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Mali : ce que l’on sait du massacre présumé de Moura

Que s’est-il passé à Moura fin mars ? L’armée malienne affirme y avoir tué plus de 200 «terroristes», mais l’ONG Human Rights Watch l’accuse d’avoir exécuté 300 civils, épaulée par de présumés mercenaires de la société russe Wagner.

Succès de l’armée malienne ou massacre de civils sans précédent ? Deux versions diamétralement opposées s’affrontent sur les événements survenus entre le dimanche 27 et le jeudi 31 mars à Moura, dans le centre du Mali. Il s’agit soit d’une des victoires les plus retentissantes de l’armée, qui a revendiqué l’élimination de 203 djihadistes en se contentant de rapporter des morts dans ses rangs sans plus de précision ; soit du « pire épisode d’atrocités » commises contre des civils en dix ans, selon les mots de l’ONG Human Rights Watch (HRW) qui fait état dans un rapport de l’exécution sommaire de 300 civils par des soldats maliens associés à des combattants étrangers, présumés russes.

Pourquoi Moura ?

« Depuis plusieurs semaines, les forces armées maliennes, épaulées par des éléments russes, essaient d’effectuer une montée en puissance dans le centre du Mali », afin de « mettre la pression sur les djihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (Jnim) », rappelle le journaliste de France 24 Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes. Selon ses informations, la localité de Moura a été ciblée car les Maliens ont eu des indications « qui faisaient état de la présence sur zone du numéro 2 de Jnim ».

Que dit l’armée malienne ?

L’armée a mené du 23 au 31 mars une opération de « grande envergure » dans cette localité de plusieurs milliers d’habitants, a indiqué l’état-major dans un communiqué diffusé le 1er avril alors que les remontées de Moura commençaient à proliférer. Le centre est l’un des principaux foyers des violences sahéliennes et un terrain privilégié de groupes affiliés à Al-Qaïda.

En dehors de 203 « terroristes » tués, 51 autres ont été capturés, disait-il. Les forces maliennes ont procédé « aux nettoyages systématiques de toute la zone ». Après avoir pris le contrôle de Moura, elles ont procédé à un « tri » et identifié des « terroristes » dissimulés dans la population, a-t-il précisé mardi soir dans un nouveau communiqué.

Que disent les témoignages ?

Libération, France 24 et RFI ont pu recueillir des témoignages de locaux. Tous font état d’un blocus de cinq jours pendant lequel a régné une campagne de terreur. Selon ces témoignages, l’opération a commencé le dimanche 27 mars, en milieu de matinée, alors que se déroulait un marché de bétails. « Deux hélicoptères ont atterri dans le champ et la cour de ma maison à l’extérieur du village, a relaté un habitant de Moura à Libération. Des blancs en sont sortis, ont pris place sur mon toit et ont ouvert le feu sur des hommes qui couraient. » Des militaires sont arrivés en renfort, « il y a eu des affrontements dans les rues du village, les locaux sont rentrés dans leurs maisons et les forces armées maliennes sont allées les chercher chez eux pendant plusieurs jours », résume Wassim Nasr, sur France 24.

Un témoin direct a raconté à l’AFP avoir vu surgir quatre hélicoptères avec « plus d’une centaine de militaires noirs et blancs ». « Il y a eu rapidement des exécutions », a-t-il dit. Un combattant blanc passait en revue des hommes arrêtés et faisait sonner un appareil devant certains : « Dès que l’appareil faisait bip devant quelqu’un, on le tuait. Je n’ai jamais vu autant de morts. Il y en a eu plus de 350 », a-t-il déclaré.

Après les affrontements initiaux du 27 mars, les soldats ont capturé des centaines d’hommes et, les jours suivants, ils auraient exécuté par balles et par petits groupes des dizaines de captifs, peut-être en fonction de leur tenue vestimentaire ou parce qu’ils portaient la barbe suivant des règles édictées par les djihadistes, ou en raison de leur appartenance ethnique, rapporte HRW. « La grande majorité » des hommes tués étaient Peuls, un groupe dans lequel les djihadistes ont largement recruté. Des civils ont été forcés à creuser des fosses communes avant d’être exécutés, selon l’ONG, qui précise que des dépouilles ont été brûlées au point d’être méconnaissables.

Deux ressortissants de Moura ont affirmé à Libération que plusieurs jeunes femmes ont été conduites le soir au campement des soldats où elles auraient été violées. Human Rights Watch attend encore d’avoir des informations suffisamment fiables pour s’exprimer sur le sujet. À Franceinfo, Ousmane Diallo, d’Amnesty International, indique que « plusieurs sources secondaires » ont parlé de « cas de viols à Moura », « mais il nous faut faire un travail de corroboration » sur ce sujet, note-t-il.

Des civils ou des djihadistes ?

Moura est décrite comme une localité passée, comme beaucoup d’autres au Mali, sous la coupe de groupes affiliés à Al-Qaïda et, selon les déclarations de deux habitants du village à Libération, la présence djihadiste était plus importante qu’à l’accoutumée ce 27 mars. Mais, selon ces témoins, elle représentait « une soixantaine » d’individus « au maximum », bien loin des plus de 200 « terroristes » tués selon l’armée malienne. « Comment peuvent-ils dire qu’aucun civil n’a été tué alors que devant ma porte, sept ont été exécutés, dont trois de mes cousins qui sont des éleveurs ! » s’est agacé auprès de Libération un habitant de Moura.

Qui enquête sur ces événements ?

Pressée de maintes parts d’ouvrir une enquête indépendante, la justice militaire malienne a annoncé mercredi soir l’ouverture d’investigations sur les événements de Moura. Les Nations unies ont également ouvert une enquête et la mission de Casques bleus de l’ONU, la Minusma, cherchait encore ce jeudi à accéder à la zone. « L’autorisation de déploiement d’une mission intégrée n’a, jusqu’à présent, pas été autorisée malgré un engagement important auprès des autorités nationales », a déploré l’émissaire de l’ONU pour le Mali, El-Ghassim Wane, ce jeudi, réclamant au gouvernement malien un accès « impératif » à Moura.

Que sait-on de l’implication de mercenaires russes ?

HRW parle de soldats maliens associés à des étrangers, présumés être russes parce qu’ils ne parlaient pas français et qu’il a beaucoup été question de l’arrivée de soldats russes ces derniers mois pour aider à combattre les djihadistes. Un témoin parlant à l’AFP a accusé les soldats maliens et des membres du groupe de sécurité privé russe Wagner, aux agissements décriés, y compris dernièrement en Ukraine. Sur France 24, Wassim Nasr évoque la présence des forces armées maliennes ainsi que de « 100 éléments russes ».

« Ce sont les seuls soldats étrangers qui travaillent aujourd’hui dans le centre avec nos forces armées », affirme auprès de Libération un membre d’une association de jeunes de Moura. « J’en ai déjà croisé dans la région et trois amis qui ont étudié en Russie travaillent avec eux comme interprètes. »

La France et les États-Unis se sont également dits préoccupés devant les informations faisant état d’exactions commises par des soldats maliens et des membres de Wagner. De son côté, l’état-major malien ne mentionne aucune présence de soldats étrangers. Mais il dit que l’opération a engagé cinq hélicoptères de transport et de combat de conception et fabrication soviétique et russe, sans préciser qui les pilotait. Par ailleurs, les autorités ont toujours démenti le recours à Wagner et mettent en exergue le partenariat ancien avec l’armée russe.

Source: leparisien

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