires au pouvoir et au jour du départ définitif, lundi, des troupes françaises. Lundi, un expert de l’ONU a jugé que le pays était en proie à un “climat délétère” avec un rétrécissement de l’espace civique et une forte hausse des violations des droits humains par les groupes extrémistes et les forces de sécurité maliennes.
Le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020 par cinq jeunes colonels, après plusieurs mois de fronde populaire, a signé le virage d’un régime qui s’est peu à peu militarisé.
Une militarisation de la vie politique
Les militaires ont nommé à tour de bras des officiers aux postes de pouvoir et d’administration. Ils ont installé un Parlement, arrêté une pléthore de poids lourds de la politique locale, dans le cadre d’une enquête anticorruption, et émis des mandats d’arrêt contre ceux qui avaient quitté le pays.
Ils ont ensuite achevé de mettre la main sur toutes les commandes du pouvoir lors d’un second coup de force en mai 2021.
Début août, l’ONG Human Rights Watch estimait que l’espace démocratique s’était drastiquement réduit avec un “harcèlement” de ceux qui critiquent le pouvoir, et la détention illégale d’autres.
Extension de la guerre
Déjà épicentre du conflit au Sahel depuis 2012, le Mali a vu, ces dernières années, la guerre s’intensifier et l’expansion jihadiste s’accélérer. Les attaques se multiplient jusqu’au Sud, y compris aux abords de Bamako.
Dans le nord et le centre du pays, les représentants de l’État se cantonnent aux villes. L’accord de paix signé en 2015 entre Bamako et des groupes armés ex-rebelles du nord du Mali ne s’est jamais accompagné d’avancées majeures. Ces derniers restent armés et fermement implantés.
Dans les immenses brousses rurales, les civils, issus des mêmes communautés ethniques que les belligérants, sont pris entre les feux des acteurs du conflit et victimes d’amalgames meurtriers. Leur situation humanitaire s’aggrave et a poussé 370.000 personnes à fuir leur domicile, selon le HCR.
Les bilans humains sont de plus en plus lourds: ainsi, le nombre de personnes tuées au Sahel au cours des six premiers mois de 2022 est déjà plus important que sur toute l’année 2021.
Quasiment chaque mois est ponctué d’un nouveau massacre. En août, 42 soldats maliens ont été tués à Tessit dans l’une des attaques les plus meurtrières contre l’armée. En juin, plus de 130 civils étaient tués à Diallassagou en une nuit.
Un repli souverainiste
La junte s’est portée au pouvoir au nom d’un souverainisme qu’elle jugeait bafoué et délaissé sur l’autel de la lutte antijihadiste. La fibre patriotique du “Mali Kura” (Mali nouveau, en bambara) a trouvé un fort écho auprès des 20 millions de Maliens, au détriment des partenaires occidentaux impliqués.
La France, ancienne puissance coloniale, a été poussée vers la sortie au fil des philippiques franco-maliennes et l’Union européenne a arrêté ses formations militaires.
L’ONU, présente avec 13.000 Casques bleus depuis 2013, a une marge de manoeuvre de plus en plus faible : ses missions liées aux droits de l’homme sont entravées par les autorités, son porte-parole a été expulsé, ses rotations de contingents ont été temporairement suspendues.
Au nom du même souverainisme, les colonels ont refusé de tenir des élections, comme demandé par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao), se prévalant d’une bonne organisation en temps voulu plutôt qu’une course à l’élection.
Durant le premier semestre de l’année 2022, le Mali a été financièrement et économiquement durement sanctionné par des voisins que Bamako a dit influencés par Paris.
Dans ce pays classé parmi les moins développés au monde, 7.5 des quelque 20 millions d’habitants avaient besoin en 2022 d’une assistance humanitaire, selon l’ONU.
Changement d’alliances stratégiques
Bamako a ardemment relancé ses partenariats russe et chinois établis après son indépendance en 1960 sous le régime socialiste de Modibo Keïta. La relation avec Moscou, historiquement axée sur l’éducation, porte désormais davantage sur la défense depuis 2020.
La Russie a ainsi livré plusieurs lots de matériel de guerre (volants et terrestres). En outre, des paramilitaires russes de la société Wagner sont arrivés début 2022, mais Bamako dément leur présence tandis que Moscou parle d’un contrat “commercial” entre Wagner et le Mali qui ne concerne pas la Russie.
Un récent rapport d’experts missionnés par l’ONU a évoqué la présence de “soldats blancs” accompagnant les soldats maliens sur la scène de tueries, notamment à Robinet El Ataye, où 33 civils ont été tués en mars.
Ce changement d’alliance a coïncidé avec le développement d’un discours anti-français au Mali et de ce que l’état-major français a nommé “la guerre de l’information” entre la Russie, le Mali et la France.