Le Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif, et le seul qui reste à mettre en place pour achever le tableau des organes de la transition, continue de crisper les attentions. Les remous sur sa mise en place se poursuivent, rapprochant, de loin, les positions des plus grands partis et regroupements politiques de l’arène malienne, qui ont décidé pour beaucoup de ne pas y envoyer de représentants. Pour capitaliser cette convergence apparente, des démarches sont menées pour former un bloc commun, capable d’amener les autorités de la transition à revoir leur copie. Si les portes ne sont pas totalement fermées entre les partis politiques, d’autres paramètres de positionnement ne rendent pas pour autant aussi simple une éventuelle grande alliance entre eux.
Dès le lendemain de la publication au Journal officiel de la République des deux décrets fixant respectivement les modalités de désignation des membres du CNT et sa clé de répartition, le M5-RFP, qui « refuse de servir de faire-valoir à un régime militaire déguisé », a non seulement décidé de ne pas y participer dans le format proposé, mais aussi lancé un appel à toutes les forces patriotiques et politiques, pour « se concerter, entrer en résistance et faire face pour sauver la démocratie et la République ».
Cette prise de position n’en était qu’une parmi les très nombreuses qu’a suscitées l’adoption des deux décrets au sein de la classe politique. Cette dernière, dans sa presque totalité, a fustigé la manière de procéder des autorités de la transition et décidé de boycotter le Conseil national de transition si la procédure n’était pas revue.
Le 12 novembre 2020, après une première réaction la veille, exhortant toute la classe politique à observer le devoir de non-participation, l’alliance de l’ancienne majorité présidentielle Ensemble pour le Mali (EPM) a réitéré, dans une déclaration commune avec d’autres partis et regroupements politiques, à l’instar de la Coalition des forces patriotiques (COFOP), de l’Action républicaine pour le progrès (ARP), de l’Alliance Jiguiya Koura ou encore du parti Yelema, la décision unanime de ne pas siéger au CNT. La conférence des Présidents de ces différents partis a appelé à « une union sacrée pour préserver les acquis démocratiques pour sauver la République ».
Quelles actions communes ?
Le Président de la transition, Chef de l’État, M. Bah N’Daw avait déclaré alors qu’il était récemment en tournée dans la sous-région, vouloir s’en tenir à l’esprit des deux décrets qu’il a signés. Les premières réactions de la classe politique n’ont pas réussi jusqu’à maintenant à le faire revenir sur ce qui a été décidé.
Mais, le 19 novembre dernier, trois ministres du gouvernement ont rencontré la classe politique dans le cadre de la relance du Cadre de concertation des partis politiques déjà existant entre elle et le gouvernement. La question de la mise en place du CNT n’était initialement pas à l’ordre du jour, mais les politiques n’ont pas manqué l’occasion d’y revenir.
Les émissaires du gouvernement ont alors promis de faire un compte-rendu aux plus hautes autorités, sans pour autant donner la garantie que la procédure allait être revue.
Pour faire adhérer les autorités de la transition à ses exigences, le M5-RFP se met déjà dans une démarche active, pour faire converger les actions au sein de la classe politique.
« Nous avons commencé par prendre des contacts avec les partis de l’ancienne majorité présidentielle puis avec d’autres forces vives. Nous avons un agenda de rencontres cette semaine. Elles ont déjà commencé et nous allons les intensifier, puis faire un front commun dans lequel tout le monde va se retrouver pour imposer une transition vraiment démocratique », affirme Choguel Kokala Maiga, Président du Comité stratégique du M5-RFP.
Pour lui, il ne s’agit même plus pour les « jeunes militaires » de discuter uniquement avec le M5, mais de « parvenir à un accord politique global qui puisse convenir au moins à l’ensemble des forces politiques et sociales ».
Cette vision est partagée à la COFOP, où le Président, Dr. Abdoulaye Amadou Sy, estime qu’il faut nécessairement une concertation avec la classe politique, parce qu’il s’agit de l’intérêt du Mali et non d’un individu et qu’il faut que les fils du pays discutent autour d’une table et décident ensemble de ce qu’il faut faire, dans le cadre des règlements qui sont fixés.
Jeux politiques et grande coalition
Le M5-RFP est résolument tourné vers la réalisation d’une grande coalition des forces politiques et sociales, y compris celles se positionnant du côté de l’ancienne majorité présidentielle. « Nous les avons déjà invitées à des séances de travail. Nous avons eu une première rencontre avec elles pour une prise de contact dans le courant de la semaine passée et nous irons peut-être au-delà cette semaine », confie M. Maiga, pour lequel l’objectif est de réunir tous ceux qui ne sont pas d’accord avec la façon de faire des autorités de la transition.
Mais, à l’alliance EPM, l’ancienne majorité présidentielle, même si la procédure de la mise en place du CNT est fustigée, le ton semble ne pas être le même que celui du M5, du moins pour le moment, sur l’unicité des actions.
« Le M5 et nous, nous sommes différents et nous n’avons pas les mêmes méthodes pour faire aboutir nos revendications. Nous ne sommes pas dans la défiance de la transition, nous l’accompagnons. Le M5 est par contre dans une posture de défiance de la transition, en disant qu’il est aussi légitime que la transition », précise Me Baber Gano, Secrétaire général du RPM, parti-clé de l’alliance EPM.
« Nous ne sommes pas dans ce schéma. Au contraire, pour nous, il faut accompagner la transition et trouver les meilleures solutions afin de sortir de cette situation », ajoute l’ancien ministre des Transports.
Même avec les partis et regroupements politiques avec lesquels a été signée la déclaration commune du 12 novembre, l’alliance EPM ne voit pas pour le moment une plus large alliance. « C’est juste un partage de vision sur un objectif commun. Le CNT est un organe qui doit regrouper l’ensemble des forces politiques et sociales du pays. Cela veut dire que nous allons tous nous retrouver là-bas. Nous avons donc dit que, pour cet objectif, pour un départ il ne faut plus se mettre dans une posture d’opposition ou de majorité, c’est surtout pour l’intérêt du Mali », souligne M. Gano, laissant tout de même entrevoir que les portes ne sont pas totalement fermées.
« L’avenir nous le dira. Nous sommes tous des partis politiques qui œuvrent pour la démocratie et si tant est que leur objectif à eux est de consolider la démocratie et l’État de droit, nous allons le poursuivre ensemble », assure-t-il.
Marge de manœuvre réduite
La situation enchevêtrée, avec une multitude d’acteurs politiques et des positions différentes, fait craindre à certains une faible marge de manœuvre des politiques dans le processus de mise en place du CNT. Il faut préciser qu’en dehors des grands partis et regroupements politiques, qui s’inscrivent dans la posture de boycott, un nombre non négligeable de petits partis est prêt à siéger au sein de l’organe, d’où la multitude de candidatures qui atterriraient sur le bureau du Vice-président de la transition, le colonel Assimi Goita.
Pour l’analyste politique Boubacar Salif Traoré, quand on tient compte de cette situation, il semble difficile qu’un seul bloc politique puisse se former autour de la cause du CNT. D’autant plus, selon lui, qu’il y a déjà une sorte de précampagne en vue de la future présidentielle. « Se mettre ensemble, c’est quelque part renoncer aux différentes candidatures au profit d’un seul candidat, alors qu’aujourd’hui cela parait peu probable ».
D’ailleurs, soutient M. Traoré, « le fait de perdre l’autorité morale de l’Imam Mahmoud Dicko, associé à la fragilisation de la classe politique liée aux mésententes internes, ne leur permet pas de constituer à ce jour une force assez critique ».
Germain KENOUVI
Source : Journal du Mali