L’ampleur et la gravité des crimes en cours d’instruction ou de jugement sont inédits dans l’histoire contemporaine du pays. Nos organisations ont entendu plus de 500 victimes et témoins ces dernières années. Elles ont initié ou participé à une dizaine de procédures judiciaires, accompagnant plus de 180 parties civiles devant la justice. Le rapport publié aujourd’hui revient sur l’état d’avancement de plusieurs affaires emblématiques.
Les 12 derniers mois ont permis des avancées considérables, avec l’ouverture du procès de l’ex président putschiste Amadou Haya Sanogo et de ses complices, poursuivis pour l’exécution sommaire de plus de 20 « bérets rouges », et la condamnation par la justice malienne de l’ancien commissaire de la police islamique de Gao : Aliou Mahamane Touré. Par ailleurs, un pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et une Commission vérité, justice et réconciliation ont été créés puis sont entrés en fonction en 2015.
« Ces derniers mois, nous avons peut-être plus obtenus par la justice que ce qui fut obtenu par les armes : la reconnaissance des crimes des putschistes et des groupes armés. La paix se gagnera autant par le rétablissement de la sécurité qu’en répondant aux besoins de vérité, de justice et de réconciliation. » Me Moctar Mariko, président de l’AMDH
Toutefois, le rapport décrit aussi comment d’autres affaires n’ont toujours pas fait l’objet de procès. Comme les crimes sexuels perpétrés de manière systématique par les groupes djihadistes au Nord Mali en 2012-2013. Si des mandats d’arrêt ont été déposés et des dizaines de personnes arrêtées et inculpées en 2013, aucune n’a depuis été inquiétée, alors que ces crimes sont constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En 2014 et 2015, nos organisations avaient déposé deux plaintes [2] avec constitution de partie civile, en représentation de plus d’une centaine de victimes. Plusieurs autres procédures sont dans l’attente de relance. Notamment celles concernant le massacre d’Agueloc (153 militaires maliens exécutés) ; la mutinerie de Kati ; les « disparus de Tombouctou » ou les autres crimes commis par toutes les forces en présence pendant la « reconquête du Nord » en 2013.
Le rapport plaide aussi pour que les enquêtes anti terroristes puissent inclure les graves violations des droits humains commises contre les populations.
Le contexte sécuritaire et politique ambivalent continue à peser sur les procédures judiciaires.
Ainsi, l’intensification des violences et attaques a des conséquences négatives. Elle empêche le retour d’un système judiciaire fonctionnel dans le nord et le centre [3], et pousse l’État à concentrer ses moyens sur les réponses sécuritaires et militaires. Par ailleurs, les accords passés pour obtenir la résolution politique du conflit – ou la libération d’otages – ont entraîné la libération ou l’abandon des poursuites à l’encontre d’individus soupçonnés de crimes graves [4] . Quant au procès Sanogo, il n’a toujours pas repris, un an jour pour jour après sa suspension pour vice de procédure dans la conduite des expertises médico-légales.
Enfin, si l’Accord de paix de juin 2015 consacre le caractère imprescriptible des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et la non amnistie pour leurs auteurs, sa mise en œuvre reste au point mort [5] .
« Si la lutte contre l’impunité n’est pas la seule réponse à apporter au conflit, il ne pourra y avoir de paix sans un minimum de justice. Les maliens attendent de leur justice qu’elle règle les différents, les protège de l’arbitraire des hommes en armes, et contribue ainsi à sortir leur pays de la crise qu’il endure depuis 2012. » Me Drissa Traoré, vice-président de la FIDH
[1] L’année 2016 avait connu une recrudescence des violences et attaques commises par les différents groupes armés à l’encontre des civils, des militaires maliens et de la Minusma. Nos organisations avaient comptabilisé au moins 385 attaques ayant coûté la vie à au moins 332 personnes dont 207 civils dans le nord et le centre du pays. À cela s’ajoutaient des actes de torture, des enlèvements, des détentions arbitraires et des extorsions de tous types, avec au moins 621 cas répertoriés.
[2] Le 12 novembre 2014, nos organisations ont déposé auprès du Tribunal de grande instance de la Commune III de Bamako une plainte avec constitution de partie civile pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre au nom de 80 femmes et filles victimes de viols et autres formes de violences sexuelles. Cet acte a poussé la justice malienne à ouvrir une première procédure judiciaire concernant ces crimes sexuels.
Le 6 mars 2015, à la suite d’enquêtes menées à Tombouctou et sa région, nos organisations ont déposé une nouvelle plainte avec constitution de partie civile au nom de 33 victimes de crimes internationaux, dont des crimes sexuels, commis lors de l’occupation de Tombouctou et sa région par les groupes armés en 2012 et 2013. Cette plainte vise nommément 15 auteurs présumés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
[3] Si les tribunaux des régions de Tombouctou et Gao ont été réhabilités après l’occupation, ils peinent à être fonctionnels. Ils ne peuvent notamment pas, en raison de la situation sécuritaire et des menaces auxquelles font face les administrateurs de la justice, traiter des affaires qui mettent en cause des individus affiliés aux groupes armés.
le Procureur de Gao a échappé à une attaque à son domicile en janvier 2015. Le tribunal de Kidal n’est quant à lui toujours pas ouvert malgré la nomination d’un nouveau procureur qui siège à Gao.
[4] Par exemple, la libération en août 2014 de Ag Alfousseyni Houka Houka, ancien juge islamiste de Tombouctou, pourtant inculpé pour son rôle présumé dans la commission de graves violation des droits humains. Ou celles, le 9 décembre 2014, de Mohamed Aly Ag Wadoussène, Haïba Ag Acherif, Oussama Ben Gouzzi et Habib Ould Mahouloud, échangés dans le cadre de négociations visant notamment à la libération de l’otage français Serge Lazarevic.
[5] De même, la commission internationale d’enquête prévue dans l’Accord de Ouagadougou et dans l’accord de paix de juin 2015 n’a toujours pas été mise en place par les Nations unies.