Il y a deux semaines, les Femmes du Mali célébraient la journée mondiale contre les mutilations génitales féminines (MGF), à l’instar de leurs sœurs du monde entier. À cette occasion, le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Me Mamadou Ismaïla Konaté, avait courageusement appelé l’Assemblée nationale au vote d’une loi contre les MGF au Mali, une loi dont il sera l’initiateur. Il n’en fallait pas plus pour que des obscurantistes musulmans s’agitent dans les mosquées pour faire de ce projet le thème de leur prêche du vendredi (Koutouba), démontrant ainsi leur insensibilité aux souffrances qu’endurent des millions de maliennes à cause des MGF.
La question fondamentale que doit se poser tout bon musulman est celle-ci : Les mutilations génitales féminines sont-elles autorisées par l’Islam ? N’étant pas un spécialiste de cette question, nous nous référons aux voix les plus autorisées en la matière, notamment les chefs religieux musulmans maliens dont l’expertise en ce domaine est avérée et leurs paroles insoupçonnables. En premier lieu est Chérif Ousmane Madani Haïdara qui, au cours d’une pêche publique dont les casettes ont circulé au Mali, a déclaré : « L’excision n’est pas prescrite par l’Islam. C’est une tradition de chez nous, et en tant que telle nous y souscrivons ». Feu Karamoko bè fo (que Dieu lui pardonne) avait lui aussi démenti tout lien entre excision et Islam et déclaré : « Je défie quiconque de me montrer, dans le Coran, une Sourate, un verset qui l’attesterait ». Il y a quelques années, le Moufti d’Égypte, dans une interview télévisée (dont nous avons une copie sur CD) affirmait que « l’excision est haram » et que Dieu punira quiconque la pratiquerait.
Si l’Islam est opposé aux MGF, pourquoi des responsables religieux maliens s’obstinent-ils à vouloir « islamiser ces pratiques » ? Eux seuls pourront nous donner la réponse à cette question. Pour notre part, cela relève de la discrimination phallocratique ancrée dans certaines sociétés depuis des millénaires. La sexualité des femmes serait littéralement débridée si elles n’étaient pas excisées. Voilà, honteusement dit, la vraie préoccupation de ceux qui sont favorables à l’excision. Les hommes peuvent donner libre cours à leurs fantasmes sexuels en épousant plusieurs femmes, tandis que la suspicion est jetée sur tout ce que feraient les femmes. Cette phobie se manifeste le plus inhumainement dans l’infibulation, mutilation rituelle des organes génitaux féminins, qui consiste à pratiquer une excision, puis à coudre les grandes lèvres pour empêcher toute relation sexuelle. Jalousie schizophrénique.
Si la plupart des hommes et des femmes envoient leurs petites filles affronter le couteau de l’exciseuse, ou font l’apologie des MGF, c’est qu’ils n’ont probablement jamais assisté à une excision. Car l’excision et l’infibulation sont hautement atroces et profondément inhumaines qui tuent des millions de filles dans le monde ou les traumatisent à vie. Les médecins sont unanimes à dire que les MGF ne sont d’aucune utilité, au contraire. Des millions de femmes, à cause des MGF, n’ont, toute leur vie, aucun plaisir dans les relations sexuelles qui sont souffrances quotidiennes pour elles. Dans la mise en œuvre d’un projet sur les violences faites aux femmes que nous pilotions, de nombreuses d’entre elles nous ont affirmé ne pas savoir ce qu’est l’orgasme, alors qu’elles étaient toutes mères de plusieurs enfants. C’est cela le vrai visage des MGF : créer un traumatisme physique et psychique qui font que des millions de femmes détestent l’acte sexuel, véritable calvaire pour elles.
S’il est vrai que l’Islam est Amour – et il l’est -, s’il est vrai que le Créateur est Amour – et il l’est – alors Dieu ne peut aimer les MGF qui font de celles qui donnent la vie de véritables martyres. Les femmes, qui savent ce que sont les souffrances endurées lors de la pratique des MGF, sont les mieux placées pour décider de ce qui est bien ou mal pour elles. Cependant la rigidité de notre société, alliée aux pensées moyenâgeuses de certains obscurantistes musulmans, veut maintenir les femmes dans l’esclavage. Si l’excision était un précepte de l’Islam, comment expliquer qu’elle soit si peu pratiquée au Nord de notre pays, principalement à Tombouctou, une ville qui possède les plus grands érudits en Islam ? Des Malinké et des Bamanans seraient-ils plus versés dans la connaissance du Coran que les Ulémas de la ville sainte ? Nous en doutons.
Certes le débat est ouvert quant aux voies et moyens pour faire reculer puis abandonner les MGF. Il faut certainement beaucoup de pédagogie pour que la population réticente comprenne que les MGF n’ont aucun fondement islamique. Pour cela, il faut l’autorité d’un Chérif Ousmane Madani Haïdara qui est un des rares chefs religieux ayant un esprit ouvert à la contradiction constructive. Si l’excision est « une pratique sociale », il faut dire que le cannibalisme et les sacrifices humains, aujourd’hui abandonnés, étaient aussi des « pratiques sociales ». Cependant la lutte doit continuer avec le soutien des plus hautes autorités politiques. Il y a peu de chance que le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux soit suivi par le gouvernement dans sa volonté de faire légiférer. Mais il est dans son rôle en tant que chargé des Droits de l’Homme car les MGF sont une violation flagrante et inacceptable des Droits des Femmes à disposer librement de leurs corps.
À voir les politiques courber l’échine face aux chefs religieux et la peur qu’ils inspirent à la classe politique, les MGF ne sont pas près de disparaître de notre société. Mais la lutte doit continuer. Peut-être que nos enfants ou nos petits-enfants auront le courage de dire non à la barbarie moyenâgeuse. Si les femmes continuent à dire non, elles seront un jour entendues. Car, comme le dit Ibrahima Ly dans Toiles d’araignée : « Notre société fait des femmes de véritables otages. Chez nous, le succès de l’enfant dépend non pas de son intelligence, et de son habileté, de sa persévérance dans l’effort et de son courage, mais uniquement de la capacité de résignation de sa mère, de la passivité de celle-ci face aux insultes du père, des coépouses, des belles-sœurs. La résignation est la clé de voûte de notre société ».
À Dieu ne plaise…
Diala Thiény Konaté
La rédaction