Dans un contexte de crise alimentaire chronique où la sécurité alimentaire est une priorité nationale, le rapport de vérification de performance du Bureau du Vérificateur Général (BVG), rendu public en mai 2025, dresse un constat sévère de la gestion de l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM) entre 2020 et 2024. Malgré une mission cruciale au cœur du Dispositif National de Sécurité Alimentaire (DNSA), l’OPAM n’a pas été à la hauteur de ses obligations stratégiques.
Des organes de gouvernance en déliquescence
Bamada.net-L’un des constats les plus accablants du rapport concerne le fonctionnement du Conseil d’Administration de l’OPAM. Sur les 10 sessions réglementaires attendues entre 2020 et 2024, seulement 5 ont été effectivement tenues. Pire, ces réunions ont été animées par des administrateurs dont le mandat était expiré depuis plus de deux décennies, certains n’ayant aucune nomination légale en bonne et due forme. Un fait particulièrement préoccupant pour un établissement public censé garantir la gestion rigoureuse des stocks alimentaires de sécurité du pays.
Le Comité de gestion, organe interne d’appui à la direction, n’a pas mieux fait. Sur les 20 sessions prévues sur la période, seulement 10 ont eu lieu. Cette irrégularité a limité la capacité de l’Office à s’autoévaluer et à mobiliser l’intelligence collective interne.
Quant au Commissaire aux Comptes, sa situation frôle l’absurde : en poste depuis 25 ans, son mandat a expiré en 2006. Depuis, il continue de certifier les états financiers de l’OPAM sans base légale, jetant un doute sérieux sur la fiabilité des documents comptables produits.
Un dialogue rompu entre l’OPAM et sa tutelle
Autre point noir soulevé : la rupture de communication entre l’OPAM et le Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA), autorité de tutelle. Le rapport du BVG révèle que plusieurs actes majeurs (budgets, conventions, programmes annuels…) ont été exécutés sans l’autorisation préalable ou l’approbation expresse du CSA, comme l’exige pourtant la réglementation.
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Ce déficit de collaboration compromet gravement la capacité du Gouvernement à exercer un contrôle efficace sur une structure aussi stratégique. Le CSA, faute d’être informé, se retrouve dans l’incapacité de relayer les difficultés de l’OPAM auprès des plus hautes autorités de l’État.
Des stocks stratégiques mal reconstitués
La mission première de l’OPAM reste la constitution et la gestion du Stock National de Sécurité (SNS) et du Stock d’Intervention de l’État (SIE). Or, sur ce point, la vérification révèle de nombreuses failles : retards dans la livraison des céréales, absence de suivi des contrats, conservation douteuse, et non-respect des engagements contractuels par les prestataires. Résultat : des stocks insuffisants, mal conservés et donc inefficaces en cas de crise.
D’ailleurs, sur la période 2020–2023, l’OPAM a dépensé plus de 115 milliards de francs CFA, bien au-delà des 91 milliards initialement alloués. Pourtant, la performance globale reste faible, faute de rigueur dans la gestion et de mécanismes de contrôle efficaces.
Des recommandations urgentes pour un redressement nécessaire
Face à cette accumulation de dysfonctionnements, le BVG formule plusieurs recommandations structurantes :
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Le Ministère de l’Économie et des Finances doit procéder sans délai au renouvellement des membres du Conseil d’Administration de l’OPAM et définir un cadre réglementaire clair sur les compétences requises.
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Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire est appelé à veiller à la régularité des sessions du Conseil d’Administration et à l’évaluation du contrat-plan État/OPAM.
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Le Président Directeur Général de l’OPAM doit organiser régulièrement les sessions du Comité de gestion et du CA, renforcer la collaboration avec la tutelle, et actualiser le manuel de procédures internes, jamais validé depuis 2006.
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Enfin, une évaluation externe du 12e contrat-plan État/OPAM s’impose, condition sine qua non pour engager un nouveau contrat à partir de 2025.
L’avenir de la sécurité alimentaire en question
Ce rapport sonne comme un signal d’alarme. Dans un Mali en proie à des crises climatiques, sécuritaires et économiques, la mauvaise gouvernance des structures en charge des réserves alimentaires peut devenir un facteur aggravant. Si l’État veut honorer ses engagements en matière de sécurité alimentaire, notamment les Objectifs de Développement Durable (ODD) et les orientations de la Politique Nationale de Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (PolNSAN), il devra impérativement renforcer la transparence, l’efficacité et la redevabilité des organes comme l’OPAM.
Dans une Afrique sahélienne où la faim reste une menace permanente, l’OPAM doit devenir un levier de résilience et non une structure inefficace rongée par l’inaction administrative.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net