En pochoir à l’arrière des bus Sotrama ou en autocollant sur les motos Jakarta… À Bamako, la figure du Che est partout. Elle fait presque office de grigri. Moussa Diallo, jeune motocycliste, confirme : « On en a marre du système et de la corruption. Le « Che Gue », c’est un peu notre père spirituel et protecteur. » Le phénomène n’a pas échappé à l’écrivaine altermondialiste Aminata Traoré. « Le Che, explique-t-elle, c’est un repère dans cette période de troubles. »
Un révolutionnaire sensible au continent africain
Au Mali, le révolutionnaire argentin est si populaire que certains activistes n’ont pas hésité à se faire appeler « Che Guevara », comme Tahirou Bah, l’ex-militant du parti Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), qui a revendiqué, en juin 2015, les attaques de Nara et de Fakola au nom du Mouvement populaire pour la libération du Mali (MPPLM).
Dans les faits, Ernesto Guevara n’a fait qu’une escale de quelques jours au Mali, en décembre 1964, juste avant de tenter, en avril de l’année suivante, une rébellion contre le régime Mobutu au Congo. Mais l’intérêt du Che pour l’Afrique remonte à son enfance. Bien qu’édulcoré dans les livres d’histoire, l’épisode tragique de la traite négrière a bien existé en Argentine. Entre le XVIe et le XVIIIe siècle, dans certaines provinces du pays, jusqu’à la moitié de la population pouvait être d’origine subsaharienne.
À LIRE AUSSI :
« Che » Guevara en Afrique
« Ernesto était aussi particulièrement sensible à l’histoire coloniale française, se souvient son frère cadet, Juan Martin Guevara, auteur de Mon frère le Che, paru cette année chez Calmann-Lévy. Notre mère était parfaitement francophone. Elle nous avait non seulement enseigné la langue, mais également transmis les valeurs humanistes qui allaient avec, parmi lesquelles un grand mépris pour l’esclavage et la domination française en Afrique. »
Mais cette tournée africaine du Che dans les années 1960 est surtout motivée par le désir de repartir combattre l’impérialisme, après avoir été pendant plusieurs années le ministre cubain de l’Industrie. « Il était très sensible aux expériences révolutionnaires en Afrique même s’il en parlait très peu », rappelle Janette Habel, une ancienne étudiante française à La Havane dans les années 1960 devenue politologue.
Leader révolutionnaire au Mali
À l’époque, les relations entre le Mali et Cuba sont au beau fixe. Le groupe bamakois Las Maravillas de Mali, formé à La Havane, distille ses mélodies afro-cubaines sur les ondes de la radio nationale.
« Quand j’étais petit, un tonton m’a raconté la visite de « Che Gue » au Mali, s’exclame Mohamed. Les gens l’attendaient à bras ouverts. Il allait dans les quartiers pauvres pour rencontrer les plus vulnérables. Il a un peu ouvert notre conscience. » Le Che profite de cette visite éclair pour rencontrer discrètement quelques leaders révolutionnaires de la sous-région. Il prend lui-même les commandes d’un bimoteur Aero 145 pour aller à Mopti et rencontrer le ministre du Plan, Seydou Badian Kouyaté.
Il en faudrait dix comme lui pour faire tomber l’Occident impérialiste
Ce dernier, à l’époque sympathisant communiste, se souvient d’avoir assisté à une discussion très ouverte avec des jeunes et des femmes ; le leader cubain avait impressionné l’auditoire par sa connaissance de l’histoire malienne. « Est-ce que je peux avoir un béret comme le vôtre ? » lui avait demandé un jeune homme, admiratif. « Je peux vous trouver un béret, mais il faut le conquérir », avait rétorqué le Che.
Après son départ, le président Modibo Keïta confiera à Seydou Badian Kouyaté : « Il en faudrait dix comme lui pour faire tomber l’Occident impérialiste. » Le premier président socialiste du Mali sera renversé par Moussa Traoré en novembre 1968, un an après l’assassinat du Che en Bolivie. Cinquante ans plus tard, des milliers de jeunes Maliens revendiquent l’idéal social de l’homme au béret.