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Mali : IBK ou l’échec d’une présidence impopulaire

Le 18 août 2020, le Mali en ébullition depuis déjà plusieurs mois, accueille avec une ferveur non feinte une nouvelle qui fait déjà date dans l’histoire du pays : le président Ibrahim Boubacar Keïta annonce en direct à l’ORTM, la télévision nationale, sa démission de ses fonctions de chef de l’Etat. Si la déposition de celui qui avait été quelques heures plus tôt arrêté par l’armée est automatiquement condamnée par la communauté internationale, à l’intérieur des frontières maliennes le ton est tout autre. Mais une fois l’effervescence passée, on peut interroger les faits qui ont conduit à la disgrâce d’un président démocratiquement élu et entrevoir le futur qui se dessine pour ce pays en proie au chaos. Retour sur les faits marquants d’une énième révolution dans le Sahel.

A l’origine, une situation sécuritaire désastreuse

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les manifestations qui ont abouti au coup d’Etat militaire du 18 août au Mali sont loin d’être une révolution spontanée. Ils prennent racine dans la profonde crise sécuritaire, sociale, économique et politique qui secoue le pays, depuis plusieurs années maintenant.

Les forces armées sont devenues méfiantes envers leurs propres dirigeants

En effet, en 2012, le coup d’Etat militaire ayant déposé l’ancien président Amadou Toumani Touré semble avoir presque les mêmes motivations que le putsch du Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP).

En effet, en 2012, le coup d’Etat militaire ayant déposé l’ancien président Amadou Toumani Touré semble avoir presque les mêmes motivations que le putsch du Comité national pour le Salut du Peuple (CNSP).

A l’époque, les militaires réclamaient déjà de plus grands moyens pour lutter contre les insurgés touaregs dans le nord du pays, et une meilleure gestion du conflit sécessionniste par Bamako. Le fameux documentaire de France 5 où on peut voir des militaires de l’armée malienne s’entraîner sans munition, a d’ailleurs choqué l’opinion publique dans une Afrique où les détournements de fonds et la mauvaise gouvernance sont deux des mamelles nourricières de l’insécurité et du terrorisme.

Quoi qu’il en soit, huit ans plus tard c’est, entre autres, pour les mêmes raisons que le colonel Assimi Goita et ses pairs prennent le pouvoir, même si l’adversaire a changé. En lieu et place des touaregs du MNLA, il faut cette fois-ci combattre les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS), ou encore Ansar Dine. Si les attaques contre les civils ont souvent défrayé la chronique, les militaires maliens font partie de ceux qui payent l’un des plus lourds tributs à la guerre contre le terrorisme.

Si les attaques contre les civils ont souvent défrayé la chronique, les militaires maliens font partie de ceux qui payent l’un des plus lourds tributs à la guerre contre le terrorisme.

Au cours des derniers mois, des centaines de militaires ont été tués dans des attaques terroristes devenues quasi hebdomadaires. Le 22 août dernier, cinq militaires maliens ont été tués par un engin explosif au passage de leur véhicule près de la frontière avec le Burkina Faso. En juin, ce sont 24 soldats qui ont été tués dans une embuscade djihadiste dans la localité de Bouka Wéré.

A ces situations s’ajoutent des conflits intercommunautaires que n’arrangent pas les tensions sociales et les difficultés économiques.

Un profond malaise socio-économique

Alors que le Mali dispose d’importants gisements d’or et d’uranium, entre autres, on estime que plus de 42% des Maliens végètent dans l’extrême pauvreté. Selon la Banque mondiale, celle-ci se concentre d’ailleurs à 90% dans les zones rurales du pays, celles-là mêmes qui sont généralement la cible des attaques terroristes.

Au cours des derniers mois, des centaines de militaires ont été tués dans des attaques terroristes devenues quasi hebdomadaires.

D’après les organisations humanitaires, les ressources du pays profitent plus aux compagnies qui les exploitent qu’aux populations. Malgré des taux de croissance élevés (5% en 2019), la faible diversification de l’économie nationale, qui est fortement tributaire des fluctuations des prix des matières premières, empêche une véritable inversion de la courbe de la pauvreté. Le fort potentiel agricole du pays, qui semble être principalement tourné vers la production du coton, une culture d’exportation, n’a pas permis de renforcer la sécurité alimentaire des populations. Selon la Banque africaine de développement (BAD), 5,2 millions de personnes sont en situation de pénurie alimentaire au Mali.

« Le nombre d’emplois créés chaque année (44 520 emplois) ne peut absorber la demande (300 000). Le faible niveau de qualification de la force de travail est aggravé par l’inadéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché », indique la BAD. De plus, les déficits critiques en matière d’infrastructures contribuent à rendre plus difficiles les conditions de vie des populations. On estime que seulement 3 % du réseau routier classé est bitumé et en bon état, alors que le déficit de production électrique est de 140 MW, avec 53 % de la population privés d’un accès à l’électricité.

On estime que seulement 3 % du réseau routier classé est bitumé et en bon état, alors que le déficit de production électrique est de 140 MW, avec 53 % de la population privés d’un accès à l’électricité.

Par ailleurs, seulement 41 % des enfants sont scolarisés dans l’enseignement secondaire et 75 % dans le primaire, et 75 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires (BAD).

Selon l’ONU, le Mali occupe la 184e place sur 189, du classement des pays selon leur indice de développement humain (IDH).

L’échec du système IBK

A son arrivée au pouvoir en 2013, à la suite d’élections démocratiques, Ibrahim Boubacar Keïta incarnait l’homme providentiel qui ramènerait la paix dans un Mali désormais tourmenté par la violence et le djihadisme. Fort de son parcours d’ancien ministre des Affaires étrangères, ancien Premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, le nouveau président avait fait la promesse d’éradiquer la corruption et de restaurer la souveraineté délabrée du pays. Sept ans plus tard, l’échec du régime IBK sur tous ces plans est patent.

« C’est l’Etat malien lui-même qui s’est érigé comme le premier corrupteur dans le pays.»

Selon un rapport élaboré en 2018 par le Canada, les autorités maliennes ont dépensé de manière irrégulière 1,3 milliard $ de ressources publiques entre 2005 et 2017 et 35,5% de ce montant relèverait de la fraude.

Cette corruption endémique a d’ailleurs eu des répercussions sur les performances du pays en matière de sécurité. Malgré une hausse de la part des dépenses sécuritaires par rapport au PIB (1,3% en 2010-2012 contre près de 3% en 2016-2018), l’armée malienne reste fortement vulnérable aux attaques des groupes djihadistes. Pour de nombreux militaires, les fonds destinés à renforcer la sécurité du pays ont été dilapidés. Et les nombreux scandales de mauvaise gouvernance, dont les plus marquants concernent notamment l’acquisition du jet présidentiel en 2014 (alors que le pays était sous perfusion financière de la communauté internationale) ou encore la surfacturation de contrats d’armements par Bamako, confortent cette thèse.

« Les forces armées sont devenues méfiantes envers leurs propres dirigeants », constate Me Hélène Nguyen Cissé, avocate sénégalaise. « Tous les observateurs ont dénoncé, à tour de rôle, une corruption devenue systémique au Mali. Car, au fil des années, au lieu de protéger les populations et de sanctionner les corrompus, c’est l’Etat malien lui-même qui s’est érigé comme le premier corrupteur dans le pays », indique-t-elle.

Les élections de mars et avril 2020

Si Ibrahim Boubacar Keïta est contesté depuis plusieurs années, malgré une réélection en 2018, ce sont les élections législatives des 29 mars et 19 avril qui constituent la goutte d’eau de trop.

Le 25 mars, Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne, est enlevé par un groupe armé dans la région de Tombouctou.

A ce moment-là, l’enjeu principal était de renouveler les 147 membres du parlement, après plusieurs années de report. Mais une série d’événements vient perturber le bon déroulement du scrutin et discréditer un peu plus le pouvoir malien.

« Tous les observateurs ont dénoncé, à tour de rôle, une corruption devenue systémique au Mali. Car, au fil des années, au lieu de protéger les populations et de sanctionner les corrompus, c’est l’Etat malien lui-même qui s’est érigé comme le premier corrupteur dans le pays »

Le 25 mars, Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition malienne, est enlevé par un groupe armé dans la région de Tombouctou. Alors que cette situation à laquelle s’ajoute la pandémie de coronavirus qui vient de toucher le pays pousse l’opposition à demander un report du scrutin, le gouvernement fait la sourde oreille.

Finalement, l’élection a lieu. Mais le 30 avril, les résultats publiés par la Cour constitutionnelle déclenchent l’ire des populations qui en ont assez d’un énième coup de ruse politique du parti au pouvoir. La prise en compte, par la Cour constitutionnelle, des recours introduits par certains candidats change considérablement les résultats de l’élection. Alors que les résultats provisoires annonçaient 43 députés pour le parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Mali, la Cour a ainsi annoncé qu’il en avait finalement remporté 51.

Un mouvement, le M5-RFP (Mouvement du 5 juin rassemblement des forces patriotiques) est alors créé sous l’influence de l’imam Mahmoud Dicko, devenu la figure de proue de la contestation anti-IBK. Celui-ci exige la démission du chef de l’Etat, la réforme de la Cour constitutionnelle et la dissolution de l’Assemblée nationale, entre autres revendications. Malgré la médiation de la CEDEAO, le gouvernement et l’opposition ne trouvent pas un terrain d’entente.

Finalement, le 18 août 2020, c’est l’armée malienne qui pour la troisième fois dans l’histoire du pays met fin à ce bras de fer en déposant le président IBK et en le poussant à annoncer sa démission en direct à l’ORTM. Malgré les condamnations de la communauté internationale, le M5-RFP déclare son soutien au Conseil National pour le Salut du Peuple (CNSP), conférant ainsi une légitimité populaire à un coup de force illégal.

Quelles pistes pour l’après-IBK ?

Maintenant que le chef d’Etat désavoué par son peuple a été bouté hors du palais présidentiel, une question brûle toutes les lèvres : après le coup d’Etat, quelles pistes pour le futur du Mali ?

Au vu de la situation chaotique qui règne dans le pays, bien malin celui qui pourrait prédire avec certitude la prochaine suite des évènements. En l’absence de Soumaïla Cissé, difficile de trouver une figure civile pouvant incarner le futur Mali. L’imam Mahmoud Dicko, lui, semble se refuser à prendre toute responsabilité politique et préfère se limiter à son rôle d’homme religieux et d’éveilleur de conscience.

En l’absence de Soumaïla Cissé, difficile de trouver une figure civile pouvant incarner le futur Mali. L’imam Mahmoud Dicko, lui, semble se refuser à prendre toute responsabilité politique.

Dans tous les discours, c’est le « retour à l’ordre constitutionnel » qui est réclamé. Plus personne ne demande le rétablissement d’Ibrahim Boubacar Keïta dans ses fonctions (comme l’avait réclamé la CEDEAO). D’ailleurs un tel retour en arrière risquerait de déclencher une nouvelle vague de violence au sein d’une jeunesse qui a manifestement soif de changement politique, économique et social. « Il y a eu une rupture de la confiance entre le peuple malien et son président, à la suite des élections qui ont eu lieu au mois d’avril dernier, qui ont été contestées », affirme Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères au micro de la radio RTL.

Plus personne me demande le retour d’IBK, pas même la CEDEAO.

Désormais tous les regards sont tournés vers le prochain gouvernement de transition, réclamé par tous et qui devrait conduire le pays vers des élections. Sur ce point, les négociations restent jusque-là infructueuses, la CEDEAO préférant une transition d’un an à celle de trois ans, proposée par les militaires. Mais l’espoir d’un terrain d’entente dans les prochains jours entre les deux parties reste intact, selon la délégation de la CEDEAO conduite par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan.

Dans tous les cas, le nouvel homme fort au Mali s’appelle désormais Assimi Goita, chef de la junte militaire au pouvoir. Il lui appartient désormais la lourde responsabilité de donner une véritable orientation à ce nouveau coup d’Etat, que l’on souhaiterait plus dans le sillage du coup de force de 1991, ayant ouvert la voie aux premières élections multipartites du pays, que dans celui de 2012 ayant donné naissance au chaos malien.

Moutiou Adjibi Nourou   

   Agence Ecofin

         

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