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Mali: Et si la graine de la discorde avait été semée depuis 1992 ?

Comme dans la plupart des pays francophones d’Afrique, une Conférence nationale a été organisée à Bamako du 29 juillet au 12 août 1991. Dans ce cadre, la mise en place des structures politiques du nouveau régime, le choix des modes de scrutin, l’établissement du calendrier des élections ont été réalisés. C’est aussi au cours de la Conférence nationale que la nouvelle constitution qui entérine l’avènement de la troisième République a été élaborée.


Cette constitution fait une large place aux droits de l’homme, comme l’indique le nombre important d’articles relatifs aux droits de la personne humaine. La constitution de 1992 définit les attributions des huit institutions de la République. S’ensuit une période d’intense activité électorale permettant de mettre en place ces institutions et durant laquelle certains électeurs maliens durent se rendre jusqu’à six fois aux urnes entre le 12 janvier 1992 et le 26 avril 1992, soit pour le référendum constitutionnel du 12 janvier 1992, les élections municipales du 19 janvier 1992, les élections législatives en un ou deux tours le 23 février 1992 et le 9 mars 1992, l’élection présidentielle en deux tours, le 12 avril 1992 et le 26 avril 1992. Ces élections ont été organisées par le secrétariat d’État aux réformes institutionnelles. Une commission d’égal accès aux médias d’État a été créée et plusieurs émissions radio et télé ont permis aux candidats de présenter leurs programmes et d’engager le débat politique.
Les premiers partis politiques sont nés de la transformation des associations démocratiques créées en 1990 (ainsi Adema-Association se transforme en parti politique et devient l’Adema-Parti africain pour la solidarité et la justice (Adema-PASJ) lors de l’assemblée générale extraordinaire de l’association des 26 et 27 avril 1991), puis de l’éclatement de l’Adema-PASJ. La création des partis s’est donc opérée, d’une part en récupérant une partie des anciens cadres du parti unique et, d’autre part, par l’émiettement systématique des premiers partis créés. De la situation de monopartisme institué, le Mali est très vite passé à une situation où le nombre important de partis créés rendait impossible le débat politique. « Dès l’instauration du multipartisme par l’ordonnance n°2 du CTSP, la création et la réapparition inflationnistes de 3 partis devenus 4 en un mois, puis 45 à l’issue de la Conférence nationale, montre le risque réel de voir le jeu politique s’embourber dans des dérapages personnels et des coalitions précaires.»
En 1992, aux moments des élections, ces partis seront au nombre de 48. Sur ces 48 partis déclarés, 24 ont participé aux élections municipales, 22 au premier tour des législatives, 9 au second tour, mais 10 seulement ont été représentés à l’Assemblée nationale. Le nombre important de partis politiques ainsi que les conditions de leur création renforcent la perception d’une absence de critères de démarcation entre ces différents partis: loin de s’être constitué sur la base de projets de société, leur fondement semble lié à des intérêts personnels que l’arrivée de la démocratie a permis d’exprimer. La récupération d’un quart des députés de l’ancienne Assemblée nationale qui se présentent au premier tour des législatives dans 7 partis d’accueil entame leur lisibilité en termes de « kokajè » et suscite le désintérêt d’une grande partie des électeurs qui ne se rendent pas aux urnes.
La faible participation s’explique par différents facteurs tels que les difficultés liées à l’organisation des élections ou la situation de guerre dans le Nord du Mali (où la rébellion n’a pas permis aux électeurs de se rendre aux urnes pour des raisons d’insécurité, mais aussi parce qu’une partie de la population touarègue avait quitté le territoire pour se réfugier dans les camps installés en Mauritanie, en Algérie et au Burkina Faso). Cependant, la désaffection des électeurs, qui s’accroît rapidement d’une élection à l’autre, ne peut simplement s’expliquer ni par les raisons d’insécurité ni par le nombre élevé des élections. Le fléchissement de la participation aux élections révèle le désaveu des électeurs envers une classe politique qui semble s’enliser dans des querelles personnelles.
En effet, seul le scrutin pour le référendum connaît un taux de participation supérieur à 40%. Ce vote abstrait (en faveur d’un texte et non d’un individu), dont l’objectif apparaît clair et consensuel, présente un projet qui ne fait apparaître que « le bien collectif », contrairement aux consultations qui suivront et où les ambitions personnelles des hommes politiques sont exacerbées. Or, il faut rappeler que le soulèvement populaire contre la dictature militaire exprimait en premier lieu le consensus contre la corruption. L’union s’est faite principalement au nom du « kokajè ». Le terme bambara « kokajè » a été traduit par « transparence », dans le sens où les manifestants exigeaient que la justice poursuive les hommes politiques au pouvoir pour les « crimes économiques » (détournement, prévarication…) ou les « crimes de sang » (assassinats) qu’ils avaient commis, du fait de leur position politique. Le terme « kokajè» est relativement fort, puisqu’il comprend l’idée de saleté, de souillure que l’on doit éliminer. Littéralement, il signifie « laver pour rendre propre », et est donc lié à l’idée de « purifier». La déception d’une partie du peuple malien est grande, d’une part, face au retard pris par la justice pour juger les crimes commis (et face à la récupération des anciens membres du parti unique qui s’ensuit), et, d’autre part, face aux pratiques arrivistes et intéressées des nouveaux politiciens.
Une quarantaine d’observateurs étrangers (venant de divers pays ou appartenant à diverses organisations) ont supervisé l’ensemble du processus électoral et « ont unanimement reconnu que les élections maliennes ont été honnêtes et transparentes ». Cependant, la lecture de la presse malienne parue pendant le déroulement des élections semble indiquer le faible rôle joué par ces observateurs. Cette presse accorde d’ailleurs beaucoup plus d’intérêt au coût de l’organisation des élections et à la dépendance financière qui en découle. En effet, sans l’aide financière de pays ou d’organismes internationaux, les élections maliennes n’auraient pas pu avoir lieu. La crainte de dépendre des bons offices de nations étrangères ou d’être victimes d’ingérence en matière politique n’est pas sans motifs. Comment en effet un État démocratique peut-il inventer et assumer ses propres valeurs dans un tel cadre d’assistanat ?
Inna Maïga

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